Les Papiers collés
de Claude Darras
Été 2014
Carnet : La Grande Guerre racontée
aux enfants
Centenaire 14-18
Le Journal d'un poilu, de Sandrine Mirza, est un beau livre de
mémoire, un ouvrage d'histoire unique en même temps qu'un récit
affectif dénué cependant de toute sensiblerie. L'auteure a patiemment
écouté sa grand-mère Carmen lisant et commentant les lettres
et le journal de son père, André Beaujouin (Charenton, 1895-Maisons-Alfort,
1984), soldat de la Grande Guerre. Engagé sur le théâtre
des opérations d'août 1914 à septembre 1919, en France puis
dans les Balkans, l'employé de bureau à l'usine des alcools Suze,
à Maisons-Alfort, imprime à l'évocation du premier conflit
mondial une proximité empathique. Fort éloigné de l'imagerie
d'Épinal, sans pour autant exacerber la sauvagerie des événements
guerriers, l'ouvrage livre les souffrances et les espoirs alternés des
combattants et de leurs proches, privilégiant ainsi humanité et
compassion au fil de l'évocation. La fantaisie, la simplicité
et l'optimisme du principal acteur émoussent la cruauté de la
vie des tranchées, du Chemin des Dames aux rives du Danube en passant
par le golfe de Corinthe. L'épistolier s'amuse des sollicitations des
enfants italiens affamés qui lui réclament ses "boîtes
de singe" (de corned beef, viande salée de buf). Il
se réjouit lorsque les soldats bulgares "prennent la piquette"
face aux tirailleurs sénégalais. Et il redevient un enfant cajoleur
lorsqu'il anticipe les retrouvailles avec sa "Nénette chérie",
Antoinette Creuzet qui deviendra sa femme "seulement 39 jours après
son retour". Le 5 septembre 1919, en effet, notre poilu rentre chez lui,
à Maisons-Alfort, après quatre ans et neuf mois de guerre. Le
24 janvier 1984, à 89 ans, il est enterré, selon sa volonté,
dans une caisse en sapin, comme ses compagnons morts au combat
Un appareil
documentaire éclaire et illustre les différents aspects du conflit,
tandis qu'une pochette renferme précieusement dix fac-similés
de documents d'époque.
Le même éditeur propose La Première Guerre mondiale,
un livre doté d'une égale dimension pédagogique propre
à édifier savamment l'adolescent (à partir de 9 ans) sur
la Grande Guerre. De l'assassinat de l'archiduc d'Autriche François-Ferdinand
de Habsbourg, le 28 juin 1914, aux traités de paix de 1919 et 1920, de
Verdun à Gallipoli, des Dardanelles en Palestine, Simon Adams réécrit
l'histoire du premier grand conflit européen qui s'étendra à
tous les continents entraînant les empires coloniaux. L'écrivain
britannique favorise une approche plurielle de l'événement à
travers la littérature, les arts, la littérature, l'industrie,
la science et
la femme au rôle si déterminant dans l'économie
de guerre. Richement documenté et parfaitement didactique, le livre fourmille
d'informations et d'anecdotes. Ainsi, apprenons-nous, l'aviateur français
Roland Garros conçoit en 1914 un système où la mitrailleuse
peut tirer à travers l'hélice. En 1915, près d'Ypres, en
Belgique, les soldats allemands utilisent pour la première fois un gaz
toxique à base de chlore ; c'est l'ypérite, une arme interdite
par la déclaration de La Haye de 1899. En janvier 1916, l'armée
allemande remplace le casque à pointe des Prussiens par un casque arrondi
en acier. Au plus intense des combats navals et aériens, des peintres
sont sollicités afin de camoufler les coques des navires et les canons
maquillés en France par les peintres cubistes. Célèbre
danseuse d'origine néerlandaise, Margaretha Zelle, plus connue sous le
pseudonyme de Mata Hari, est fusillée en octobre 1917, convaincue d'acte
d'espionnage. Savez-vous que les coquelicots rouges des Flandres sont devenus
en Grande-Bretagne et au Canada le symbole du sacrifice des soldats tués
ou disparus ? Les Français, quant à eux, ont opté pour
le bleuet. De 1914 à 1918, plus de 65 millions d'hommes et de femmes
prennent part à la Grande Guerre, dont plus de la moitié sont
tués ou blessés : 8 millions tués au combat, 2 millions
morts de maladies, 21,2 millions blessés, 7,8 millions prisonniers ou
disparus, 6,6 millions de civils tués. Des milliers de soldats inconnus
meurent au front ou dans les tranchées : en France et en Angleterre,
on érige une tombe en leur honneur, à l'Arc de triomphe à
Paris et à l'abbaye de Westminster à Londres.
- Le Journal d'un poilu, par Sandrine Mirza, éditions
Gallimard Jeunesse, 48 pages, 2014
- La Première Guerre mondiale, par Simon Adams, éditions
Gallimard Jeunesse (collection les Yeux de la découverte), 72 pages,
2014.
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Les bibelots de la mémoire
La mémoire est comme le dessus d'une cheminée. Pleine de bibelots
qu'il sied de ne pas casser, mais qu'on ne voit plus.
(Georges Perros, " Papiers collés " 1, 1960)
La carrée angevine
La cour, la carrée angevine est, ce matin, d'une joliesse émouvante
! L'herbe, belle ! La générosité de la nature. Je ne peux
absolument pas appeler par leur nom, ces tigettes, ces curs, ces tremblements,
ces nuds ! Cette richesse-là, plus troublante qu'un tapis-trésor
persan ! Pour me rendre aux caves, je me suis servi de la faux ! La "trace" faite, le tapis vivant se dresse, se redresse ! Et les pâquerettes
sourient ! Les bardanes font songer aux oreilles des éléphants
!
(Jules Mougin, dans une lettre qu'il m'adresse le 29 mai 1990, avec une feuille
de tilleul lovée dans les plis de la missive)
Note liminaire :
Issus de lectures journalières et plurielles, ces "Papiers collés" saisonniers distinguent cinq rubriques : Carnet (notes et pensées
du journal proprement dit), Lecture critique (texte de critique et d'analyse
littéraire), Billet (commentaire personnel), Portrait (d'un auteur) et
Varia (recueil de notes diverses).
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Soyons bref !
« Si j'avais des principes, observait Claude Aveline (Paris, 1901-1992),
je dirais qu'il faut être plus bref ». Admirateur d'Anatole France,
l'écrivain et poète Evgen Avtsine (Aveline est un pseudonyme)
possédait son "Pascal" par cur. Le mathématicien
et philosophe clermontois aimait à se justifier ainsi auprès de
ses interlocuteurs : « Vous m'excuserez de vous écrire trop longuement,
je n'ai pas le temps de faire plus court. » (Mercredi 23 avril 2014)
Aphorismes de P.-J. Toulet
J'affectionne de temps à autre de déguster les aphorismes de l'écrivain
et poète palois Paul-Jean Toulet (1867-1920). Connaissez-vous ceux-là
? « Apprends à te connaître : tu t'aimeras moins, et à
connaître les autres : tu ne les aimeras plus ». « La fièvre,
à ce que l'on dit, nous délivre des puces, et l'infortune, de
nos amis ». « Il ne faut pas vouloir la mort du pêcheur, fût-il
à la ligne ». « Quand tourne le vent on accuse les girouettes ». « Il y a des pluies de printemps délicieuses, où
le ciel a l'air de pleurer de joie ». « Si un peuple a les seuls gouvernements
qu'il mérite, quand mériterons-nous de n'en avoir pas ? ». (Samedi 26 avril 2014)
Un duo redoutable
Au moment où l'on s'inquiète de l'avenir (américain ?)
de la société Alsthom, créateur du train à grande
vitesse, me revient l'image d'un des patrons du grand groupe, Jean-Pierre Desgeorges
(Boulogne-Billancourt, 1930-La Baule, 2010). Visionnaire dans son domaine (en
s'alliant avec le Britannique GEC, il créa une entreprise multinationale
majeure en Europe), il était un amateur éclairé d'art moderne
et un mélomane inspiré. Il aimait confier le bonheur qu'il éprouvait
de recevoir, dans sa maison, l'amiral Bernard Louzeau, le premier commandant
du sous-marin nucléaire Le Redoutable (1967-1972). Les deux hommes y
donnaient des concerts privés, le président de GEC-Alsthom au
piano, l'amiral au violon. (Vendredi 2 mai 2014)
Billet d'humeur
Futur simple ?
Le futur n'est pas aussi simple que le prétendent nos grammaires. Casse-tête
des potaches, la morphologie des "formes en -r" (futur et conditionnel)
en décontenance plus d'un, jusqu'à cet ancien ministre qui a lancé,
à quatre temps, au micro de France-Culture : « Qui vous
dit que François Hollande ne dis-sol-ve-ra pas l'Assemblée ? ».
Fort heureusement, un ange de passage lui a soufflé le dissoudra tant
espéré lorsqu'il a répété la fameuse question
suivie d'un "pardon" lourd de confusion. Le journaliste aurait été
bien inspiré de lui flanquer en pénitence, comme à confesse
: « Vous me direz trois fois le Bon Usage de Maurice Grévisse
! ».
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Lecture critique
Catherine Rossi, portraitiste d'Alger
Rares sont les auteurs susceptibles de décrire par les mots et le dessin
l'objet de leur passion. Experte dans les deux médiums, Catherine Rossi
(Troyes, 1957) parvient à révéler de larges pans de l'identité
de la ville d'Alger nonobstant le titre de l'ouvrage qui incline à dire
l'impossibilité de la portraiturer. À travers les pièces,
éparses, d'une mosaïque, Alger ou l'impossible portrait
révèle les multiples visages de l'antique Djazaïr Banu Mezghana,
fondée par Bologhine Bnou Ziri en l'an 950 après Jésus-Christ
sur le site phénicien de Ikosim (IIIe siècle avant notre ère).
Parce qu'elle la connaît au plus enfoui de son passé et de sa nature,
parce qu'elle aime cette ville comme un enfant sa mère, l'auteure en
restitue à la fois le visage et l'âme authentiques. Une quête
similaire anime d'illustres devanciers : le "collier de perles" qui
qualifie pour Albert Camus le front de mer algérois dans L'Été
à Alger ; les opalines, verts délavés et ocres claires
du Soleil levant sur le port d'Alger du peintre fauve Albert Marquet
; la sensualité des Algéroises et la féminité d'Alger-la-Blanche
sublimées par Henry de Montherlant au fil de Il y a encore des paradis.
La ville analysée ici n'a rien de l'utopie d'Amaurote décrite
par Thomas More. Elle reste bien vivante et, tranquillisons Catherine Rossi,
son identité demeure indéfectible. Nous n'en avons pas fini d'entendre
ses bruissements les plus intimes dont sa langue : « Dans
les murmures de femmes ou les conversations plus vives, vient la langue et toute
la mélodie de l'Algérois, mêlée d'arabe parlé,
d'arabe classique dans les prières susurrées et de français
qui pointe au milieu des phrases ».
- Alger ou l'impossible portrait, par Catherine Rossi, illustré
des aquarelles de l'auteure, éditions Chèvre-Feuille étoilée,
192 pages, 2009.
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Portrait
Winston S. Churchill : « Il créa
la pièce dans laquelle il jouait »
Pas plus que François Bédarida et François Kersaudy n'ont
épuisé le sujet churchillien, Sophie Doudet ne clôt le champ
biographique ouvert sur un des géants de la scène publique et
politique du monde au XXe siècle. Le gentleman à la face ronde
et au teint rose signant de l'index et du majeur le V de la victoire et fumant
tantôt le Double Corona cubain, tantôt le Trichy de Madras, est
raconté avec clairvoyance et sobriété par l'universitaire
aixoise (maître de conférences en littérature française
à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence). Le récit
épique de l'exceptionnelle destinée de Winston Spencer Churchill
(Woodstock, 30 novembre 1874-Londres, 24 janvier 1965) n'en est pas altéré
pour autant. À elles seules, la vie et la personnalité de "Winnie"
recèlent tant de richesses et de singularité qu'elles suffiraient
- s'il en était besoin - à en perpétuer et alimenter la
légende, du berceau à la tombe.
Déjà, le nouveau-né compte d'illustres ancêtres.
Du côté de son père, il descend de John Churchill, premier
duc de Marlborough, dont les troupes vainquirent, entre 1704 et 1709, l'armée
de Louis XIV, à Blenheim, Ramilliers, Oudenarde et Malplaquet. La chanson
enfantine "Malbrough s'en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine"
lui est dédiée. La récompense de la reine Anne Stuart pour
ces victoires décisives permet au comte de se construire un château
à Woodstock, sur un site romain et médiéval, dans l'Oxfordshire,
petit Versailles qu'il baptise du nom de sa première victoire en Bavière.
Winnie, lui, collectionne les timbres-poste, pratique l'équitation, joue
la comédie (en dépit d'un léger bégaiement et d'un
zézaiement tenace
) ; et il enrôle pour d'héroïques
combats des centaines de soldats
de plomb. Frondeur et indocile, il est
admis à l'Académie royale militaire de Sandhurst, dans le Surrey,
en septembre 1893 : il a dix-neuf ans et rêve d'intégrer la cavalerie.
Il y parvient en 1895 en accédant au Troisième Hussard basé
à Aldershot, dans le comté du Hampshire. Mais le fringant sous-lieutenant
démissionne en 1899 après avoir, plutôt que le combat, pratiqué
le journalisme aux armées où sa passion de l'écriture prend
corps. À vingt-six ans, en 1900, il est élu député
conservateur d'Oldham. Dès lors, « il gagne haut la main
la plupart des élections auxquelles il se présente, souligne
Sophie Doudet, il écrit des discours qui restent dans les annales
de l'art oratoire, et la victoire des Alliés lors de la Seconde Guerre
mondiale doit beaucoup à ses compétences de stratège ».
Sous-secrétaire d'État aux colonies, ministre du Commerce puis
de l'Intérieur, il démissionne du poste de Premier Lord de l'Amirauté
en 1915 et il gagne la France en qualité de major d'un bataillon de grenadiers.
Lieutenant-colonel au 6e Royal Scots Fusiliers, il rend ses galons en 1916 quelques
mois avant de reprendre un portefeuille ministériel, celui de l'Armement.
Le prochain conflit mondial va imprimer la marque du "Vieux Lion"
dans les annales de l'Angleterre et de celles du monde, à partir de 1940
quand, chancelier de l'Échiquier, il est nommé Premier ministre
et jusqu'en 1944 lorsqu'il défile avec De Gaulle sur les Champs-Élysées,
au lendemain du débarquement en Normandie. Il quitte la vie publique
en 1945 et se réfugie avec sa femme Clemmie, née Clémentine
Hozier, dans leur manoir de Chartwell, dans la campagne du Kent.
Historien de la longue durée, il écrit une douzaine d'ouvrages
historiques, le premier à l'âge de vingt-quatre ans, La Guerre
du Makaland qui est le récit de sa campagne à la frontière
nord-ouest de l'Inde en 1897, le dernier, Histoire des peuples de langue
anglaise, paraît en 1958. Mais ce sont surtout ses Mémoires
de guerre, consacrées à la Seconde Guerre mondiale et publiées,
en six volumes, de 1948 à 1954, qui lui valent le prix Nobel de littérature
en 1953. Cette année-là, en le nommant chevalier de l'ordre de
la Jarretière, la Reine Élisabeth II le fait Sir Winston Churchill.
Outre la passion de l'écriture, il se livre à la peinture, entre
1915 et 1965, selon une "manière" toute académique.
On lui attribue un peu plus de cinq cents uvres où les sites méditerranéens
occupent une large place. Ainsi aime-il planter son chevalet à Cassis,
au côté du peintre marseillais Louis Audibert, et à Roquebrune-Cap-Martin,
dans la villa de Coco Chanel et de Hugh Grosvenor, deuxième duc de Westminster,
une propriété nommée La Pausa que son agent littéraire,
Emery Reves, racheta à la couturière de haute lisse en 1953.
« Il aura connu au moins trois guerres, rappelle l'auteur, six
souverains et dix-sept Premiers ministres, il aura exercé pendant près
de quarante-sept ans des fonctions politiques au gouvernement [
].
« Témoin et acteur magistral de son siècle, il ne
se contenta pas d'interpréter à la perfection son rôle,
conclut-elle, il créa la pièce dans laquelle il jouait. Il eut
le sentiment en achevant sa vie qu'il l'avait réussie et affirma ne rien
regretter : "Le voyage a été agréable, il méritait
d'être fait une fois." »
Le 15 janvier 1965, W. S. Churchill sombre dans le coma après une congestion
cérébrale. Il lâche prise huit jours après, le 24
janvier, à huit heures du matin, le même jour du mois et à
la même heure que son père Randolph, soixante-dix ans auparavant.
- Churchill, par Sophie Doudet, Gallimard, Folio biographies
n° 106, 272 pages, 2013
Lectures complémentaires :
- Churchill, par François Bédarida, éditions
Fayard/Le Nouvel Observateur, Les géants du XXe siècle, 380 pages,
2012
- Winston Churchill : le pouvoir de l'imagination, par François
Kersaudy, éditions Tallandier, 400 pages, 2000.
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Varia : les archives, mémoires de la commune
« Avec l'état civil, le maire a hérité
des archives. Les registres paroissiaux qui étaient tenus jusqu'en 1792
par le curé sont désormais confiés au maire. La mairie
est alors chargée de toutes les archives concernant la commune et ses
habitants. Depuis 1970, toutefois, les mairies de moins de 2 000 habitants doivent
les confier aux archives départementales.
« Les archives sont parfois soigneusement conservées
dans la salle des archives, le "chartier" du Moyen Âge où
était entreposée la précieuse charte définissant
les privilèges et les libertés arrachées au pouvoir seigneurial.
[
]
« Les archives municipales fourmillent d'informations sur
la vie politique et administrative de la commune depuis la Révolution.
Aux Archives de Paris les plus importantes de France , certains
documents datent même du Moyen Âge ! Sous diverses formes
registres, liasses, cartons, cartes, plans, gravures, photographies, microfilms,
vidéos, cédéroms, etc., on trouve aussi bien les
archives de l'administration départementale et communale que les archives
généalogiques, judiciaires, les archives privées, témoignant
de la vie de particuliers, d'entreprises, de syndicats ou d'associations, ou
encore les archives fiscales. Ces dernières recensent tous les biens
de l'Église qui ont été nationalisés par les révolutionnaires
avant d'être vendus à des particuliers. Les documents des domaines
révèlent toutes les cessions et ventes, comme par exemple celles
du palais de la Bourse et des terrains des Champs-Élysées et du
bois de Boulogne, cédés à la ville de Paris. Les archives
gardent des traces des patrimoines privés dont l'État a pris la
charge dans le cas de successions en déshérence. Mais aussi de
toutes les expropriations au profit de la commune, comme celles qui ont permis
d'ériger les fortifications de Paris et de la banlieue à partir
de 1840.
« Comme souvent, Paris le dispute à Marseille, où
l'ensemble des fonds représente 10 km de linéaires. Les plus anciens
remontent à la seconde moitié du XIIe siècle. C'est l'un
des fonds municipaux les plus importants de France grâce aux apports de
nombreuses archives privées, notamment celles de la famille Charles-Roux,
celles des cabinets d'architecte Bérengier et Espérandieu, les
legs Ricard, le dépôt de la bibliothèque de Gaston Defferre.
Il y a là plusieurs milliers de documents, des cartes postales et des
photographies de Marseille et des environs prises entre 1860 et 1980, des affiches,
l'inventaire des ex-voto de Notre-Dame-de-la-Garde, des partitions de musique,
des registres notariaux et notamment celui de Maître Giraud Amalric datant
de 1248, le plus ancien conservé en France. »
Extrait de "Nos mairies", un ouvrage d'Anne-Laure Dagnet, journaliste,
photographies d'Adeline Bommart, Kubik éditions/éditions Berger-Levrault,
160 pages, 2008. Un livre de référence qui se double d'un guide
pédagogique indispensable aux élus communaux et fort utile à
leurs administrés.
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Carnet : science et conscience
En bon disciple de Montaigne, Hubert Butler (1900-1991) relativise la progression
des systèmes de télécommunication dans son ouvrage L'Envahisseur
est venu en pantoufles (éditions Anatolia, 1994). « Les
communications vont plus vite, observe l'essayiste irlandais, mais notre capacité
de compréhension et de compassion n'a pas augmenté en proportion
La science a énormément étendu la sphère de nos
responsabilités alors que notre conscience n'a pas changé de taille. »
Georges Mathieu, ce héraut
Les institutions et la critique ont délaissé Georges Mathieu (1921-2012),
un des hérauts de l'abstraction lyrique. Il est de ceux qui voient grand.
Manier la foudre ne l'effraie pas. Peut-être est-ce une des raisons qui
l'ont poussé à peindre des bouts d'éternité tout
en faisant de l'éphémère son royaume ? (Vendredi 9 mai
2014)
Perfidie
« La perfidie à laquelle certains se complaisent dénonce
quelque chose en eux qui est l'absence de générosité mêlée
à de l'amertume. De la sorte, ils s'inscrivent dans une position subalterne.
C'est toujours d'en bas que provient l'attaque. »
(Louis Calaferte, "Étapes, Carnets VII (1983)", dimanche
18 décembre 1983, Gallimard/L'Arpenteur, 1997)
Pyramides
Journaliste et producteur de télévision, Pierre Dumayet (1923-2011)
est aussi un remarquable faiseur de mots. Et d'aphorismes, comme celui-ci :
« La forme même des pyramides prouve hélas qu'aujourd'hui
comme hier, les ouvriers travaillent de moins en moins. » (Mardi
20 mai 2014)
Ah ! les jolies vacances !
Les voyages forment la jeunesse, répète-t-on à l'envi.
Mais avez-vous pensé aux garnements calés à l'arrière
de la Twingo entre la cage des canaris et les biberons de la petite sur
? Il s'agit d'une véritable épreuve, surtout quand ils ne se passionnent
pas encore pour la visite des musées ni pour les dieux de la mythologie.
(Jeudi 29 mai 2014)
Billet d'humeur
Le noir et le blanc selon Soulages
Longtemps, Pierre Soulages (Rodez, 1919) est resté insensible aux paysages
de son Rouergue natal, leur préférant l'âpreté primitive
des grands plateaux d'Écosse. Il confesse cependant avoir éprouvé
ses premiers frissons esthétiques en visitant, avec des amis et un professeur,
l'abbatiale Sainte Foy de Conques, appariant la sévérité
de l'art roman du sanctuaire aveyronnais à la dramaturgie des Highlands.
Enfant, il affectionne les bruns de la terre et la lumière du blanc.
Il peint des paysages hivernaux plantés d'arbres sans feuilles. « J'aimais
le noir autant que les arbres, confie-t-il à Liliane Thorn-Petit
(1933-2008), journaliste luxembourgeoise. Je me souviens qu'un jour j'avais
intitulé "paysage de neige" un dessin fait de quelques traits
de pinceaux noirs sur une feuille blanche. C'était probablement une manière
de faire jaillir le blanc du papier, par contraste. J'employais déjà
un moyen de peintre car la couleur est une abstraction qui n'existe que regardée,
liée à une forme et une matière. » Le peintre
aime à répéter que Rembrandt et Claude Lorrain lui ont
transmis ce goût et cet amour pour le noir et le blanc.
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Lecture critique
Le pont transbordeur de Marseille
à l'avant-garde de l'architecture et de l'urbanisme
Rayé de la carte phocéenne en août 1944 par les bombardements
allemands, durant la Deuxième Guerre mondiale, le pont à transbordeur
reste obstinément présent dans le quotidien et la mémoire
des Marseillais, au point que sa reconstruction est actuellement envisagée.
Soutenu par deux pylônes métalliques de 86 mètres de haut,
ledit pont, d'une longueur de 239 mètres, assure, de 1905 à 1934
environ, le trafic des personnes et des marchandises entre les quais du Port
et de Rive Neuve. Suspendue au tablier par des câbles d'acier, une nacelle
de portage de 120 mètres carrés effectue l'aller-retour en moins
de deux minutes, à deux mètres au-dessus de l'eau du Vieux-Port.
Ferdinand Arnodin (Sainte-Foy-lès-Lyon, 1845-Châteauneuf-sur-Loire,
1924) l'a conçu sur le modèle de celui qu'il édifia à
Bilbao en 1893. Issu de la deuxième génération des constructeurs
de ponts métalliques, cet industriel a débuté sa carrière
d'ingénieur auprès de l'Ardéchois Marc Seguin, un des pionniers
du pont suspendu, apparenté aux Montgolfier, dans la première
moitié du XIXe siècle. Alternativement louée et dénigrée,
l' « architecture-machine », ainsi que certains nomment
le pont transbordeur marseillais, reçoit en son temps les encouragements
et suscite la curiosité d'intellectuels et de théoriciens
européens qui lui attribuent une place iconique à l'avant-garde
de l'architecture et de l'urbanisme. Parmi eux, le photographe et peintre hongrois
László Moholy-Nagy (Bácsborsód, 1895-Chicago, 1946).
Le pédagogue du Bauhaus se passionne pour les qualités esthétiques
du transbordeur dont il tire une série remarquable de photographies.
Dans ce petit livre très édifiant, coédité par l'Institut
national d'histoire de l'art et le Collège international de philosophie,
les trois auteurs analysent à partir d'une unique Vue du pont transbordeur
de Moholy-Nagy la "nouvelle" construction impulsée par
les ingénieurs au début de l'industrialisation, autour de 1840,
à travers l'utilisation de matériaux nouveaux comme le fer et
le béton armé.
Selon Philippe Simay, philosophe de l'architecture et de l'urbanisme, le transbordeur
de Marseille « transfigure l'ordre du visible et métamorphose
le regard » au même titre que deux autres merveilles métalliques
plébiscitées à la même époque, la tour Eiffel
et la tour de la Radio à Berlin ; ces ouvrages d'art apparaissent aux
yeux de Moholy-Nagy « comme un objet idéal pour expérimenter
les principes de la Nouvelle Vision » que le photographe défend
en s'appuyant sur la pensée de Sigfried Giedion (1888-1968), historien
de l'architecture suisse d'origine tchèque. Professeur à l'université
de Lausanne, Olivier Lugon retient la dimension euphorisante de la danse à
travers le mouvement imprimé par « les vues à angles
basculés, les plongées et les contre-plongées tant appelées
par ces ouvrages ajourés ». « Le transbordeur
a hérité du rêve de la maison volante, observe François
Bon, la maison transportable, la maison que les vieux ponts féodaux
posaient sur le milieu de l'eau, après l'octroi. » « Ce
que Moholy-Nagy photographie, estime l'écrivain et dramaturge, c'est
un vertige. C'est Icare au-dessus du sol. C'est l'éloignement pris de
la terre, par le béton des piles, et la pyramide inversée par
quoi leur treillis s'élève. Il photographie la verticale, et ignore
la ville. Il ne nous donne pas l'eau : elle est le noir absolu de l'enfoncement,
à peine une irisation de matière, et ce qui donne l'échelle
c'est l'ombre précisément des marches et passerelles par quoi
le piéton grimpe dans l'intérieur même de cette création
qui est encore un défi. »
- Le Pont transbordeur de Marseille - Moholy-Nagy, par François
Bon, Olivier Lugon et Philippe Simay, éditions Ophrys, collection Voir-Faire-Lire,
72 pages, 2013.
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Portrait
Daniel Blanchard : quand la parole devient chant
Le lecteur doit être prévenu : il pénètre ici dans
le royaume de la littérature véritable, sans concession, avec
pour seule loi interne la nécessité d'écrire et d'atteindre,
à travers le verbe, à une authenticité indéniable.
J'ose dire que c'est l'équivalent littéraire de la peinture, de
la musique, au sens où, selon les exercices les plus authentiques de
ces disciplines, ne priment plus la narration ou l'intrigue, mais le style,
la qualité de l'émotion et la lucidité de la pensée.
Malgré les apparences, Ces éclats de liberté
a été écrit à deux mains, à l'exemple des
partitions de piano. La ligne, récitatif ou mélodie verbale, s'étire
en prenant appui sur une basse continue, l'accompagnement de la main gauche
en somme, qui bat les périodes et les destinées comme on le dit
des cartes.
Arrivé aux dernières longueurs du chemin de sa vie, Émile,
le narrateur, se retourne. Il traverse la forêt de sa mémoire à
rebours. Parfois il revient sur ses pas afin de recouvrer le présent
de sa narration (nous sommes en 1987 au cur du pays poitevin). Issu de
« paysans néolithiques », ainsi nomme-t-il
ses ascendants de la vallée de Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence),
cet intellectuel remuant devenu typographe-correcteur d'un quotidien parisien
tente de répondre aux interrogations de son propre parcours et de comprendre
le monde et les gens qu'il y a côtoyés.
La rétrospection est servie par une géniale argumentation qui
repose sur deux faits distincts. D'une part, un des principaux personnages,
Geoffroy Rizzi, artiste hors les normes, est calqué sur un autre Geoffroy,
sculpteur du XIIe siècle celui-là dont la collégiale Saint-Pierre
à Chauvigny (Vienne) conserve les chapiteaux historiés : la rébellion
les rassemble tous deux. D'autre part, le journal intime de Lucien Négrel,
historien d'art et pianiste inspiré des années 1920, révèle
à Émile la métamorphose inattendue de son mentor en véhément
militant du Parti communiste qui rejoignit le maquis alpin en 1943.
Un récit existentiel
À partir des individus qu'il manipule, Daniel Blanchard trame un tissu
narratif d'allusions et de correspondances extrêmement profus et vertigineux
qui nous amènerait, pour peu que nous ayons lu ses autres textes, à
conclure qu'il est sans conteste le narrateur et que Lucien est son propre père.
Mais les histoires des uns et des autres s'emboîtent mal. En dépit
de l'ambiguïté autobiographique, l'auteur se livre presque complètement
d'un bout à l'autre de ce récit existentiel. Et les lecteurs voudront
mieux connaître le philosophe insurgé (il écrivit sous le
pseudonyme de Pierre Canjuers) qui se lia quelque temps avec Guy-Ernest Debord,
écrivain et cinéaste, critique de La Société
du spectacle (1967) et initiateur de l'Internationale situationniste
(1957). Qu'ils s'attachent aussi à découvrir le poète des
Cartes (1970, Mercure de France) qui suscita l'intérêt de
Francis Ponge et d'André du Bouchet.
Une parole unique à plusieurs hauteurs
« Clair comme du Voltaire, touffu comme du Montaigne, nerveux
comme du La Bruyère », nul doute que Daniel Blanchard
ait fait du triple commandement de Gustave Flaubert la loi d'une uvre
inclassable et multiple. Chez lui, en effet, la phrase est souple, incertaine,
presque tremblée. Elle n'a pas de centre visible ou de point d'équilibre.
Sa pensée rameute avec maestria l'incertitude des souvenirs, la fragilité
des succès, l'obsession des rancurs, l'ironie des regrets et ajoute
une infinité de lignes de fuite aux jeux de la perspective narrative
déployée entre Alpes et Poitou : l'art et la politique, le jazz
et l'amitié, Auschwitz et l'enfance, Mai 68 et l'Europe de l'Est, la
nature et la poésie, les illusions de la conscience et l'imposture de
la civilisation. La parole, ici, devient chant et les images épousent
les formes imprévisibles des mots. C'est une parole unique, à
plusieurs hauteurs, qui s'enroule et se déroule telle une flamme, un
embrasement qui est un combat, aux différents degrés de la réalité
sociale, poétique et spirituelle.
Bibliographie
- Ces éclats de liberté, L'une et l'autre éditions,
576 pages, 2008
- Ici, Sens & Tonka éditeurs, 168 pages, 2001
- Vide-poches ou aide-mémoire, Sens & Tonka éditeurs,
72 pages, 2003
- Debord « dans le bruit de cataracte du temps »
suivi de Préliminaires pour une définition de l'unité
du programme révolutionnaire, par G.-E. Debord et P. Canjuers
(1960) augmenté d'un Post-scriptum (2004), Sens & Tonka
éditeurs, 96 pages, 2005.
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Varia : cent ans d'échanges aériens entre la France
et la Chine
France-Chine 2014
« Aujourd'hui, au départ de la France, plus
de cent vingt cinq vols hebdomadaires sont proposés vers neuf destinations
chinoises en dix à douze heures et des partenariats sont établis
entre Air France et les compagnies China Eastern et China Southern. Les villes
desservies, outre Beijing et Shanghai, sont Canton, Hongkong et, dernière
en date, Wuhan où sont installées d'importantes entreprises françaises.
Pour sa part, KLM dessert également Hangzhou, Taipei, Xiamen et Chengdu.
Cela fait d'Air France-KLM le premier transporteur européen pour les
liaisons Europe-Chine à partir de Paris et d'Amsterdam.
« Cependant il faut rappeler que la "relation"
aéronautique entre la France et la Chine précède l'établissement
des lignes aériennes (Le célèbre aviateur Maurice Noguès
établit le service régulier en 1928) : le 18 mars 1911 à
Hongkong, c'est un appareil français "Farman IV" piloté
par Charles Van der Born qui survole la ville. De même qu'en 1910, c'est
un "Blériot" aux mains d'un pilote russe qui avait survolé
la Cité interdite. Le premier vol effectué à Shanghai le
fut par le Français René Vallon le 24 avril 1911. En 1913, le
constructeur et pilote français René Caudron survole Beijing sur
son biplan. Les autorités chinoises de l'époque, très intéressées,
commandent une escadrille de douze "Caudron G3", pou la belle somme
de 300 000 dollars ! Le constructeur assurera lui-même la livraison et
la mise en service en Chine. Une partie de l'escadrille (4 appareils) fut même
engagée contre la révolte paysanne du "Loup blanc" par
Yuan Shi Kai, successeur de Sun Yat Sen à la tête de la toute nouvelle
République de Chine instaurée en 1912.
« Le 24 avril 1924, Georges Pelletier d'Oisy et Lucien
Besin relient Paris à Shanghai sur un monomoteur "Breguet 19"
en douze escales et atterrissent le 20 mai venant de Hanoï : quatre vingt
dix heures de vol en vingt sept jours pour 16 450 kilomètres ! Leur objectif
étant Tokyo, ils repartent à bord d'un avion "Breguet 14"
prêté par le gouvernement chinois (l'avion initial s'était
cassé à l'atterrissage), via Pékin pour les derniers 4
300 km de leur périple bouclé le 9 juin. »
Extrait de « Cent ans d'échanges aériens entre
la France et la Chine », une enquête de Janik et Jacques Debord,
revue Institut Confucius, n° 21, novembre 2013.
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Carnet : Pierre Salinger : dix ans déjà
L'amitié franco-américaine est quelque chose qu'on peut toucher
du doigt et du cur dans les Jardins de Poppy, au Thor, en Vaucluse. Nicole
Salinger Le Cesne, alias Poppy Salinger, est l'âme de cette fondation
d'excellence auréolée du souvenir de Pierre Emil Salinger (1925-2004),
porte-parole et ami du président John Fitzgerald Kennedy. En octobre
1995, à la sortie de son ouvrage De mémoire, aux éditions
Denoël, l'université de la Méditerranée et la FNAC
(Fédération nationale d'achats des cadres) avaient invité
Pierre Salinger à Marseille pour un cycle de conférences. L'accompagnant
dans ses déplacements, j'ai pu apprécier l'intelligence de la
simplicité et l'inlassable curiosité du personnage. Connaissant
bien la cité phocéenne, il s'amusait beaucoup de mes difficultés
à m'orienter à travers le réseau urbain. En fait, c'est
plutôt lui, le porte-parole des présidents américains J.
F. Kennedy et Lyndon Baines Johnson, qui m'indiquait le chemin à prendre
! Volubile et trapu, le regard perçant sous des sourcils broussailleux,
il y avait chez lui une vivacité d'écureuil, une malice et une
gentillesse de singe qui le faisaient aimer par tout le monde. Il y avait aussi
chez le journaliste chevronné et le pianiste inspiré la passion
de la vie et du métier, qui sont deux synonymes
Lucky Pierre, ainsi
qu'on le surnommait, est mort le 16 octobre 2004 à Cavaillon. Dix ans
déjà. (Jeudi 5 juin 2014)
De la critique
Suis-je affecté de cet incorrigible académisme littéraire,
marotte des critiques formalistes ou vétilleux qui privilégient
la forme plutôt que le fond ? Je ne le crois pas. Je reste cependant très
proche des artisans de l'écriture aux principes esthétiques affirmés,
ceux-là même qui prennent encore le temps de tailler, polir, poncer,
mûrir leurs phrases, jusqu'au point où la tension poétique
les rend irréfutables, fragiles et fortes comme un cur battant. (Mardi 10 juin 2014)
Billet d'humeur
Histoire(s) d'Europe
« L'Europe est un concept politique neuf, considère
Christophe Bellon (dans son ouvrage Briand l'Européen, La Documentation
française, 2009) ; ce n'est pourtant pas une idée récente. »
Déjà, au XVIIIe siècle, l'abbé Charles Castel de
Saint-Pierre, homme d'Église normand, écrivain, diplomate et académicien,
élabore, en marge de ses monumentaux Ouvrages de politique et de morale,
un « Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe ».
En février 1855, aux proscrits de Jersey, Victor Hugo (1802-1885) fait
miroiter les atouts d'une République européenne fédérale.
« Le continent serait un seul peuple, les nationalités
vivraient de leur vie propre dans la vie commune », entrevoit
le poète et dramaturge qui imagine déjà « une
monnaie continentale, à double base métallique et fiduciaire »
! Au début du siècle dernier, l'historien Anatole Leroy-Beaulieu
(1842-1912) évoque pour la première fois les « États-Unis
d'Europe ». Il n'en faut pas plus à un autre Européen
convaincu, Aristide Briand (1862-1932), pour reprendre la fameuse expression
en 1922. « Nous allons bientôt nous trouver enserrés
par deux puissances formidables, les États-Unis et la Russie, lance-t-il,
alors ministre des Affaires étrangères, à son collaborateur
l'ambassadeur Jules Laroche, vous voyez qu'il faut faire les États-Unis
d'Europe. »
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Lecture critique
Un bel exercice de vulgarisation sur les OGM
Quelles que soient les réticences sur les OGM (organismes génétiquement
modifiés) en France et dans une Europe élargie, quelles que soient
les informations contradictoires des pouvoirs publics et des scientifiques,
les industriels sont convaincus que nous vivons, avec les biotechnologies végétales,
une révolution équivalente à celle de l'informatique.
Une directive européenne définit, en 1992, l'OGM comme « un
organisme dont le matériel génétique a été
modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par
multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Ce qui le
différencie des plantes de culture classique, espèces également
mutantes issues d'une sélection ancienne, c'est l'introduction d'un fragment
étranger d'acide désoxyribonucléique (ADN). Fondement de
l'information génétique, l'ADN doit l'universalité de son
codage au moine et botaniste autrichien Johann Mendel (1822-1884) qui a démontré
en 1856 la transmission des caractères génétiques et pressenti
l'existence des gènes en décrivant les mécanismes de l'hérédité
à partir de l'hybridation de pois.
« L'année 1978 est celle où, pour la première
fois, une bactérie génétiquement modifiée produit
de l'insuline humaine, rappelle l'écrivain Frédéric
Denhez (né à Cambrai, en 1970) dans son livre OGM : le vrai
du faux. Elle sera commercialisée dès 1982. En 1980,
on découvre qu'une bactérie du sol Agrobacterium tumefaciens
est capable, grâce à son plasmide, de transférer
ses gènes aux cellules d'une plante. »
La première plante transgénique un tabac résistant
à un antibiotique est produite en 1983 par une équipe belge
(l'année précédente naît la première souris
transgénique). Les premiers végétaux de grande culture
(soja, maïs, coton) sont cultivés à grande échelle
à partir de 1996, essentiellement dans les deux Amériques.
Ouvrage d'une excellente vulgarisation, OGM : le vrai du faux
permet de comprendre les enjeux de la bataille des OGM et de réfléchir
sur l'avenir de l'agriculture ainsi que sur les risques éventuels de
la transgénèse pour la santé et l'environnement. S'il dénonce
le hors-sol et l'artificialisation des pratiques agraires, la malbouffe et la
permanence d'un système industriel qui appauvrit les pays pauvres et
enrichit les plus riches, il accorde au débat sur les OGM le mérite
de reparler d'une agriculture différente et de ses praticiens acquis
à la rotation des plantations, aux prairies permanentes, aux cultures
sans labours, à la localisation de la production, à la polyculture,
somme toute aux vertus d'une agriculture raisonnée.
« À l'heure actuelle, convient l'auteur, les organismes
génétiquement modifiés sont indispensables à la
connaissance du vivant et à la fabrication de médicaments. Mais
dans le domaine de l'agriculture, l'utilité des maïs, colza, soja
et coton transgéniques reste à démontrer. »
Frédéric Denhez interroge : « Les OGM nous font
peur parce qu'ils sont incertains ? Alors réduisons l'incertitude ! Pas
en arrêtant, mais en avançant. En cherchant. » Il
suggère : « Que les OGM soient enfin l'occasion de financer
et de développer l'éco-toxicologie, discipline en décrépitude
en France ! L'expertise nous manque, jusque dans les commissions internationales
où nous ne sommes plus en position d'influer sur les réglementations
et sur les directives. Pour savoir, il faut comprendre, et nous ne nous donnons
pas beaucoup de moyens pour ce faire. »
Selon lui, pour sortir de l'impasse des OGM, il importe de continuer à
débattre, en toute connaissance de cause, et à chercher, avec
le plus grand discernement : les enjeux, humains et naturels, du génie
génétique sont considérables.
- OGM : le vrai du faux, par Frédéric Denhez, éditions
Delachaux et Niestlé, 156 pages, 2013.
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Portrait
Jean Ferrat chantait comme on s'insurge
À sept ans, les trains le font rêver parce qu'ils supposent le
voyage, l'aventure, l'évasion, l'inconnu : « Il se verrait
bien contrôleur des wagons-lits », observe le journaliste (du
quotidien Le Monde) Robert Belleret (1946, Bécon-les-Bruyères)
dans Jean Ferrat, le chant d'un révolté. Quatrième
et dernier enfant d'un artisan joaillier, juif émigré de Russie,
et d'une fabricante de fleurs artificielles, Jean Tenenbaum naît à
Vaucresson, près de Versailles, le 26 décembre 1930. La musique
berce le quotidien de la famille. Soprano léger, la mère, Antoinette,
est sollicitée aux repas de famille pour interpréter les airs
de Manon (Jules Massenet) et de Lakmé (Léo Delibes).
Jean possède, pour tout instrument, un pipeau dont il joue à tout
bout de champ. En 1988, une série d'entretiens à Radio-France
Drôme, sous le titre Ardéchois cur fragile, le conduit
à siffler, de mémoire, les pages éparses d'uvres
mozartiennes, Concerto pour flûte, 40e symphonie en sol mineur
ou Petite Musique de nuit, qu'adolescent il interprétait par cur
à la flûte champêtre.
En 1942, le drame frappe les Tenenbaum : son père, Mnacha (Michel), d'origine
caucasienne, est raflé et déporté à Auschwitz où
il meurt quelques jours après son internement. Des militants communistes
prennent en charge la mère et ses quatre enfants. Plus de vingt ans plus
tard, après avoir vu le film éponyme d'Alain Resnais (1956), Jean
devenu Ferrat écrira la chanson Nuit et Brouillard, à la
mémoire de son père et des victimes des camps de concentration
nazis. En outre, il restera, toute sa vie, un des plus fidèles sympathisants
du Parti communiste, sans y adhérer toutefois et gardant jalousement
la liberté de dénoncer, quand il le jugeait nécessaire,
les dérives de ses dirigeants.
De Jean Laroche à Louis Aragon
Contraint de quitter, après la guerre, le Conservatoire national des
arts et métiers (en vue d'une carrière d'ingénieur chimiste),
il entre dans un laboratoire de chimie du bâtiment. En dehors du temps
d'apprentissage, il monte sur les planches et fréquente le Théâtre
national populaire (TNP) de Jean Vilar. Simultanément, il apprend la
guitare afin d'intégrer un jazz-band "New Orleans".
Pourtant, c'est la chanson qui est devenue sa vraie passion. Elle se nourrit
des succès de Charles Trenet, Léo Ferré, Yves Montand,
Francis Lemarque, Henri Salvador et Marcel Mouloudji. Aussi visite-t-il les
maisons d'éditions musicales dans l'espoir de dénicher des chansons
inédites pour ses prestations dans les cabarets parisiens des deux rives.
En 1953, il renonce à son patronyme et choisit Jean Laroche pour pseudonyme.
Il doit en changer assez vite parce que les registres de la Société
des auteurs-compositeurs, où il est admis en qualité de mélodiste
en 1957, recensent déjà un "Laroche". Dépliant
une carte de France, il pointe au hasard du littoral méditerranéen
la cité de Saint-Jean-Cap-Ferrat : il sera Jean Ferrat, un nom qui
sonne bien, selon lui, et qui n'est pas très éloigné
de Ferré
. À la Rose rouge, chez Milord l'Arsouille
ou bien à la Colombe, cabarets où il interprète
surtout les créations d'Yves Montand, les débuts sont difficiles.
Lecteur précoce de poésie (Guillaume Apollinaire, Francis Carco
et Pablo Neruda en particulier), il découvre à ce moment-là
Les Yeux d'Elsa (1942) de Louis Aragon qu'il met en musique en 1956.
L'ancien surréaliste est flatté mais c'est André Claveau
qui enregistre la chanson. Le chanteur et l'écrivain se rencontrent en
1961. D'autres adaptations aragoniennes suivront jusqu'en novembre 1994 où
Michel Drucker (chaîne de télévision France 2) invite le
chanteur à l'occasion de la sortie de l'album Ferrat 95 où
il interprète seize poèmes d'Aragon.
Poète engagé et chanteur populaire
En 1956, Jean Ferrat tombe amoureux de Jacqueline Boissonnet, une chanteuse
de 25 ans qui a choisi pour nom de scène Christine Sèvres. Ils
se marient en 1961, après cinq ans de vie commune, à Ivry-sur-Seine
où réside le couple.
L'interprète sort de l'anonymat en 1960 avec un deuxième disque
45 tours qui contient Ma môme, une romance populiste dévolue
à la France des gens et des bonheurs simples : « Ma môme,
ell' joue pas les starlettes/Ell' met pas des lunettes/De soleil/Ell' pos' pas
pour les magazines/Ell' travaille en usine/À Créteil. »
La chanson caractérise assez bien la veine mélodiste et militante
du lauréat 1963 de l'Académie Charles Cros. Certes, il cultive
dans ses compositions le sentiment amoureux et les petits riens de la vie quotidienne,
mais il en accorde la plus grande part à la défense des droits
et des libertés. Cet engagement politique et polémique fonde assurément
la réussite durable de l'auteur-compositeur-interprète, mais il
lui vaudra aussi des démêlés épisodiques et répétés
avec la censure, plus spécialement avec Nuit et brouillard
(1963), Potemkine (1965), Ma France (1968), Au
printemps de quoi rêvais-tu ? (1969) et Un air de liberté
(1975).
Jean Ferrat sait s'entourer. Très tôt, il bénéficie
de collaborations brillantes, tels Pierre Frachet, Georges Coulonges, Henri
Gougaud, Philippe Pauletto, Michèle Senlis, Guy Thomas (paroles et/ou
musiques), Isabelle Aubret, Zizi Jeanmaire, Francesca Solleville (interprètes),
Alain Goraguer (chef d'orchestre et arrangeur), Eddie Barclay et Gérard
Meys (éditeurs).
En 1972, l'auteur comblé de La Montagne (1964) et de C'est
beau la vie (1970) abandonne la scène. Deux ans plus tard, le
couple se retire en Ardèche, près de Vals-les-Bains, à
Antraigues-sur-Volane dont il devient conseiller municipal et qu'administre
le maire communiste et artiste peintre Jean Saussac. Si ses interventions médiatiques
se font plus rares, il n'en continue pas moins de composer avec le plus grand
bonheur entre autres La femme est l'avenir de l'homme (1975),
Je ne suis qu'un cri (1985), Dans la jungle et dans le
zoo (1991) complétant une uvre profuse et éclectique
estimée à quelque deux cents chansons.
Veillé par Colette Laffont, sa seconde femme, Jean Ferrat meurt le 13
mars 2010 à l'hôpital d'Aubenas des suites d'un cancer (la même
affection avait emporté Christine Sèvres, en 1981, à Marseille).
Parmi les hommages rendus au disparu, j'ai retenu les mots d'une de ses plus
chères amies, la chanteuse Juliette Greco, parce qu'ils sont bouleversants
de vérité : « Jean était un être généreux
dans le sens noble du terme. Il n'a jamais rien pris à personne. Il a
tout donné à tout le monde. Jean Ferrat chantait comme on s'insurge.
Il était un homme de conviction, mais un homme libre. »
- Jean Ferrat - le chant d'un révolté, par Robert
Belleret, éditions de l'Archipel, 462 pages, 2011. En couverture, une
composition réalisée à partir d'une photographie d'Alain
Marouani qui a suivi le chanteur et compositeur durant toute sa carrière.
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Varia : nom, prénom et jurisprudence
Si le nom a pour fonction première de permettre à l'État
et à ses administrations de distinguer les individus, la finalité
du prénom est d'identifier les personnes au sein d'une même famille.
Le nom jouit d'une certaine protection et constitue dans certains cas un droit
de propriété. Comme pour le nom de famille, s'il est obligatoire
et immuable, le prénom peut faire l'objet d'un changement aux termes
d'une procédure judiciaire.
« Le choix de prénom farfelu ou ayant une connotation péjorative
ou grossière peut être contraire à l'intérêt
de l'enfant et constituer un motif pour l'officier d'état civil de saisir
le procureur de la République. La jurisprudence est assez fluctuante
en la matière et dépend du pouvoir d'appréciation souverain
du juge.
« Ainsi, la Cour de cassation a estimé que, par sa trop grande
fantaisie et son originalité, le prénom, " Fleur de Marie
", serait-il celui porté par l'héroïne d'une uvre
de littérature française célèbre (Les Mystères
de Paris, d'Eugène Sue), risquait de nuire à l'intérêt
de l'enfant (Cour de cassation, 1re chambre civile, 1er octobre 1986).
« À l'inverse, la cour d'appel de Rennes, dans un arrêt
du 4 mai 2000, a débouté le ministère public dans sa demande
de suppression du prénom Mégane, ce dernier estimait que l'association
du prénom avec le nom Renault renvoyait inéluctablement à
la marque de véhicules automobiles. La cour d'appel a considéré
que la durée de vie d'une marque de véhicules automobiles était
relative, en d'autres termes appelée à disparaître rapidement. »
La législation autorise la dévolution de quatre prénoms
distincts mais pas davantage. Parmi les prénoms communément admis
figurent : ceux tirés de la mythologie, tels Achille, Diane et Hercule,
les prénoms propres à des idiomes du territoire national (basques,
bretons, provençaux, etc.), certains prénoms étrangers
comme Ivan, Nadine, Manfred et James, d'autres correspondant à des vocables
pourvus d'un sens précis (tels : Olive, Violette, etc.) ou même
à d'anciens noms de famille (comme Gonzague, Régis, Xavier, Chantal,
etc.), les prénoms composés, à condition qu'ils ne comportent
pas plus de deux vocables simples (tels : Marie-France et Jean-Pierre, mais
non Jean-Paul-Yves, qui accolerait trois prénoms). Les officiers de l'état
civil tolèrent certains diminutifs comme « Ginette »
pour Geneviève, « Annie » pour Anne, ou même
« Line », tiré des prénoms féminins
présentant cette désinence. Ils acceptent généralement
la contraction de prénoms doubles (tels : « Marianne »
pour Marie-Anne, « Marlène » ou « Milène »
pour Marie-Hélène, « Maïté »
pour Marie-Thérèse, « Sylvianne » pour Sylvie-Anne).
Certaines variations d'orthographe sont aussi validées, à l'instar
de Michèle ou Michelle, Henri ou Henry, Ghislaine ou Guislaine, Madeleine
ou Magdeleine, entre autres.
D'autre part, le surnom ou le sobriquet ainsi que le pseudonyme - notamment
en matière littéraire ou artistique n'ont aucune incidence
sur les actes de l'état civil et ils ne peuvent être transmis à
leurs descendants. Toutefois, l'adoption d'un pseudonyme comme nom de famille
a été acceptée de manière restrictive dans le cadre
de la procédure de changement de nom de l'article 61 du Code civil.
Extraits et commentaires tirés de « Le Nom de famille »,
de Jean-Philippe Borel, docteur en droit, chargé de cours à l'université
Paris V et au Centre national de la fonction publique territoriale Poitou-Charentes,
Territorial éditions, 154 pages, 2014.
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Carnet : le peignophone de Boris Vian
J'ai croisé des inconditionnels de Boris Vian avant-hier soir, à
la fête de la musique. Figurez-vous qu'ils jouaient du peignophone
dans les rues de Nîmes, cet instrument cher à l'auteur de L'Écume
des jours. « Produisant un son comparable à celui
de la trompette bouchée, cet instrument est apprécié en
cours d'anglais et de physique où chacun s'étonne de la virtuosité
musicale et du sens du rythme de Boris Vian. » C'est Valère-Marie
Marchand, sa biographe, qui le raconte dans Boris Vian - le sourire créateur
(éditions Neige Écriture, 2009). Il est vrai que l'écrivain
et poète adhère depuis peu au Hot Club de France et qu'il s'exerce
à toutes sortes de résonances : chez lui, à la villa des
Fauvettes de Ville-d'Avray, transformée en boîte de jazz, et au
lycée de Sèvres où il compose en tapotant les pieds de
son pupitre ou le bord de son encrier. (Lundi 23 juin 2014)
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