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des Papiers collés

Les Papiers collés
de Claude Darras

Printemps 2019

Carnet : l’homme et la province
La province. On n’imagine pas à quel point le fait de recevoir les nouvelles trop tard annule la gravité des événements. À quel point on se rend compte de notre impuissance, quant à leur maléfisme. Mais l’homme est une province, incomparablement plus lointaine que tout exil.
(Georges Perros, « Papiers collés » I, Gallimard/l’Imaginaire, 1960-2011)

Démodé ?
T’es passé d’mod’, mon pauv’ vieux !
Tu t’sers cor des points et des virgules !
Tu ponctues !
T’es vieux jeu !
T’as eu ton temps, qu’ils disent.
AVEC TES TRUCS
Et tes vers,
On n’peut pas gueuler !
Nous, faut que ça pète !
Et merde et merde !
Ah ! Ah ! Ah !
Notr’eau
javellisée
frissonnerait plus !
N’y a que la
mousse des lessives !
(Jules Mougin, « Correspondance », dans une lettre à Claude Billon, 14 juin 1984)

Papiers collés, une chronique
Ces Papiers collés que vous lisez constituent une chronique. Une chronique, en grec, c’est kronos, le temps. Je tente de tenir, le mieux possible, la chronique du temps qui passe. Je tente de saisir l’air de ce temps, cette chose mystérieuse et impalpable, au travers de mes lectures, de mes passions, de mes émotions. J’essaie ensuite de restituer mes impressions sur les moments les plus saillants afin de les faire partager par mon vis-à-vis, le lecteur.

Battements de cœur et d’émotion
J’apprécie l’écrivain Paul Morand (1888-1976) à plus d’un titre dont celui de défendre et d’illustrer le style. « Difficile de résumer le style de Morand, observe l’écrivain et critique François Bott, difficile de résumer ce mélange de grammaire et de magie, d’élégance et d’émotion, de battements de cœur et de correspondance des temps, de charme et de futur antérieur. Puis il y a le toucher de mot, l’art des raccourcis, la musique rapide des phrases, l’acuité du regard et cette façon de traiter ensemble les petits événements et les grandes affaires. » Certaines de ses sentences sont du plus bel Orient : « Venise se noie, c’est ce qui pouvait lui arriver de plus beau », « On peut feindre d’avoir du cœur, pas d’avoir de l’esprit » et « L’apéritif, c’est la prière du soir des Français. »

Poséidon déchaîné à Stralsund


Les éléments en majorité ferriques de notre Poséidon déchaîné composent une sculpture fantasque figurant un drôle de personnage qui arrête les visiteurs pressés du port de Stralsund (Allemagne). La cité du Mecklembourg qui procède de la fameuse liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2002 était au Moyen Âge une ville de la ligue hanséatique. Son centre historique a pratiquement conservé le caractère médiéval de ses infrastructures qui équipaient toute ville libre selon le droit de Lübeck. Le commerce maritime y était florissant sous la tutelle des guildes de marchands de la communauté. Daniel Cyr Lemaire est tombé sous le charme de ses six églises monumentales de style gothique en briques rouges et de son musée de la Mer.

Sur le port de Stralsund,
le mercredi 3 octobre 2018
© Photo Daniel Cyr Lemaire



Les licences de John Constable
À parcourir le foisonnant atlas du Britannique John Constable (1776-1837), le père du paysage romantique, il arrive qu’on se perde aux croisements, mais toujours on y reconnaît ses principales balises, celle du Suffolk, des bords de Manche et de l’univers rural de son enfance. S’il exécute souvent de petits croquis au crayon et à l’huile et s’il dessine les détails dans des cahiers, il recompose dans son atelier londonien les scènes de mémoire, laquelle flanche parfois. Ainsi, change-t-il de temps à autre l’ordre des choses et des décors : il déplace le clocher d’une église, maquille l’architecture d’un manoir, dévie le cours d’une rivière. On ne prête qu’aux génies pareille licence.
(Jeudi 20 décembre 2018)

Pas d’armistice pour le français !
Quand on lui demandait des nouvelles de la santé du français, l’écrivain et pamphlétaire Jean Dutourd (1920-2011) redisait que « le combat pour la langue est une affaire de survie de l’âme française ». L’académicien prétendait que la langue de Molière était « attaquée de tous les côtés par une langue étrangère mieux adaptée que la nôtre, dit-on, à la société scientifique et industrielle qui s’est abattue sur le monde depuis la victoire des États-Unis sur l’Allemagne le 8 mai 1945 ».
(Mercredi 23 janvier 2019)

Animal à plume…
J’adore la description de l’écrivain par Charles Dobzynski (1929-2014), écrivain lui-même et poète : « Les spécialistes de la biographie savante, explique-t-il, placent un auteur sur la lamelle de leur microscope et le scrutent en détail. Ce sont des entomologistes de cet animal à plume : l’écrivain, dont les faits et gestes exigent d’être disséqués, soigneusement analysés, afin d’être mis à la portée des lecteurs imprévoyants ou inattentifs qui n’auraient saisi d’une œuvre ou d’une destinée que leur apparence ou leurs reliefs… »

Poésie claudélienne
Publié en 1910, « Cinq grandes odes » de Paul Claudel reste, avec l’ouvrage de réflexions et de pensées, « L’Œil écoute » (1946), un des livres de Paul Claudel (1868-1955) que j’aime relire. Certains des mots qu’il utilise dans ce recueil sont ouverts à d’autres sens possibles que ceux fixés par le dictionnaire. « Les mots que j’emploie, explique le dramaturge et poète, ce sont les mots de tous les jours et pourtant ce ne sont pas les mêmes. » Commentateur inspiré du dramaturge et poète, le poète et essayiste Lionel Ray (Mantes-la-Ville, 1935) prétend que ces mots-là « occupent dans le vers ce moment intermédiaire entre la convention lexicale et leur aspiration à autre chose ».
(Mercredi 6 février 2019)



Billet d’humeur

Il était une fois le nain de jardin…

Dès l’Antiquité, les souverains se plaisent à intégrer à leur cour, au côté de leur bouffon, des personnages de toute petite taille. Les Romains représentent leurs nains favoris en statues et l’empereur Auguste, fils adoptif de Jules César, dote même le sien, coulé dans le bronze, de deux diamants ! Au XVIe siècle, les nains apparaissent dans les jardins des nobles italiens parmi les héros mythologiques, les déesses et les nymphes, avant d’occuper l’Europe entière. Les deux siècles suivants, le nain de jardin se répand en Allemagne et en Autriche où la production industrielle et minière le transforme en l’affublant d’un bonnet, d’une barbe blanche et d’habits bariolés. À partir de 1937, le lilliputien de céramique perd ses caractères germaniques hérités du Moyen Âge et prend l’aspect des personnages imaginés par Walt Disney pour Blanche-Neige et les sept nains. Le cinéaste et producteur américain s’est en fait inspiré des Nains magiques imaginés par les linguistes et écrivains allemands Jacob et Wilhelm Grimm (XVIIIe-XIXe siècles).



Lecture critique

Franz Liszt, virtuose du clavier et compositeur éclectique

Sceptique envers les enfants prodiges, Ludwig van Beethoven (1770-1827) avait néanmoins tenu à se rendre à la Redoutensaal de Vienne, le 13 avril 1823, afin d’entendre un jeune pianiste de 11 ans. Franz Liszt l’avait littéralement subjugué par un incroyable jeu, une virtuosité qui avait soulevé d’enthousiasme l’assistance et amené Beethoven à quitter son fauteuil du premier rang, à gravir l’estrade et à baiser le front du jeune pianiste !
Pourtant, Franz Liszt ne fut pas seulement le merveilleux virtuose du clavier et le compositeur au catalogue prodigieusement éclectique : il aura durablement marqué la musique classique au point de la faire entrer dans une toute nouvelle ère. Parmi ses compositions, il convient de citer : pour le piano, Années de pèlerinage (1834), Grande Sonate en si mineur (1853), Rhapsodies hongroises (1860), pour l’orchestre, Faust Symphonie (1854), Dante Symphonie (1856), pour la voix, Missa solemnis (1855), Missa choralis (1865) et la Messe hongroise du Couronnement (1867) qui fut jouée pour la première fois le 8 juin 1867, à Budapest, en l’honneur de l’empereur François-Joseph et de la reine  Élisabeth. On lui doit de nombreux lieder et oratorios comme Christus (1866). Ainsi que des transcriptions sur des œuvres de Bach, Beethoven, Berlioz…

Plébiscité par Beethoven à 11 ans !
Issu d’une vieille famille hongroise, il est né le 22 octobre 1811 à Doborján (aujourd’hui Raiding, cité autrichienne). Adam Liszt, son père, est le régisseur des bergeries du prince Nicolas Esterházy, dans le village alors hongrois de Doborján. Musicien lui-même jouant du violon, de la guitare, de la flûte et du piano, il est le premier professeur de son fils. Élève brillant, Franz intègre les cours de Karl Czerny et d’Antonio Salieri à Vienne où la famille Liszt vient de se fixer. En 1923, père et fils se rendent à Paris, la ville-lumière, où le directeur du Conservatoire national de musique, le compositeur Luigi Cherubini, refuse d’accueillir le jeune virtuose parce qu’il n’est pas Français. Les efforts du prince Klemens de Metternich n’y feront rien mais les salons puis les salles de concert et les théâtres parisiens consacrent l’excellence de l’exécutant. L’étape parisienne marque le premier jalon d’une pérégrination triomphale à travers l’Europe ; elle confirme l’attachement de Franz Liszt aux lettres françaises. « Avec passion, écrit Marie de Miserey, Franz se plongea dans le "Génie du Christianisme" et "René". Il dévore pêle-mêle Montaigne, Pascal, Victor Hugo, Voltaire, Sainte-Beuve, Lamartine… Le petit Hongrois s’enflamme pour nos écrivains et se précipite chez le distingué François-Auguste Mignet : - Monsieur Mignet ! apprenez-moi "toute" la littérature française ! » Il donne des cours de piano à Paris et fréquente le milieu romantique, rencontrant Hector Berlioz, George Sand, Alfred de Musset, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Eugène Delacroix, Lamartine, Niccolo Paganini et le facteur de pianos Sébastien Érard. En 1833, il rencontre Marie de Flavigny, comtesse d’Agoult et écrivain sous le pseudonyme de Daniel Stern qui lui donnera trois enfants dont la future Cosima Wagner. Il sera un des tout premiers à encourager Richard Wagner (1813-1883), de deux ans son cadet.

L’abbé meurt dans les bras de sa fille Cosima
Maître de chapelle à Weimar, de 1847 à 1860, il produit plusieurs créations de son ami comme il porte à l’affiche Beethoven, Haendel, Mozart, Gluck, Berlioz ainsi que Robert Schumann qu’il décrit en ces termes : « Ce sentimental grave, hésitant et doux, ce porteur de rêves un peu tremblés, comme un paysage à la Corot ». En 1861, il débute un séjour à Rome où il sympathise avec Ingres, le directeur de l’École française de Rome : « Ensemble, ils interprétaient Beethoven, évoque Marie de Miserey, visitaient les salles du Vatican, se promenaient en causant sous les chênes de la Villa Médicis ». En fait, il a rejoint à Rome la princesse Carolyna de Sayn-Wittgenstein qui, rencontrée en Russie, est venue solliciter l’annulation de son mariage pour l’épouser. Mais tous deux décideront de se séparer. Le compositeur se consacre désormais à des œuvres religieuses et il vit en ermite à Monte-Mario dans un cloître de la Madonna del Rosario où l’archiviste du Vatican l’a installé. Le 25 avril 1865, après une retraite chez les Lazaristes, Franz Liszt reçoit les ordres mineurs, tonsure et soutane, premier degré de l’ordre ecclésiastique. Pourtant, la nouvelle condition ne le satisfait pas et le nouvel abbé reprend le chemin de la musique via Paris et Weimar. Il fonde une académie de musique à Budapest, y enseigne le piano, tout en conservant son activité à Rome et à Weimar. En 1883, le mort de Wagner l’affecte profondément. Lors d’un voyage au festival de Bayreuth en 1886, il contracte une congestion pulmonaire et il s’éteint dans les bras de sa fille Cosima le 31 juillet 1886. Budapest et Weimar se sont disputé ses cendres. Mais, conformément à sa volonté, il a été enterré à Bayreuth, près de son ami Richard Wagner.

  • Liszt, par Marie de Miserey, illustrations de Jacques Ravel, Éditions et Imprimeries du Sud-Est (Eise), distribué par Pierre Téqui éditeur, 100 pages, 1959/1971.

 

Liszt choisissait ses pianos à Marseille

Tout au long du XIXe siècle, une manufacture marseillaise rivalise avec les facteurs de pianos dont les réputées maisons parisiennes Pleyel, Érard et Gaveau. Chef-d’œuvre artisanal, un piano de concert signé Boisselot connaît un propagandiste génial en la personne de Franz Liszt. Le pianiste et compositeur hongrois ne veut pas d’autres instruments et se fait expédier des pianos Boisselot dans toutes ses tournées. En 1823, le fondateur de la maison, Jean-Louis Boisselot (1782-1847), quitte Montpellier pour Marseille où il vend des partitions et des instruments de musique rue Saint-Ferréol, avant de concevoir, dès 1831, avec son fils Louis-Constantin, son premier piano. Son cadet Xavier, prix de Rome et compositeur, dirige la maison à partir de 1850. Et son neveu Franz - le filleul de Liszt ! - lui succède, prolongeant la réussite de la manufacture jusqu’à la fin du XIXe s. À cette époque, la fabrique marseillaise emploie 150 employés et produit 400 instruments chaque année. Elle en produira jusqu’à 1 000 par an un peu avant la Première Guerre mondiale, période où elle disparaît.
« Le musicien conserva longtemps un piano "made in Marseille" dans sa résidence de Weimar où défilait d’Europe musicale, lit-on dans "Marseille Culture[s]", ouvrage dirigé par Jean Contrucci et Gilles Rof (HC éditions, 2012). On donnerait cher pour savoir si la création par le facteur marseillais d’un "piano monstre" (à plusieurs claviers), dont parle le musicien dans une correspondance, a reçu un commencement d’exécution et, si oui, ce qu’il a bien pu devenir… »



Portrait

Alberto Giacometti, l’inclassable

L’artiste est inclassable et de première grandeur, aussi bien comme sculpteur que comme peintre et comme dessinateur. Mais le dessin fut pour lui le domaine fondamental, celui qui est au fondement des deux autres, celui où ses aptitudes naturelles se révélèrent en premier. C’est ce que l’on retient, entre autres, de la biographie de Catherine Grenier, directrice de l’institut Giacometti depuis 2014 (précédemment directrice adjointe du Musée national d’art moderne Georges-Pompidou).
« Giacometti appartient à la génération qui a prophétisé la mort de l’art, du moins dans ses formes conventionnelles, considère la biographe. Il a pourtant choisi de renouveler le dialogue avec la tradition, en mobilisant toutes les forces de la créativité qui l’habite dans la quête d’une compréhension intime de l’acte de création. Aucun artiste du XXe siècle n’aura, comme lui, volontairement réduit les sujets de son art à l’essentiel, pour creuser chaque jour la même question. Tête, figure féminine, figure masculine : trois motifs élémentaires auxquels il a consacré l’essentiel de son œuvre. Trois motifs qui peuvent se résumer en un terme : la représentation de l’humain. »

De l’atelier paternel à la Grande Chaumière
L’artiste est un montagnard des Grisons d’ascendance italienne, né le 10 octobre 1901 à Borgonovo, dans le val Bregaglia, au sud-est de la Suisse, non loin de Stampa. Il est le fils d’Annetta Stampa (1871-1964) et de Giovanni Giacometti (1868-1933), un peintre postimpressionniste de réputation moyenne et filleul du peintre fauve Cuno Amiet (1868-1961). Le couple aura trois autres enfants, Diego qui fut décorateur et bronzier, Ottilia et Bruno qui devint architecte. À 13 ans, Alberto réalise sa première sculpture, un buste de son frère Diego, suivi de celui de sa mère. Il observe avec beaucoup d’attention le travail d’atelier de son père tout en parcourant les livres d’art et les recueils de poésie : Novalis et Hölderlin en allemand, Leopardi en italien, sans parler des auteurs français qu’il découvre également dans le texte. « C’est cette culture "lotharingienne" qui, des années plus tard, le rapprochera de Balthus, remarque Catherine Grenier. Le romantisme et le symbolisme y conservent un rôle, même au sein des mouvements d’avant-garde. La philosophie et la littérature y ont une part importante, de même que la tradition, qui reste fondamentale pour l’éducation. Une culture qui imprimera durablement sa marque sur Alberto et oriente les choix qui préludent à sa carrière artistique. »
Dans les années 1920, père et fils travaillent ensemble sur les mêmes motifs, massifs alpestres et natures mortes. Ils posent l’un pour l’autre, le fils pour des dessins et des peintures, le père pour des huiles et des sculptures, des bustes que le modèle intègre dans ses propres compositions. S’il songe à Vienne pour poursuivre son apprentissage artistique, son père le convainc de s’établir plutôt à Paris afin de suivre les cours, non des beaux-arts, mais de l’Académie de la Grande Chaumière. Déjà, sous le tutorat d’Antoine Bourdelle, il travaille ses formes au canif. Il vit la nuit, fréquente les prostituées et rejette la sculpture classique au profit de l’art égyptien et des idoles cycladiques. À partir de 1922, lorsqu’il s’installe à Paris, il s’intéresse au cubisme et à l’abstraction avant de rejoindre, en 1929, les surréalistes. « Le goût pour les rébus et les images à double sens, observe Catherine Grenier, déjà manifesté dans des œuvres antérieures, est exalté par son adhésion au surréalisme, qui libère son imagination. La conception de l’image qu’il développe dans des objets est proche des métamorphoses de Masson, comme des "images doubles" de Dali. Mais il opte délibérément pour moins de narrativité et plus de mystère, injectant un contenu narratif et métaphorique dans des formes qui frôlent souvent l’abstraction. »

L’aboutissement de la figure humaine
Fidèle en amitié, Giacometti voit régulièrement à Paris Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, le galeriste Pierre Loeb et le compositeur Igor Stravinsky, Georges Bataille et André Breton, Louise et Michel Leiris, Pablo Picasso et sa compagne Françoise Gilot, Jean Cocteau et le peintre Christian Bérard. Il se lie avec Jean Arp, Jean Genet, Pierre Matisse, Joan Miró et Pierre Tal Coat. Il fait la connaissance de Max Jacob, Albert Einstein et Georges-Henri Rivière. Il rencontre l’écrivain Samuel Beckett et le philosophe Jean Starobinski. Plus tard, s’agrégeront au cercle profus des amis le philosophe japonais Isaku Yanaihara et le photographe Éli Lotar. Alberto Giacometti s’intéresse beaucoup à l’actualité, à la politique, et même à la stratégie militaire : « Il connaissait à fond les batailles de Napoléon ou d’Alexandre, affirme son ami l’écrivain Jacques Dupin. Je n’ai jamais compris pourquoi. » Sa vie sentimentale est tumultueuse et ses maîtresses nombreuses parmi lesquelles Denise, Flora Mayo, Caroline (Yvonne-Marguerite Poiraudeau) et, amitié éphémère, Marlène Dietrich.
Exclu du groupe des surréalistes en 1935, il se consacre de plus en plus à la figure humaine. De ses expérimentations d’alors sont issues les œuvres les plus connues, femmes nues longilignes des années 1950, bustes de son frère Diego (qui l’assiste dès 1926 dans les 23 m2 de l’atelier, au 46 rue Hippolyte-Maindron) et de sa femme Annette, bustes aux formes très étirées et inlassablement malaxées. Ces années-là, il peint et dessine beaucoup, d’après les modèles qui posent à l’atelier (Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Jacques Dupin, son premier biographe) et d’après des photographies et des reproductions de Cézanne, Dürer, l’Égypte et Velázquez. Il multiplie à bonne cadence les plâtres - son matériau préféré - retaillés au couteau de poche, rehaussés de dessins et de couleurs. À la fin de sa vie, Alberto Giacometti renoue avec la violence des têtes martyrisées et des créations anthropomorphiques des années 1930 : la boucle est bouclée. Alberto Giacometti meurt le 11 janvier 1966, à 65 ans, à l’hôpital de Coire (Suisse) où il était soigné pour une bronchite qui s’est transformée en pneumonie. « J’ai vu mourir Alberto, se souviendra le fidèle Diego, son frère. J’étais assis à son chevet, je lui tenais la main. Alberto me regardait ou plutôt scrutait les contours de mon visage, me dessinait des yeux comme il dessinait des yeux et transposait en dessin tout ce qu’il regardait. »

  • Alberto Giacometti, par Catherine Grenier, éditions Flammarion (collection des grandes biographies), 352 pages, 2017.

Lectures complémentaires :

  • Giacometti - La figure au défi, par Véronique Wiesinger, Découvertes Gallimard n° 513, 144 pages, 2007 ;
  • L’Atelier d’Alberto Giacometti, par Jean Genet, photographies d’Ernest Scheidegger, éditions Marc Barbezat, L’Arbalète - éditions Gallimard, 2007.


Varia : Machiavel était farceur et irrévérencieux…

« En 1513, Nicolas Machiavel, exilé à la campagne dans sa propriété d’Albergaccio, près de San Casciano, faisait part à son ami Francesco Vettori de la rédaction d’"un opuscule intitulé De principatibus", entreprise pendant ces mois d’oisiveté forcée. Avec le retour des Médicis à Florence un an plus tôt, Machiavel avait en effet perdu son poste de secrétaire qu’il avait occupé pendant quinze ans. Soupçonné d’avoir participé au complot contre le cardinal Giovanni, il dut s’acquitter d’une très forte amende et fut torturé, avant d’être libéré grâce à l’amnistie octroyée par Léon X, premier pape Médicis élu. […]
« Une gloire ambiguë, car, si l’œuvre le consacrait comme le fondateur de la science politique moderne, elle affirmait en même temps son image de conseiller cynique, exhortant le souverain à toutes les bassesses nécessaires pour conserver le pouvoir. D’où l’adjectif "machiavélique". D’où, également, les innombrables mentions de son nom - et de son Prince - pour symboliser une cruauté diabolique. Certains vont même jusqu’à supposer que l’expression populaire anglaise pour désigner le diable, "Old Nick", viendrait précisément dudit Nicolas.
« Bref, le secrétaire florentin allait continuer de vivre dans l’imagination des générations suivantes comme un personnage obscur et criminel (Bertrand Russell définissait Le Prince comme un "manuel à l’usage des gangsters"). Pourtant, le vrai Machiavel n’avait rien d’aussi sinistre ni d’aussi méchant. Au contraire, il était "farceur, irrévérencieux, pourvu d’une intelligence très fine ; peu soucieux de l’âme, de la vie éternelle et du péché ; fasciné par les grandes choses et les grands hommes", écrit Maurizio Viroli (dans Le Sourire de Nicolas). Mais la légende, c’est bien connu, a toujours le dernier mot, en bref : "print the legend", comme on dit en anglais, c’est-à-dire "Quand la légende devient la réalité, alors on publie la légende". […] »
Extrait de « Machiavel mène l’enquête », un article de Ranieri Polese, du Corriere della Sera, à propos de « 1502 », un ouvrage de Michael Ennis, critique littéraire issue du magazine Books n°46, septembre 2013.



Carnet : vanité d’auteur
Étrange impression l’autre jour, à la médiathèque Louis Aragon, de Martigues, lorsque j’ai parcouru les étagères dévolues aux beaux-arts : j’ai pu lire mon nom parmi ceux de mes compagnons de rayonnage. Quelle vanité !

Les orages de Hartung
Hans Hartung (1904-1989) avoue avoir surmonté, dès l’âge de six ans, à Leipzig, sa terreur des orages, en reproduisant sur ses cahiers d’écolier le tracé nerveux et zigzagant de la foudre : « Les éclairs, dira-t-il plus tard, m’ont donné le sens de la vitesse du trait, ils m’ont fait connaître l’urgence de la spontanéité ».
(Jeudi 28 février 2019)



Billet d’humeur

Le mystère du Loch Ness

À l’initiative de l’universitaire néo-zélandais Neil Gemmell (université d’Otago), une vingtaine de chercheurs internationaux analysent depuis 2018 les eaux du Loch Ness dans le but de lever le mystère de « Nessie », le monstre attaché au lac d’eau douce des Highlands, le plus important des îles Britanniques (avec 37 kilomètres de long et 226 mètres de profondeur). Depuis l’an 565 qu’il est apparu à la sainte irlandaise Columba, le monstre aquatique au long cou entretient la légende et attire les touristes de tous les méridiens. En fait, Neil Gemmell et son équipe vont passer le lac écossais au peigne fin de la génétique. Grâce au séquençage de l’ADN environnemental, une technique usitée dans le décryptage du génome humain, ils obtiendront l’inventaire complet des organismes peuplant le loch, de la simple bactérie au silure géant en passant. En effet, tout organisme se déplaçant dans les eaux tourbeuses du plan d’eau laisse nécessairement des fragments d’ADN qui proviennent de la peau, des écailles, des plumes, de la fourrure ou des déjections et qui restent détectables dans l’eau plusieurs jours. Tous les échantillons aquatiques collectés sont traités au Danemark et en France, au Laboratoire d’écologie alpine (LECA) de l’université Grenoble-Alpes. D’autres prélèvements ont été effectués dans trois lacs voisins, les lochs Gary, Morar et Oich, où vivraient d’autres monstres sans jouir du statut légendaire de Nessie.



Lecture critique

Les énigmes de l’intelligence animale peu à peu éventées

L’étude scientifique du comportement des espèces animales apporte régulièrement son lot de connaissances nouvelles. L’éthologie - c’est ainsi qu’on nomme cette discipline - n’en finit pas de chasser nombre d’idées reçues et de corriger autant d’erreurs commises au sujet de l’animal. Et nous pouvons prédire, sans risque de nous tromper, que de prochaines découvertes amélioreront encore notre perception et notre compréhension de la gent animale. C’est précisément parce que cette compréhension reste lacunaire qu’une journaliste de radio et de télévision, Yolaine de la Bigne (Paris, 1958), a créé en août 2016 l’Université d’été de l’animal qui se déroule en Ille-et-Vilaine, au château de la Bourbansais (Olivier de Lorgeril, propriétaire). Sensible à la dégradation de l’environnement et à la méconnaissance de l’animal, elle s’attache à réunir en cette occasion les meilleurs spécialistes de l’intelligence animale afin que leurs travaux soient communiqués au plus grand nombre dans un souci de vulgarisation.
Préfacé par Pascal Picq (Bois-Colombes, 1954), paléoanthropologue au Collège de France et parrain de la manifestation, un ouvrage rend compte des premiers travaux de l’université en question. Primatologue et professeur au Muséum national d’histoire naturelle, Sabrina Krief déplore la mortalité des chimpanzés et des orangs outans causée par la fièvre hémorragique du virus Ebola : « Si l’on regarde un peu la situation aujourd’hui, observe-t-elle, cinquante ans après que Jane Goodall a commencé à les étudier, 70 % de toutes les populations de grands singes ont disparu. À peine commençons-nous à les connaître et à les comprendre que pratiquement tous leurs représentants se sont déjà éteints. » Pierre Jouventin, ancien directeur de recherche au CNRS en éthologie des oiseaux et mammifères, s’amuse de l’histoire commune des deux cousins, chien et loup. « Entre le loup (en réalité les loups, car il en existe plus de vingt sous-espèces, dont le poids varie de 20 kilos, dans les déserts de l’Inde à 80 kilos dans le Grand Nord) et les chiens les plus récents, il y a tous les cas de figure : certains chiens comme le husky arctique et le basenji africain sont encore très proches du loup ; le dingo, qui s’est différencié dans l’isolement de l’Australie, est un chien amené par les premiers aborigènes qui est retourné à l’état sauvage, et qui occupe aujourd’hui la niche écologique vacante du loup sur cette île-continent ; une race comme le chien-loup tchécoslovaque ou le saarloos est un berger allemand qui a été recroisé avec le loup il y a seulement un demi-siècle… » Christine Rollard, biologiste arachnologue, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, ne cesse de s’émerveiller de l’extraordinaire vision des aragnes, terme ancien désignant les araignées. « La majorité des espèces possèdent de six à huit yeux, enseigne-t-elle, sortes de lentilles fixes, avec des grosseurs et des positions différentes à l’avant du céphalothorax, répartition qui leur permet le plus souvent d’avoir une vision assez périphérique sur leur milieu environnant immédiat. Elles n’ont pas besoin de tourner la "tête" pour repérer leur environnement, et ceci apparemment depuis 305 millions d’années, pour rechercher des proies et échapper à des prédateurs. » Vétérinaire et comportementaliste (spécialisée en comportement félin), Anne-Claire Gagnon se pose en propagandiste absolue de la gent féline : « Les chats ont l’intelligence pratique que leur donne l’utilisation rapide de tous les sens dont la nature les a comblés. Avec une panoplie digne du GIGN, dont ils font le meilleur usage. […] Leur audition est digne d’un premier prix de conservatoire, puisqu’ils repèrent les différences de un dixième de ton, avec un spectre de 45 à 64 kHz. […] C’est grâce à ses compétences de chasseur qu’il a réussi des tests qui ont permis de le classer au stade 5B sur l’échelle de Piaget, comme un enfant de 8 ans. » La touchante histoire de Pépée, le primate anarchiste de Léo Ferré et de sa compagne Madeleine Rabereau, s’invite dans l’intervention de Chris Herzfeld, philosophe et historienne des sciences : « Lors d’un dîner chez les Ferré, rapporte-t-elle, la jeune femelle sert des boissons aux invités. Elle s’approche du pianiste de Léo, Paul Castanier, et lui tend un verre de vin. Elle constate qu’il n’a aucune réaction. En effet, Castanier, dit "Popaul", est aveugle. Intriguée, Pépée passe la main devant son visage et semble s’apercevoir qu’il ne voit pas. Elle approche alors le verre de sa bouche et l’aide à boire. Cette intelligence et cette capacité d’empathie faisaient la fierté de ses parents adoptifs. » Océanographe biologiste, spécialiste des poissons cartilagineux, Bernard Séret remarque que « les médias montrent toujours les mêmes grands requins, et notamment le plus grand d’entre eux, le requin-baleine, avec ses 18 mètres et ses 36 tonnes. À l’opposé, précise-t-il, vous avez des requins lilliputiens qui tiennent dans le creux de la main, ne dépassant pas 20 à 25 centimètres à l’état adulte. Il y a très peu de grands requins, 80 % des espèces font moins de 2 mètres, et 50 % font moins de un mètre, comme les roussettes, par exemple. […] Leur rétine est doublée d’une couche pigmentaire qui concentre la lumière ; c’est pour cela que les yeux des requins luisent la nuit comme ceux des chats ! »

Yolaine de la Bigne © Photo X, droits réservés

  • Les Secrets de l’intelligence animale, sous la direction de Yolaine de la Bigne [Université d’été de l’animal, 2017, au château de la Bourbansais, Pleugueneuc], éditions Larousse, 256 pages, 2018. Contributeurs : Bernard Séret, Pierre Jouventin, Dabrina Krief, Christine Rollard, Anne-Claire Gagnon et Chris Herzfield ; préface de Pascal Picq.
  • L’animal est-il l’avenir de l’homme ? sous la direction de Yolaine de la Bigne [Université d’été de l’animal, 2016, au château de la Bourbansais, Pleugueneuc], éditions Larousse, 288 pages, 2017. Contributeurs : Claudine André, Gilles Bœuf, Norin Chaï, Tarik Chekchak, Pierre Lavagne, Frédérique Pichard et Pascal Picq.

 

Portrait

Gilbert Bordes, écrivain et luthier

Ils sont à l’écoute profonde du pays de leurs ascendants où vibrent les arbres, les saisons, les animaux, le bruit des ruisseaux et celui du vent. Au hameau ou au cœur du village, la journée est rythmée par la frappe assourdie du maréchal-ferrant, le pas lent des chevaux de trait sur le pavé ou le craquement du bois sec dans l’âtre. Tandis que les potaches de la communale s’égaillent dans la cour de récréation, les femmes donnent du battoir au lavoir et le cantonnier nettoie en jurant le parvis de l’église paroissiale au balai de bruyère… Les romanciers campagnards, écrivains du terroir, n’ont de cesse d’ausculter la vie quotidienne aux XIXe et XXe siècles, de décrire les lieux, d’analyser les modes de vie, de sonder les caractères, sur le fil sépia d’une histoire ordinaire qui échappe aux gros titres de la presse régionale. Le recours à George Sand, Colette, François Mauriac ou Honoré de Balzac n’est pas nécessaire : il y a belle lurette que leurs ouvrages ont gagné la légitimation littéraire du grand public. Adeptes des pied-de-nez aux mœurs parisiennes de l’édition, les gaillards de l’École de Brive - dont Jacques Peuchmaurd (1923-2015) fut l’inspirateur de la Foire du livre éponyme continuent de caracoler en tête de gondoles des librairies. Avec Claude Michelet, Michel Peyramaure, Jean-Guy Soumy et Denis Tillinac, Gilbert Bordes (Orliac-de-Bar, près de Tulle, 1948) prolonge la réussite de cette École de Brive-la-Gaillarde. Apprenti chez Kodak, éducateur spécialisé, instituteur puis journaliste (il a notamment dirigé le magazine La pêche et les poissons), il a écrit son premier roman, « Beauchabrol ou le temps des loups » à l’enseigne de Lucien Souny. En 1989, « L’Angélus de minuit » paraît chez Robert Laffont dont le directeur littéraire était justement Jacques Peuchmaurd.

Artisan doué, il a inventé l’altogamba
La découverte du violon en classe de cinquième l’amène à la lutherie qu’il apprend à Limoges. La réalisation d’un de ses premiers instruments est même saluée par Ivry Gitlis qui lui propose de le recommander auprès d’Étienne Vatelot, grand maître de la discipline, afin qu’il se perfectionne dans son atelier. Mais l’instituteur qu’il est, marié et père de deux enfants, n’ose pas se remettre en question. Devenu écrivain, il continue cependant à s’adonner à la lutherie dans son atelier d’Étampes : « Le travail se fait entièrement à la main, explique-t-il. Je n’ai que deux machines, une scie à ruban pour ouvrir les bûches (d’érable ou d’épicéa) et une raboteuse qui m’évite le travail à la varlope toujours long et fastidieux. Tout le reste se fait à la gouge et au rabot. » La quête des meilleurs arbres de résonance l’amène en différents sites forestiers de France et de Suisse où le bois choisi doit être abattu à la bonne lune : « L’arbre de résonance, observe-t-il, a quelque chose de plus que les autres : sa voix ! Vous enlevez la mousse et l’écorce superficielle et vous frappez le tronc. Le son doit porter loin, plus de deux cents mètres, puissant, clair, détonnant… » En 2013, Gilbert Bordes a relevé le défi lancé par un musicien russe, Eugène Neyfack, de lui fabriquer un violon alto dont la longueur de corde vibrante serait une fois et demie celle du violon, soit approximativement 50 cm, la taille d’un violoncelle 1/8. Il l’a appelé altogamba. L’interprète joue de ce violon alto comme un violoncelle. Des deux exemplaires qu’il a réalisés, l’un est à Moscou, l’autre chez lui. « La Belle Main », un de ses récents ouvrages, se réfère au savoir-faire d’un luthier, Paul, artisan passionné mais usé, défait par la guerre et la résistance. Solène qui vit à Paris avec sa mère Josette la soupçonne de garder le plus affreux des secrets ; elle se rend au château de Mauret, en Sologne, pour chaperonner les enfants du docteur Breugère. Ancien résistant, le médecin semble dissimuler, lui aussi, des souvenirs troubles attachés  à la Seconde Guerre mondiale.

Des contes sans morale
Auteur d’une cinquantaine de romans de genre, de nouvelles, de livres d’histoire et de comédies de mœurs, Gilbert Bordes est un conteur inspiré qui peut exprimer l’extrême avec les mots les plus nus et les plus justes. Il s’est débarrassé de ses ornements les plus séduisants, la beauté des couleurs, l’invention des images, la poésie de l’imagination, proscrivant aussi bien le lyrisme que l’invective. Son écriture est le vecteur simple, dépouillé et touchant de ses récits. L’évocation de Julien Lespaud, un ancien officier de la marine nationale qui se double d’un génial ébéniste, est significative de la « manière » d’un auteur qui, à chaque livre, sait ménager le plus délicieux des suspenses. Le baccalauréat en poche, notre capitaine fait ses classes dans la prestigieuse école Boulle afin de succéder au paternel à la tête des Meubles Lespaud, à Beaulieu-sur-Vézère. Jusqu’aux dernières pages, on ne sait pas ce que le septuagénaire, à présent retraité, fabrique dans la clandestinité de la Messonière, gentilhommière familiale bâtie en Corrèze sur les assises d’un château fort rasé par les Anglais durant la guerre de Cent Ans ! On sait en revanche sa passion de la musique, incarnée ici par le jeune flûtiste Alexandre, petit-fils de Margot dont Joseph s’était épris jadis. On apprend aussi que le futur marin gagnait tous les radio-crochets de sa jeunesse… Il y a chez l’auteur de « Chante, Rossignol » une éternelle quête du détail et de la faille. L’un pour connaître, l’autre pour comprendre. Un amalgame de lucidité cruelle et de générosité profonde. Il s’agit de faire tomber les masques des personnages, d’expliquer leurs motivations les plus intimes, mais surtout de ne pas juger ou condamner. « Rien n’est si vain, enseignait le philosophe Jean-Jacques Rousseau, si mal entendu, que la morale par laquelle on termine la plupart des fables… »

Gilbert Bordes © Photo James Foley

  • La Belle Main, par Gilbert Bordes, Presses de la Cité, 272 pages, 2018 ;
  • Chante, Rossignol, par G. Bordes, Presses de la Cité, 340 pages, 2017 ;
  • Beauchabrol ou le temps des loups, par G. Bordes, éditions Lucien Souny, édition de poche, 256 pages, 2009.

 

Varia : chez les ancêtres du pays de Shu

« Au Paléolithique, il y a de cela des centaines de milliers d’années, les ancêtres des habitants du pays de Shu parvinrent non sans efforts à tailler le premier couteau en pierre digne de ce nom connu à ce jour ; l’endroit où ils se trouvaient se situe non loin de l’actuelle Chengdu. Quand la dynastie Kaiming de l’ancien Shu eut bâti sa ville, le roi Zhou - qui s’était installé à Qi – l’appela Chengdu car l’endroit "était devenu [cheng] village en un an, ville en deux ans et capitale [du] en trois ans". La ville ne s’est guère déplacée au fil du temps, ce qui est rare dans l’histoire chinoise et mondiale.
« Quelle chance pour ses habitants ! Sous cette ville reposent donc plusieurs milliers d’années d’une histoire changeante… et seule une fine couche de terre jaune sépare ce passé du présent. »
Extrait de « La passion d’un brillant archéologue au cœur de Chengdu », une évocation de Tang Lanxin, dans revue Institut Confucius, n° 45, novembre 2017.

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