Leïla SEBBAR - Emna BELHAJ YAHIA

Maïssa BEY - Rajae BENCHEMSI

Cécile OUMHANI

À cinq mains


Les mains sont tellement nécessaires et utiles que l’on finit par les oublier. Le recueil collectif A cinq mains regroupe cinq auteures, qui de leurs dix doigts, vont chacune évoquer leur sentiments sur les mains ou leur relation à leurs mains. Elles vont les faire vivre pour nous. Ces cinq femmes ont toute un lien d’affection avec le Maghreb.

Leïla Sebbar met en scène une fillette persécutée par sa grand-mère et par son institutrice parce qu’elle est gauchère. Seul son père trouve que ce sont des croyances dépassées :
Le père compare les pages d'écriture, sa mère regarde. « Mère, tu ne sais pas lire, mais tu peux voir les dessins des lettres, tu peux comparer sans savoir à qui appartient le cahier. » « Cette page est la plus belle » dit la mère. « C'est le cahier de ta petite-fille, la gauchère. Ta petite-fille que tu martyrises tous les jours, toi, et ta belle-fille, mes sœurs et les sœurs de sa mère. Des superstitions qui la font souffrir. »

Emna Belhaj Yahia ignore ses mains avant de les reconnaître comme indispensables, entre autres, car elles l’aident à surmonter ses maux de tête grâce à des massages. Elle et ses mains deviennent inséparables :
Longtemps, j'ai ignoré les mains. Une ignorance crasse. Un peu comme si elles n'existaient pas. Pour moi, si l'on prend le corps par exemple, l'essentiel était d'abord le visage, les yeux, le sourire. Puis, bien plus tard et pour ainsi dire avec le temps, vinrent la taille, le maintien, l'harmonie des couleurs... J'appris peu à peu à les observer, à les apprécier. Mais les mains, franchement, pourquoi s'intéresserait-on à elles ? Un simple appendice, fait pour servir, voilà ce qu'elles sont. Ou tout juste sont-elles là pour rappeler, si besoin est, qu'il existe un monde manuel – digne et respectable certes – mais qui, face à l’autre, celui que je croyais être le mien, ne fait pas le poids. J’étais donc à mon âge préhistorique.

Maïssa Bey utilise le « tu » pour évoquer le parcours de vie et le sentiment d’inutilité qu’éprouve une femme. De l’enfance au mariage, en passant par l’adolescence où elle ressent une profonde injustice, la solitude est toujours présente. Elle découvre la caresse avec ses propres mains, en se caressant elle-même, caresses qu’elle n’a jamais reçues d’une autre personne. Elle a l’impression de n’avoir jamais existé.
Personne ne t'a jamais parlé de ça. De ce qu'on peut voir à l'intérieur de soi. Et pourtant, c'était là, en toi, depuis longtemps, depuis toujours. Des couleurs. Des formes étranges qui apparaissent au cœur d'un silence ou au hasard d'une contemplation. Des ombres, des traînées de lumière, des vibrations, des flamboiements, des brisures, des entrelacements, des paysages fantastiques et tourmentés où rien ne ressemble à ce monde connu auquel se raccrochent tous les lambeaux de rêves qu'on tente de projeter loin de soi.

Rajae Benchemsi décrit les mains autour d’une table qui s’activent pour manger :
Ma main silencieuse s'avança vers le plat qui doublait de son cercle celui parfait de la table. Les doigts autonomes et fiers de leur liberté s'animèrent. Un air de majesté émanait de ce geste millénaire qui célébrait à lui seul un peu de la responsabilité que Dieu assigna à l'homme et qu'il accepta. Les autres mains, sans concertation ni convention en firent de même. La parole, toujours à l'ombre des grands actes, continuait de se taire. Elle regardait elle aussi cette danse des mains qui rappelait par sa souplesse et sa magie le vertige extraordinaire des derviches mawlawi.
Elle est aussi sensible aux mains d’un Maître Soufi qui mènent à la spiritualité.

Cécile Oumhani, dont nous retrouvons l’écriture poétique, met en scène deux enfants qui sont gauchers. Pour leur oncle, c’est beaucoup plus grave pour le garçon que pour la fille :
– Mais ce n'est pas de cette main que l'on écrit ! On te le répète tous les jours.
Le petit garçon courbe les épaules, accablé par le reproche. Il ne le fait pas exprès. Sa main gauche s'empare de la craie malgré lui. Elle est si agile, tellement plus que la droite. Il lui faut presque la forcer et le trait de la lettre est alors si lent à venir, quand il veut se servir de celle-là. Pourquoi tant de colère autour d'une main ?

La mère des enfants est aussi confrontée au rôle qu’on lui assigne en tant que femme.

Ce recueil permet de retrouver l’écriture de chacune des auteures avec sa force, sa sensibilité, sa poésie sur un thème qui d’apparence anodine mène cependant à des réflexions très profondes sur le fonctionnement d’une société.

Brigitte Aubonnet 
(28/10/07)    



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Editions Elyzad
120 pages - 13,90 €



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