ADONIS, Célébrations


Célébrer par les mots, ces mots qui sont flammes et éclairent une route où se confondent la quête et le poème… Un peu comme si celui-ci ne pouvait être dissocié de ces pas de l'ombre et du silence où nous cherchons à cerner ce qui est insaisissable mais en même temps si douloureusement présent. Le poème serait fusion avec le fleuve de notre vie et les mots la chair vive de ce que nous voyons et ressentons aux lisières de nos jours et de nos nuits. Ce que nous ne pouvons contenir dans une ampleur tue par le monde, les mots l'éclairent. La puissance de ce qui nous assaille dans la troublante certitude du non-dit, les mots du poème nous le rendent avec ces contours, images du monde tel qu'il court en nous, tel qu'il se creuse en nous.

Ils étaient assis
leurs cils des voiles
leurs mains débris de navires.

Images du monde, vastitude de l'espace en nous du ressenti, infini de ces naufrages qui obstinément se désignent comme nos horizons. Oui, il y a la souffrance mais aussi la célébration de la rencontre, le corps comme infini d'amour et d'union, celui de l'amante.

Mon regard se perd dans les régions de son corps
Le plus vaste des océans
est le corps de l'amante.

Adonis célèbre le corps de la femme comme ce par quoi l'homme advient à lui-même. Être désirant, rendu à la plénitude de ce qu'elle est avec son corps, la femme est naissance pour l'homme. Les corps des amants sont infinis, le corps de l'être est aussi l'espace infini où se reflète le monde en ce qu'il a d'à la fois essentiel et de presque muet à notre présence qui se disperse, se dissout si souvent dans l'illusoire. Eau, feu, air et pierre… Prenons-nous le temps de nous les remémorer dans le prisme de la création ? Sans doute encore moins de les penser dans les voies étroites de ce qui relève à la fois de l'invisible et de l'éclair.

Tout flambe autour de lui
feu dans l'air
feu dans l'eau
D'où vient alors ce froid
qui s'infiltre dans ses membres ?

Le poème est pensée de l'énigme, celle que l'on frôle de la main sans la nommer et qui pourtant nous enveloppe de son ombre glacée. Il est pensée de ce qui se meut, inonde et s'échappe. Il est restitution d'un signe qui s'écrit aux flancs même de la terre.

L'écume est l'écriture des vagues
Les rivages sont des feuillets.

Le poème est regard sur cette vérité de ce que nous sommes et que le quotidien dérobe à la lumière.

L'homme est un livre
que la vie lit sans cesse
La mort le lit en un seul instant
une seule fois.

Adonis célèbre l'être en ce qu'il a de multiple, d'heureux, de douloureux et d'opaque. Il célèbre, parce que nous sommes au monde sans choix possible que celui de la présence qui recueille l'infime comme le tonnerre. Il célèbre les dons que l'on reçoit dans le recueillement mais aussi comme une fête. Ses poèmes sont autant de fils de lumière qui éclairent tour à tour l'obscur et le resplendissant.

Cécile Oumhani 



Retour
sommaire
Poésie










Editions de La Différence
288 pages - 18 €



Traduit de l’arabe
par Anne Wade Minkowski
avec la collaboration de l’auteur

Edition bilingue