Retour à l'accueil du site





Khaled AL KHAMISSI

L'Arche de Noé


Nous nous souvenons de Taxi de Khaled Al Khamassi, cet ouvrage qui nous offrait, à travers la confession de nombreux taxi-drivers du Caire, une image aussi nette qu'une radioscopie d'une Égypte d'avant sa révolution. C'est également avant cette révolution que le second ouvrage de cet auteur, L'Arche de Noé, a été publié au Caire en 2009 (traduit aujourd'hui chez Actes Sud par Sohier Fahmi en collaboration avec Sarah Siligaris).

Les douze personnages dont Khaled Al Khamassi nous peint le portrait avec sa belle plume journalistique nous racontent leur départ d'Égypte et leur exil (ces destins qui dans les douze chapitres du roman se croisent et se perdent). Certains ne garderont aucun regret pour cette terre fertile et pourtant si ingrate vis-à-vis de ses chers enfants, d'autres ressentiront toujours l'irréparable nostalgie pour cette terre, tout aussi fertile, qui les a vus naître.

L'Arche de Noé est comme un miroir de l'Égypte actuelle moucheté d'histoires d'exils.
C'est encore la corruption que Khaled Al Khamassi nous montre du doigt dans L'Arche de Noé, une corruption d'avant la révolution (est-elle enfin endiguée ?). Ahmad Izzedine, jeune licencié en droit mais sans le moindre kopeck, je voulais dire sans la moindre livre en poche, doit, pour incorporer un poste d'état qu'il souhaite de tout cœur et où il espère aider de son mieux son pays, verser un pot-de-vin dont il n'a pas la moindre goutte. Il ne lui reste plus pour s'épargner de la misère qu'à naviguer (comme l'on dit, en eau trouble souvent) sur internet pour se mettre en contact avec une Américaine, une Italienne voire une Française qui via l'amour lui procurerait un visa !

Tout au long de cet ouvrage le visa pour "ailleurs" représente le sésame des portes de l'Égypte… Il est espéré, acquis parfois grâce à l'argent, parfois par l'offrande de son corps. Il n'est plus un visa pour les États-Unis, le Koweït, la Grande-Bretagne ou la Suisse, il est le visa pour le Paradis ou plus exactement pour ce qui pourrait devenir un Paradis.

D'autres, moins fortunés, moins désirables, tentent leur chance par des voies illégales, à travers des routes aussi imprévues (improbables) que celles de l'ancien Far West ou sur des barques fragiles et surchargées C'est la route de la mort, on le sait tous. La route de la mort ! Pourtant, tout le monde veut s'y risquer et tout le monde est prêt à hypothéquer ses terres.

Souvent avant de décider de leur départ, les jeunes s'adressent à leur père, telle Névine, pour avoir sa bénédiction, celui-ci répond à ses désirs d'exil par cette belle métaphore : Si tu cherches à remplir le verre à ras bord, au bout d'un moment tu ne pourras plus te contenter d'un verre, il te faudra une bouteille et finalement tu laisseras le robinet ouvert. L'envie n'a pas de fin.

Bien plus terrible l'anecdote de ce frère aîné qui tente de convaincre son cadet de rester au pays : Dieu est partout, tu n'as pas besoin de partir, lui dit-il avec conviction et son frère de lui répondre d'un cinglant : Non Dieu est meilleur là-bas !

Peut-être avons-nous toujours besoin d'un quelque part là-bas qui serait meilleur qu'ici et où couleraient le lait et le miel.

Le personnage de Mabrouk Ak-Menoufi est l'un des plus ambigus, il reste sur les terres du Nil, mais son métier est passeur d'hommes : Si je suis un passeur, comme on le dit, il faut reconnaître que c'est le métier le plus honorable de notre pays car l'Égypte tient grâce à l'argent des émigrés. Et pour se justifier des pertes d'hommes sur ses embarcations, il répond avec un cynisme à peine teinté : Combien de bateaux ont chaviré ces dernières années ? Vingt, trente, quarante ? Mille personnes sont mortes ? Deux mille ? Ça fait beaucoup, je vous l'accorde. Mais le plus important reste ceux qui sont partis. Combien ? Des milliers et des milliers. Quel est le pourcentage de pertes ? Presque rien. Dans l'armée, les pertes sont estimées à 25%, alors que sur L'Arche de Noé, le pourcentage est bien plus faible, moins de 1%. Franchement, au point où on en est, sortir d'Égypte c'est beaucoup plus patriotique que de servir dans l'armée.

Ces existences fracturées, exilées dans la diaspora d'un occident provisoirement fortuné se retrouvent ici et là bien moins pauvres, bien moins humiliées, à peine plus heureuses, et parfois avant leur sommeil il leur revient l'écho d'un chant ancien :

Dans mes bras
Serre-toi dans mes bras, mon beau pays, serre-moi
Tes enfants sont au rendez-vous
Les beaux jours reviendront
Celui qui s'éloigne de toi
Ne rêve que de te prendre dans ses bras


Par dérision je dirais que déjà à l'époque pharaonique Moïse entraîna un peuple hors d'Égypte, un peuple que les Pharaons poursuivirent avec acharnement dans le seul but de l'exterminer… De nos jours, d'Égypte un peuple de jeunes pleins d'avenir s'expatrie mais aucun homme d'Etat ne le pourchasse plus ni pour le détruire… ni pour le ramener au bercail…
Au plus profond de leur mémoire, ces expatriés ne doivent pas, je pense, avoir oublié ce dicton : Celui qui goutte à l'eau du Nil, s'en souvient toute sa vie.
L'Arche de Noé de Khaled Al Khamissi est un document à charge sur l'Égypte d'avant sa révolution.

David Nahmias 
(07/11/12)    



Retour
Sommaire
Lectures









Actes Sud

(Octobre 2012)
368 pages - 22,80 €

Traduit de l'arabe
(Egypte)
par
Soheir Fahmi
avec la collaboration de
sarah Siligaris








Khaled Al Khamissi,
né au Caire,
est producteur, réalisateur
et journaliste.






Lire sur notre site
un article concernant :


Taxi