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La Blonde et le Bunker s'ouvre sur la rencontre à Beaubourg d'Anna, photographe
belle et fantasque, et de Gray, homme largué et amateur d'art. Il suffit
d'un accouplement furtif et d'à peine quelques mots pour que la "blonde
fatale" amène son nouvel amant chez elle. Gray, le narrateur,
par désuvrement autant que par fascination, la suit sans poser de
question.
C'est une fois installé dans la chambre d'ami, qu'il découvre
que le mari, John Volstead, célèbre auteur des Narcissiques
anonymes, occupe le sous-sol du même "bunker" de la butte
Montmartre. La situation vaudevillesque mais aussi l'étrangeté
de cette photo de l'écrivain, signant à l'encre le front d'une
blonde admiratrice, accrochée à la jonction de leurs résidences
respectives, troublent l'intrus. Lorsqu'il dit à son amante qu'il la
devine jeune fille sous les traits du modèle, elle nie avec agacement.
Ce cliché à la mise en scène façon Sophie Calle
qui a fait en son temps la couverture de Time magazine, ne la concerne
en rien. Il est antérieur à sa rencontre avec son mari. Dans l'attente des faveurs de la capricieuse artiste plus fascinée par
les lumières artificielles que par les corps, quand le temps se fait
long et que la solitude lui pèse, Gray sort de la chambre bleue où
elle l'a cantonné pour explorer les autres pièces de la demeure.
Lors d'une absence professionnelle prolongée de la photographe, il fait
la connaissance du mari. L'auteur, en panne d'inspiration depuis la publication
de cet unique roman qui lui a valu tant de succès, reste cloîtré
chez lui et s'occupe en déplaçant inlassablement des piles de
livres. Ravi, apparemment, de cette opportunité d'avoir un interlocuteur,
il parle un peu de lui mais surtout beaucoup d'elle et de leur relation. De
la série de photos faite pour le célèbre magazine aussi.
Selon lui, Anna serait, de façon quasi obsessionnelle, à la recherche
des négatifs qu'elle sait en sa possession. C'est donc pour entraver
ses investigations qu'il modifie en permanence l'agencement des volumes de sa
bibliothèque. Changement de lieu et de temps pour la deuxième partie du roman : on
retrouve notre narrateur à Venise un peu plus tard et de John et d'Anna,
il ne sera plus vraiment question. Lui est mort et elle s'est envolée
pour les États-Unis sans lui proposer de la suivre. Cela est bien car,
de toute façon, Gray est occupé : le défunt lui a confié
par testament la mission de pister la collection Castiglioni (appelée
aussi collection Eurydice) qui rassemblerait des "uvres qui ne
sont pas faites pour être vues", dont les apparitions sporadiques
ne laissent que des traces fugitives dans des revues spécialisées
ou catalogues. Commence alors un étrange voyage , d'un pays à l'autre, au cur
du monde de l'art et des livres, à la quête de cette collection
qui aurait été aperçue à Londres, à Milan,
à Paris, à Hong-Kong dans des lieux en marge du circuit habituel,
comme des caves ou des entrepôts. Inclassable et déroutant, cet objet littéraire entrecroise une
histoire d'amour fou, flirtant tantôt avec le surréalisme, tantôt
avec le cinéma hollywoodien, un roman noir des année cinquante
traversé par la figure d'Hemingway et une réflexion sur l'art
et sa conservation, sur la thématique du classement et des doubles. La blondeur d'Anna n'est pas lumineuse et torride mais froide et implacable
comme une condamnation. Irréelle et énigmatique aussi, comme cette
photo encadrée, incarnation de l'amour et de la jeunesse, que la femme
détruit sans cesse et que John semble faire ressurgir éternellement
du néant. Pas de narration classique ici mais des bribes décousues, des flashes,
des fragments, des ellipses, que Jakuta Alikavazovic, comme les références
cinématographiques, picturales ou littéraires qui émaillent
son texte, accumule et enchaîne avec la précision et la passion
d'un collectionneur. L'ensemble est soutenu par une construction en miroir et
un style à la fois fluide et sophistiqué, notamment quand elle
utilise le champ lexical de l'image et de la lumière. Il y de l'impressionnisme
dans tout cela. Avec un parti-pris affiché de déstabilisation du lecteur, la
jeune femme facétieuse s'amuse à brouiller les pistes, dynamite
avec virtuosité le moindre instant de répit qui pourrait s'installer.
Et, au départ perplexe et dérouté, on se prend au jeu et
se laisse gagner, au fil des pages, par la curiosité de savoir ce qui
va advenir. On se laisse subjuguer par la richesse, l'inventivité et
la liberté à l'uvre dans cet étrange roman, hybride,
érudit et ludique, qui joue si bien avec les nerfs. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Editions de l'Olivier (Août 2012) 204 pages - 16,50 €
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