Retour à l'accueil du site | ||||||||
Un jeune étudiant est recruté pour donner une ou deux fois par semaine des cours particuliers à la fille d'un grand industriel qui doit sa richesse à l'invention d'un film plastique super-résistant. Lise a quinze ans, habite un luxueux hôtel particulier de la rive gauche ; lui a dix ans de plus et habite un studio près du cimetière du Père-Lachaise. Elle est vive, insouciante, frivole, capricieuse et insolente ; lui est complexé, modeste, timoré, raisonnable, prudent et obsédé par la mort. Quand elle veut fuir la capitale, elle a le choix entre la maison de campagne
dans le Loiret, la propriété sur la Côte d'Azur ou celle
de Vendée. Ses parents à lui, après avoir habité
en HLM à Orange pendant la plus grande partie de leur vie, sont devenus
propriétaires d'un petit pavillon de banlieue avec le train qui passe
au bout du jardinet. Des parents ternes dont il a un peu honte. De cours particuliers, progressivement, il n'est plus vraiment question et
l'étudiant d'origine modeste, à la vie grise et étriquée,
voit son destin changer. Accepté par tous et fasciné par ce monde
qu'il découvre, il succombe à la fois au charme acidulé
de Lise et à celui de cet art de vivre empreint de légèreté.
"Mon amour était encore peu de chose. C'était comme s'il
se cachait, qu'il attendait, tapi, secret. Lise n'avait que quinze ans. Qu'elle
fût mon élève ajoutait à l'interdit (
) De son
côté, Lise semblait avoir pour moi une affection sincère,
même si j'avais vite compris que l'absence répétée
de ses parents n'y était pas étrangère. Ce qu'elle aimait
avant tout chez moi, c'était que je sois là." "En observant
Lise (
) je me demandais finalement si ce n'était pas cela que j'étais
venu chercher en elle, l'insane possibilité de recommencer mon enfance,
ou ma vie, loin du chaos." L'été passe, ils finissent par s'embrasser, vivent leur amour
"en vacances", dans le luxe et l'exotisme des voyages (Florence, plages
brésiliennes, Sicile...). Mais Lise est un feu follet et cet amour-là
semble bien fragile. De quoi devenir jaloux, du chat qu'elle appelle "mon amour", de ce garçon de son âge et de son milieu qui
la poursuit de ses assiduités ou des mains du jeune danseur sur la piste
de la discothèque qui s'appesantissent sur les fesses de la belle. Un court roman sur l'éveil amoureux qui se garde bien d'exploiter le tabou des relations intimes entre une élève mineure et son professeur, évite toute provocation jouant plus volontiers de l'ellipse que de la scène d'alcôve. Le récit s'évade vite du schéma de l'éducation sentimentale pour gagner d'autres rivages. L'essentiel paraît ailleurs, dans l'opposition des milieux sociaux des deux protagonistes principaux, dans la séduction que cette bourgeoisie aisée et progressiste exerce sur ce fils de prolétaires devenu étudiant. La confrontation, assez violente, sonne juste, interroge. Le passage où le jeune homme sans nom amène son amante chez lui avec réticence est révélateur. "Lise était hors de tout soupçon, Lise avait toujours raison car elle était supérieure à nous. C'était ce que pensait ma mère. Ma mère n'oubliait jamais que les Delabaere, eux, étaient riches." En quelques mots, tout est dit. Le lecteur, témoin privilégié qui suit le discours intérieur
du narrateur découvre au fil des mots la fragilité de ce grand
gamin qui court après ses chimères, lesté de son passé,
son milieu, sa vacuité, ses complexes d'infériorité et
ses peurs. Dès le début, il perçoit un malaise, dans cette
histoire tout paraît vite trop rose, trop facile, et la tension naît
de cette chausse-trappe que l'on devine mais dont on ne sait quelle forme elle
va prendre et quand elle va apparaître. Instabilité du terrain
qui fait écho à celle du personnage principal qui profite de la
situation mais qui à chaque instant a conscience de son côté
inespéré et éphémère, qui ne voit dans ses
petites victoires qu'une sorte de consolation pour la perte de ce monde qu'il
a réussi par hasard, presque par effraction, à pénétrer,
et qu'il sait inéluctable. Le style est limpide, efficace et l'écriture à fleur de peau. L'auteur, à la manière de Françoise Sagan, excelle à dire l'insatisfaction et la mélancolie désenchantée de héros sans destin victimes d'eux-mêmes, superficiels et égarés, comme étrangers au monde qui les entoure. Tout cela semble avancer sans but, comme la projection des films de vacances où pointent la fragilité de l'émotion, la précarité des sentiments, les frustrations et l'ennui aussi, parfois. Un roman faussement simple, un conte de l'ordinaire, où Vincent Almendros
parvient à la fois à esquisser les contours de la bulle dans laquelle
les personnages sont enfermés et, dans le même temps, à
prendre ses distances avec elle pour se moquer des drames intimes qui s'y jouent.
Dominique Baillon-Lalande (03/03/12) |
Sommaire Lectures Editions de Minuit 160 pages - 13,50 €
Voir un entretien avec l’auteur sur le site de l’éditeur. |
||||||