Collectif

Bains Douches


Dans la même lignée que « Petite Ceinture » et avec la même qualité, ce sont ici 23 récits qui nous sont offerts autour du thème de ces bains publics aujourd'hui fermés auxquels clodos, étudiants et familles pauvres avaient recours faute de salle de bain ou tout simplement de logement. « Des tranches de vies qui suintent du carrelage blanc hospitalier (...) parce qu'avant d'être une boîte de nuit les bains douches, ceux des Halles et d'ailleurs étaient des endroits où les gens allaient se laver ». (préface)

En écho aux photos en noir et blanc qui ont servi de figures imposées aux auteurs, une teinte dominante, le noir, pour esquisser un monde plus proche de l'univers carcéral ou de l'hôpital que des lumières de la ville.

Les bains-douches, espaces d'hygiène pour tous, avec leurs alignements uniformes de cabines, leur lumière froide qui ricoche sur la blancheur des carreaux de faïence, le «  bruit des corps sous la douche, du savon qui tombait sur le carrelage, les souffles dans la chaleur et la buée » (Brigitte Aubonnet) sont des lieux cachés, hors de la vie sociale et familiale. Ils ont leurs propres codes et ceux qui y viennent s'y livrent à des rituels de propreté qui semblent exclure d'emblée toute notion de plaisir. « La porte du milieu, c'est celle qu'elle choisissait toujours. Du côté gauche. Du côté des fenêtres. Au milieu, tu vois, il n'y a pas les courants d'air de l'entrée. Tu as l'air chaud des autres douches mais tu n'as pas non plus toute la chaleur qui s'accumule contre le mur de la dernière douche. Juste ce qu'il faut. » (B. A.)
Le décor s'adoucit parfois pour abriter dans l'humide promiscuité des amours naissantes, hâtives ou clandestines (Les bains morts de Mohedine Bejaoui, La petite sirène de Régine Detambel), pour se transformer en théâtre des souvenirs avec ses effluves d'enfance nimbées de nostalgie (Les pauvres ne se lavent jamais le lundi de Thierry Criffo).

Mais ces établissements sanitaires aseptisés, aux murs qui suintent la honte et la misère servent surtout de refuges aux laissés pour compte, ombres anonymes échouées là pour un temps strictement compté. « Huit ans de rue. (...) Malgré mon aversion pour l'eau, je venais me laver trois fois par semaine ici. Pendant des mois. Un vrai supplice. Pourquoi ce soudain acharnement à me récurer ? Pour ne pas puer en croisant Christine. » (Mouloud Akkouche)
Ici les vexations se ruminent et les obsessions trouvent un terreau fertile : « Tous les jours à la même heure, Mako se lave. Au même endroit, les douches publiques au bout de la rue. Depuis dix ans qu'il est là. (...) Mako se lave comme un forcené pour tout simplement se débarrasser de l'odeur de la peur. » (Jean-Bernard Pouy) « Il aimait les douches propres et exécrait repérer ici ou là les indices suspects qu'aurait laissé un humain passé avant lui. » (Mohedine Bejaoui)

La caissière qui filtre les entrées et distribue savon et serviette, barrage symbolique contre la saleté et le désordre du monde, ne se doute pas que c'est la nature humaine tout entière qui se reflète dans les miroirs de ses cellules. Ce qui nous est donné à entrevoir entre les portes entrebâillées n'est pas toujours très propre. Des fantômes errent dans les couloirs aux parois trop lisses (Un coup de serpillière d’Alain Demouzon). La violence et le crime se cachent dans les cabines impersonnelles et le sang éclabousse salement le carrelage des bains-douches. Pas moins d'une quinzaine de cadavres semés par Brigitte Aubonnet (La porte du milieu), Didier Daeninckx (Douche Franche), Philippe Deblaise (Les trois grâces), Olivier Hoarau (Seize douches éco), Pierre Meige (Coup de sang aux Bains-Douches), Stingo Meyer (La fiancée du saigneur), Arnaud de Montjoye (Vingt minutes, mort en bains), Jacky Pop (Slave attitude) au fil des pages.

Les exactions de l'histoire aussi sont au rendez-vous. Aucun lavage de mémoire ne saurait effacer les traces de l'horreur collective, l'utilisation tragique d'autres douches qui tuaient hommes, femmes et enfants dans les camps nazis (Vingt minutes de Nathalie Marx, Le bain du souvenir de Nicolas Millet).

Une belle homogénéité dans ce recueil où l'on peut grappiller au fil de sa fantaisie. Une variété de styles et de tons qui relance l'intérêt de page en page et rythme agréablement la lecture même si, unanimement, profondément, ce n'est pas la sensualité des corps qui émerge de ces bains-douches mais la frustration, la misère, la souffrance, la mort flottant dans les vapeurs d'eau. Des bribes de vie fortes et émouvantes qui, derrière l'évocation de ces lieux de propreté maintenant disparus, nous disent le huis clos et la difficulté à vivre dans un hier tellement semblable à aujourd'hui.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/06/07)    



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Lectures






Arcadia Editions
Collection En Marge
320 pages - 17 €

Photographies :
Jean Distel

Textes :
Mouloud Akkouche
Brigitte Aubonnet
Mohedine Bejaoui
Thierry Crifo
Didier Daeninckx
Philippe Deblaise
Patrick Delahais
Hélène Delmotte
Alain Demouzon
Régine Detambel
Georges Foveau
Olivier Hoarau
Nathalie Marx
Pierre Meige
Stingo Meyer
Nicolas Millet
Arnaud de Montjoye
Jacky Pop
Chantal Portillo
Jean-Bernard Pouy
Dominique Sylvain
François Vallejo
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