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Gerbrand BAKKER
Là-haut, tout est calme. Ce titre, avec
la photo floue d'un moulin et le résumé de la quatrième
de couverture, donne au lecteur une première piste : ça
paraît évident, oui, là-haut, dans le nord de la
Hollande, tout est calme ; ironique même, tant le Waterland semble
endormi, bercé par le clapotis des eaux dans lesquelles il s'enfonce.
"J'ai mis papa là-haut." La première phrase, très courte, comme ramassée
sur elle-même pour mieux vous sauter dessus, va donner le ton
au roman, celui d'une violence contenue et un autre sens au titre. Le
père déménagé au premier : là-haut.
Helmer Van Wonderen, le narrateur, apparemment sans raison, à
55 ans, veut sortir de la lente réification qui a été
sa vie dans la ferme où il est né. Cette phrase, qui a
la sobriété et la force de la première phrase de
l'Etranger de Camus, sonne comme une fin et un début,
une résurrection, un ultime sursaut avant de sombrer sous le
poids d'une vie à contrecur. En transportant son père
grabataire en haut de la maison comme il transporte les autres meubles
pour changer de "décor intérieur", Helmer tente
de (re)vivre.
Le narrateur, réveillé par la réflexion de deux
jeunes gens passant en barque devant sa ferme, cette fin d'été,
va sortir de son long engourdissement. Petits riens mis bout à bout, (comme la présence obsédante de la corneille mantelée, "Qu'est-ce que c'est que cette meurtrière", oiseau noir, présage de mort ou de renaissance ?) le lecteur recompose la vie d'Helmer. Son enfance lovée dans les bras de son jumeau Henk "Nous étions deux garçons et un seul corps" ; la fracture de l'adolescence : Helmer va à l'université, Henk apprend le métier de paysan pour reprendre la ferme et s'éloigne de son frère pour sa petite amie ; à 20 ans, l'accident : Henk meurt et Helmer renonce à vivre en devenant fermier. Chagrin, expiation ? Pour avoir été différent, pour ne pas être le bon fils, celui qui n'est pas choisi, celui qui n'a pas choisi.
Au centre du livre, tel un trésor enfoui, une cicatrice cachée,
le noyau dur d'Helmer, ce qui à la fois l'a traumatisé,
son frère avec une femme, et ce qui le tient encore debout, le
souvenir qu'il a des moments passés avec Jaap (la balafre) le
garçon de ferme employé par son père, et de la
petite maison où il allait le voir, endroit dont Helmer pense
: "C'est là que j'avais été quelqu'un."
Enfin, quand le lecteur a recomposé le puzzle et s'est imprégné de la répétition des tâches agricoles et des signes avant-coureurs des saisons, des paisibles animaux de la ferme, du lent écoulement de l'eau dans les canaux, du doux tournoiement des ailes des moulins, des tranquilles silhouettes des cyclistes au loin et des barques qui passent, il peut laisser Helmer s'en aller, "là-haut", au Danemark et surtout l'imaginer heureux. Sylvie Lansade |
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