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Gerbrand BAKKER

Là-haut, tout est calme



Là-haut, tout est calme. Ce titre, avec la photo floue d'un moulin et le résumé de la quatrième de couverture, donne au lecteur une première piste : ça paraît évident, oui, là-haut, dans le nord de la Hollande, tout est calme ; ironique même, tant le Waterland semble endormi, bercé par le clapotis des eaux dans lesquelles il s'enfonce.
Une belle ordonnance, damiers tracés par des digues, des canaux, des routes, des pistes cyclables, où tout ce qui se déplace semble glisser doucement, une belle ordonnance délimite les terres, les protestantes des catholiques ; une région bien rangée, à l'abri, derrière un mur qui retient la mer comme la religion ou la morale retient les débordements.
Paysage qui n'a de hauteurs que les moulins régulant l'eau des watergangs et les flèches des édifices religieux se découpant sur le ciel, miroir de la terre, gris et humide.
Calme ou carcan ?

"J'ai mis papa là-haut." La première phrase, très courte, comme ramassée sur elle-même pour mieux vous sauter dessus, va donner le ton au roman, celui d'une violence contenue et un autre sens au titre. Le père déménagé au premier : là-haut. Helmer Van Wonderen, le narrateur, apparemment sans raison, à 55 ans, veut sortir de la lente réification qui a été sa vie dans la ferme où il est né. Cette phrase, qui a la sobriété et la force de la première phrase de l'Etranger de Camus, sonne comme une fin et un début, une résurrection, un ultime sursaut avant de sombrer sous le poids d'une vie à contrecœur. En transportant son père grabataire en haut de la maison comme il transporte les autres meubles pour changer de "décor intérieur", Helmer tente de (re)vivre.
Prélude à une lente partition qui semble répéter à l'identique les travaux et les jours mais où, comme dans l'art de la fugue ou dans la musique répétitive, des variantes, aussi infimes soient-elles, vont transformer, telles de minuscules déflagrations, l'ensemble de l'œuvre : la vie d'Helmer.

Le narrateur, réveillé par la réflexion de deux jeunes gens passant en barque devant sa ferme, cette fin d'été, va sortir de son long engourdissement.
Rien de sûr, de définitif dans ce roman d'apprentissage à rebours. Le lecteur cherche dans le quotidien lancinant de ce fermier étranger à sa propre vie et dans la description minutieuse de ce qui l'entoure, des contrepoints aux événements passés, des éclaircissements sur ce qui a eu lieu, des explications sur le mélange de colère et de résignation qui lui incline la tête, tous les soirs, pendant la traite, sur le flanc des vaches, dans l'obscurité et la chaleur tranquille mais étouffante de l'étable.

Petits riens mis bout à bout, (comme la présence obsédante de la corneille mantelée, "Qu'est-ce que c'est que cette meurtrière", oiseau noir, présage de mort ou de renaissance ?) le lecteur recompose la vie d'Helmer. Son enfance lovée dans les bras de son jumeau Henk "Nous étions deux garçons et un seul corps" ; la fracture de l'adolescence : Helmer va à l'université, Henk apprend le métier de paysan pour reprendre la ferme et s'éloigne de son frère pour sa petite amie ; à 20 ans, l'accident : Henk meurt et Helmer renonce à vivre en devenant fermier. Chagrin, expiation ? Pour avoir été différent, pour ne pas être le bon fils, celui qui n'est pas choisi, celui qui n'a pas choisi.

Au centre du livre, tel un trésor enfoui, une cicatrice cachée, le noyau dur d'Helmer, ce qui à la fois l'a traumatisé, son frère avec une femme, et ce qui le tient encore debout, le souvenir qu'il a des moments passés avec Jaap (la balafre) le garçon de ferme employé par son père, et de la petite maison où il allait le voir, endroit dont Helmer pense : "C'est là que j'avais été quelqu'un."
Pour rappeler la gémellité douloureuse d'Helmer, des événements et des prénoms se répondent à des années d'intervalle.

Enfin, quand le lecteur a recomposé le puzzle et s'est imprégné de la répétition des tâches agricoles et des signes avant-coureurs des saisons, des paisibles animaux de la ferme, du lent écoulement de l'eau dans les canaux, du doux tournoiement des ailes des moulins, des tranquilles silhouettes des cyclistes au loin et des barques qui passent, il peut laisser Helmer s'en aller, "là-haut", au Danemark et surtout l'imaginer heureux.

Sylvie Lansade 
(19/02/11)   



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Gallimard / Folio

370 pages - 6,80 €


Traduit du néerlandais
par Bertrand Abraham






Gerbrand Bakker,
est né en 1962. Après des études de lettres à Amsterdam, il a exercé différents métiers, puis publié un livre pour adolescents en 2004. Là-haut, tout est calme, son premier roman, a été le phénomène éditorial de l'année 2006 aux Pays-Bas avec des ventes dépassant les 70000 exemplaires. Il a obtenu de nombreuses récompenses dont le presigieux prix irlandais Impac (100 000 €), le prix des librairies Initiales et le prix du roman des Médiathèques de Nanterre.