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Virginia BART

L'homme qui m'a donné la vie



Daniel Laurent, un étudiant de vingt-deux ans, marié, père de la petite Valérie, pour assurer le quotidien de la famille, travaille en complément sur le port de Sète. Contraint par une paternité trop précoce qui l'enferme dans une réalité pesante et terne, il rêve en regardant les navires partir. On est en 1972 en France, au plus fort du mouvement hippie. Daniel, souvent, s'attarde, discute et fait la fête avec ces jeunes hommes aux cheveux longs et ces femmes au long jupon à fleurs qui prônent la liberté et la paix. Il va se laisser séduire et abandonner femme et enfant pour les suivre en Inde et s’engager dans une voie qu’il ne quittera plus, celle de la marginalité et du voyage.

Ils furent nombreux alors mais la plupart rentrèrent un peu plus tard dans le rang. Daniel, non. Malgré ses différents essais pour s'intégrer, notamment lors de ses rencontres amoureuses, il sera toujours rappelé par la route. « Encore une fois, mon père fit ce qu'il savait si bien faire. Partir. Il n'avait jamais pu vivre sur un autre mode de vie que celui de la rupture. (…) Les ruptures n'allaient plus cesser de scander sa vie entière. (…) Mon père ne supportait pas d'avoir un toit sur la tête. »
Trente ans, sac au dos, dormant à la belle étoile, à vivre de presque rien, libre, au plus près de la nature. « Ce mode de vie quasi primitif (…) allait lui apporter un apaisement inédit et une paix sans égale. Enfin, il n'avait plus à réfléchir. » L'Europe, Amsterdam, le Cachemire, les états-Unis, le Canada... Le monde est vaste et Daniel se contente de si peu...

De son côté, la jeune maman s'est remariée avec un médecin, fait un autre enfant, a oublié. Lors de ses retours à Sète, parfois, la fille apercevait ou entrevoyait son père, puis ce fut l'absence totale. Alors l'enfant de celui que la famille et la société considèrent comme un vagabond, un bon à rien, voire un drogué, a passé trente ans à essayer de nier l'existence de celui qui l'avait ainsi abandonnée.
Mais, à la trentaine, une fois adulte et suffisamment installée dans sa vie pour courir le risque d'une confrontation, elle décide, de peur qu'il s'efface du monde sans même qu'elle le sache, de partir à sa recherche. Elle le retrouve en Espagne, et découvre derrière le nomade qui a toujours fui les responsabilités, un homme romanesque, fascinant, exigeant, dur à la douleur, en osmose avec la nature. Un homme hors du champ de toute morale mais cultivé et brillant, doté d'un corps spectaculaire et magnifique. Un père qui désormais lui inspire admiration, peur et désir infini. « En le regardant de nouveau s’élancer dans les vagues, je comprends que je n’ai plus peur. Ma conception ne vaut ni plus ni moins que celle des autres enfants. Surtout, je n’ai plus besoin que n’importe qui m’aime ou m’admire. Je n’aurai plus besoin non plus de jouer à l’homme que mon père n’a pas été. Je sais aussi que, plus jamais, je ne ressentirai cette émotion qui me foudroyait la poitrine quand je côtoyais des pères de famille ordinaires. Car j’ai un père. Et peu importe qu’il soit cabossé, fracassé, frénétique ou sauvage. J’ai un père. »

L'homme qui m'a donné la vie est un roman au sujet assez classique, la recherche du père, qui puise son originalité par l'immersion qu'il provoque chez le lecteur non seulement dans l'intimité du ressenti de l'enfant abandonné mais aussi, sans angélisme, dans le monde des hippies des années soixante-dix et leur philosophie.

Plus encore, c'est un roman qui dit "la route" avec la singularité que ce ne soit pas celui qui a fait ce choix de vie qui se raconte mais celle qui en a subi les dommages collatéraux. Dépassant ses frustrations, ses rancœurs, en dehors de tout jugement, elle tente de restituer de l'intérieur ces voyages tels que son père les a vécus, de découvrir à travers eux ses motivations et sa personnalité. Pénétrer pour comprendre ou du moins accepter.

De belles pages sur la littérature – notamment sur Kerouac dont on pourrait penser qu'il a été une des sources de l'inspiration de Virginia Bart pour ce livre – viennent enrichir le récit de façon discrète mais significative.

Une des forces de ce livre, ce qui le distingue d'une introspection ordinaire, réside dans la façon dont l'auteur considère ses personnages (père mais aussi mère, grand-mère, beau-père) en les replaçant dans leur contexte social et historique. On ne sait si c'est l'analyse rigoureuse et fine de la société ou la plongée au cœur d'une relation père-fille qui sert finalement de moteur au récit.

L'écriture, proche de l'oralité, est simple. La structure du récit, avec des allers-retours permanents entre les différentes époques, est plus complexe mais correspond assez bien aux tendances protéiformes de ce livre dont la richesse permet différentes grilles de lecture.

Un premier roman qui mérite donc qu'on s'y arrête.

Dominique Baillon-Lalande 
(29/09/10)    



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Editions Buchet-Chastel

208 pages - 14,50 €







Virginia Bart,
née en 1972, est originaire de Sète. Elle vit aujourd’hui à Paris et travaille dans la presse. L’homme qui m’a donné la vie est son premier roman.