Xavier BAZOT


Camps volants


Un livre étrange, (est-ce vraiment un roman?) comme une errance en compagnie des sans domicile fixe ou plus exactement des nomades de tout poil : gens de cirque, forains, voyageurs, gitans, clochards, tous cantonnés dans les marges, par choix ou par nécessité, noyés dans le paysage, éparpillés sur les routes ou parqués dans des aires dédiées.
« Futile réaction à la terreur que nous inspire, de notre corps, l'inéluctable marche à son trépas, est un leurre notre soif de se fixer ». Partout pourtant des non-sédentaires, auxquels la parole est donnée, dont la vie est ici restituée avec sensibilité, respect, voire fascination pour leur légèreté et leur courage, se lovent dans le moindre espace laissé à l'abandon.
« La ville qui oscille continuellement entre construction et destruction, ne conserve-t-elle pas, bien qu'à des points qui changent, en permanence des retraites, où s'insérer en attendant que le chantier commence ? »
Un compagnonnage fugace avec des êtres croisés au hasard des déambulations, de ceux qu’on a coutume de regrouper sous le terme générique de « gens du voyage », des individus, des familles, des clans même, qui nous côtoient sans accrocher notre regard, dont trop souvent nous nous méfions alors qu'ils pourraient avoir pourtant beaucoup de choses à nous apprendre.
« Les Hongrois ont pris leurs quartiers à l'ombre tutélaire d'un viaduc autoroutier (...) sur le chemin de halage, où affleure, jaune, l'argile plastique, trois caravanes probablement décrépites avant qu'elles ne traversent l'Europe. leurs habitants vivent sous le regard, qui depuis la voie ferrée, dont le sillon est parallèle au fil de l'eau et au chemin, les découvre et deux à trois secondes les fixe, des voyageurs qui ne peuvent s'arrêter et ne reviendront pas en arrière... »

Souvent on les évite, au mieux ils passent pour des fainéants au pire pour des voleurs ou de dangereux asociaux. Bref, ils font peur. Dans ce livre, ils sont simplement montrés comme des êtres humains, fiers de leurs différences.
D'aucuns éclairés de l'intérieur :
« J'aime l'unité de temps qui nous régit, substitue au rythme des vingt-quatre heures l'espace entre le moment où nous arrivons sur une place pour y édifier notre sanctuaire et celui où, à l'issue d'une cérémonie l'ayant démontée, nous levons le camp. »
« Il suffit d'allumer un feu, sourit-il en y rêvant, pour avoir un lieu. Au spectacle de ce monde en soi, nous sommes tel un oiseau migrateur recouvrant le contact, qu'il aurait brièvement perdu, avec le pôle magnétique ».
D'autres en fin de parcours et découragés :
« Une journée aura duré le voyage avant que nous dénichions l'encoignure où notre présence ne dérange l'activité de quiconque.(...) Ancienne carrière, friche entre rails et route, usine désaffectée, passe-t-il en revue, internés dans des camps ou libres d'aller et venir, nous échouons aux mêmes endroits »
Tous avec leur misère ou leurs rêves donnés en partage.
Paradoxalement au moment ou les migrations estivales et touristiques se multiplient dans des maisons ambulantes luxueuses et imposantes, l'existence même de la vraie culture nomade, elle, apparaît douloureusement menacée.
« Sitôt que nous opérons une halte, se liguent édits et ordonnances pour nous inviter à, sans surseoir, déguerpir. Nous ne sommes plus maître de voyager mais contraints à errer. Nous vivons dans les intervalles, qui se réduisent à des interstices, bientôt à néant. Ne sachant plus où nous poser, nous en arrivons à rêver d'un lieu définitif, d'où nous aspirerions à ne plus bouger. »

Ce monde non pas étrange mais en décalage avec le nôtre, ces voyageurs éternels ou immobilisés plus ou moins temporairement, leur quotidien tantôt joyeux tantôt rude et désenchanté, sont esquissés à travers les portraits sensibles de personnalités fortes et attachantes. Comme dans le recueil Au bord ( Serpent à plumes, 2002), le microcosme humain composite, hors norme et hors circuit, que Xavier Bazot évoque, se révèle, quand on sait l'approcher et s'en faire accepter, riche en expériences et en émotions. Le récit fragmenté de leur façon d'habiter le monde autrement, librement, de leurs règles de vie singulières, de l'injustice sociale à laquelle certains doivent faire face, de la solidarité qui les unit, de l'intensité de leurs aspirations ou colères et de leurs inquiétudes devant l'avenir, donne corps à cette population d'exclus, dresse les contours de leurs univers. Leurs paroles, par instant, croisent nos désirs fantasmagoriques, nos angoisses ou nos questionnements.

Xavier Bazot nous livre un roman toujours sur le fil du rasoir qui oscille entre l'intérieur et l'extérieur, l 'intime et le regard attentif porté sur ces autres à la lisière, entre quête d'identité et défense généreuse du droit à l'altérité, au respect.
L'écriture, travaillée, brutale et poétique tour à tour, le récit décousu, toujours en mouvement à l'image des voyages réels ou imaginaires qui bercent ces habitants à la recherche permanente d'un ailleurs ou d'une simple place, déroutent un peu puis tissent un texte troublant, émouvant entre méditation, pure oralité et incantation. Juste un texte sensible, humain, rare, profond dont la forme épouse magnifiquement le sens.

Dominique Baillon-Lalande 
(05/02/08)    



Retour
Sommaire
Lectures










Champ Vallon

(Janvier 2008)
160 pages - 15 €









Photo © Flora Mérillon
Photo © Flora Mérillon

Xavier Bazot
est né en 1955.
Après des études de lettres, il a été responsable d’un centre d’hébergement Emmaüs : "M’a amené à Emmaüs mon attirance pour le nomadisme, voire l’errance, que connaissent les hommes qui s’y trouvent, errance qu’ils n’ont pas choisie, qui est leur manière de vivre..."
Attiré par la vie nomade, Xavier Bazot a travaillé une saison avec l’Ecole du cirque de Pierre Etaix et Annie Fratellini, une autre avec le cirque Reno.
Camps volants
est son sixième livre.