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Roger BÉTEILLE

Noces bourgeoises



Il s’agit bien d’un roman, d’une histoire présentée comme une fresque historique qui s’étend des années 1936 à 1945 et qui tient en haleine autour d’une « nuit de noces » dont le lecteur, de page en page, voudrait enfin connaître le dénouement.

Au-delà de cette attente, l’écriture de Roger Béteille est riche, rappelant Maupassant ou Flaubert, et surtout elle nous fait découvrir un milieu bourgeois des années 1936-1945 en fait tout proche, l’époque de nos parents voire grands-parents, mais tellement décalé par rapport à nos jours, qu’il devient intéressant de revivre cette période d’il y a seulement soixante-dix ans et mieux comprendre le décalage entre générations.

Quand Henri Labarthe, chef du clan, décide de marier Pauline – dix-sept ans, son unique fille, après le décès de sa sœur ainée – à son beau-frère, veuf et père de deux enfants, c’est avant tout pour protéger les biens de la famille. Peut-on faire un mariage heureux dans ces conditions ? Où est l’enchantement des fiancés comme le cite l’épouse d’Henri Labarthe.
« L’ascension de la bourgeoisie provinciale revêt la lenteur et la tranquillité de la croissance des grands rouvres. Il peut s’écouler des années, voire une ou deux générations, si sereines qu’on oublie leur durée. » Le non-dit est une règle d’éducation et les rancœurs deviennent profondes, la sérénité n’est souvent qu’apparente.

Au travers de cette bourgeoisie, maîtres des manufactures et des gros commerces, se profile l’évolution de l’économie, la concurrence devient dure, intransigeante, les grandes familles vacillent. Nous sommes en province, près de Rodez, et cette évolution entraînera celle du cocon familial. La religion est aussi un facteur de stabilité, les prêtres sont respectés tant dans les milieux bourgeois que dans le monde paysan et ouvrier. Tout en suivant l’intrigue, on apprend ou redécouvre l’intérieur de ce milieu dominant une région. Le personnel de maison est omniprésent. Il consacrait sa vie, sûrement chichement payé, à ses maîtres et avait une influence réelle acquise par une observation constante de la famille.

Cette fresque de la France sur une dizaine d’années, dans ce milieu provincial et bourgeois, évoque aussi la drôle de guerre de 1939-40, l’humiliation que la mémoire collective garde souvent secrète tellement notre pays a été blessé, envahi sans aucune résistance en quelques mois, trahi par ses dirigeants.
On voit Charles, le mari de Pauline, homme discret, sensible, travaillant à l’entreprise familiale, souffrant en silence, devenir un résistant, combattre l’envahisseur, se révéler comme un chef du maquis, pour retomber après la guerre sous la coupe du chef de clan, son beau-père.
Au fil des pages, les caractères, les frustrations apparaissent entre éducation et réalité, laissant craindre au lecteur un dénouement cruel mais toujours feutré.

C’est un roman qui reflète une époque, un milieu, une intrigue, ce qui lui donne tout son intérêt. Il n’y a que soixante-dix ans et c’est déjà de l’Histoire de France. La dernière phrase revient à Pauline et libère enfin le vague à l’âme du lecteur. « Pour la première fois, sa vie lui semblait légère... »

Raymond Bernard 
(06/05/10)    



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Editions du Rouergue

336 pages - 17 €










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