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Jean-Noël BLANC

Virage serré



Le commandant Tavernier est de retour. Aujourd'hui retraité, il peut enfin se livrer tout entier à sa passion : le vélo. Au programme, de longues ballades en montagne loin des autres et de l'agitation. Quand, en pleine côte, un 4x4 le pousse hors de la route, il fulmine contre tous les chauffards. Quand le conducteur fait demi-tour et s'inquiète de son état, il l'engueule copieusement et l'envoie au diable. Rien de dramatique certes mais la petite reine est en piteux état et le garagiste fidèle en vacances. L'homme est un dur mais c'est péniblement que, la vue brouillée par le sang de son arcade sourcilière entaillée, la hanche, le genou, l'épaule et le poignet douloureux, il regagne son domicile. Il lui faudra bien cependant se rendre à l'hôpital recoudre cette arcade plus profondément touchée qu'il ne l'avait cru et radiographier ce poignet qui lui fait si mal qu'il ne peut plus le bouger.

Rien de cassé mais ça tombe mal. La juge Piatoni, Agnès, dont il est tombé amoureux lors d'une de ses dernières enquêtes, doit le rejoindre pour les vacances.
Mais les voyages parfois réservent de mauvaises surprises. Une route de campagne en mauvais état, un virage serré sans visibilité et c'est l'accident, banal. Fatalité, imprudence ou délit d'un chauffard en fuite, le résultat est le même : la voiture dans le fossé et l'ambulance pour l'hôpital. Agnès s'en sortira mais les séquelles risquent d'être lourdes.

L’ancien OPJ, pour évacuer ses inquiétudes, ne peut s'empêcher, entre ses visites à sa dulcinée mal en point, de reprendre du service pour pister l'éventuel coupable. Pestant contre l'inertie apparente de la gendarmerie chargée de l'enquête et agacé par l'attitude courtoise mais teintée de moquerie de ce procureur qui l'invite si volontiers chez lui, il fouille les lieux du drame, questionne l'entourage, échafaude des hypothèses, s'agitant avec obstination pour débusquer la vérité.

On retrouve avec plaisir l'officier de police Tavernier bourru, misanthrope, grincheux, « un dico à la place du ciboulot » en lutte incessante contre toute impropriété de langage chez ses interlocuteurs. Le retraité a toujours aimé horripiler son monde. Mais derrière ses attitudes d'ours mal léché et de maniaque pointilleux, sous la pudeur et la carapace, sourd par moment l'expression d'une tendresse qui émeut et d'une humanité généreuse.

L'argument est mince et peu original mais la personnalité attachante du commandant, le foisonnement et la diversité des autres personnages qui hantent ce décor réaliste avec vie confèrent tout son charme à ce court roman et font que le lecteur s'y laisse prendre sans faiblir.

D'une écriture, précise, percutante, élégante, le romancier raconte la route, ses codes, ses dangers. De façon sensible il nous confronte à une ronde d'individus ni plus ni moins délinquants ou inconscients que nous pouvons l'être mais tout aussi dangereux parfois pour les autres.
Avec son habituel goût du jeu, il se libère de la contrainte originelle de ce texte commandé par la Sécurité Routière pour nous emmener bien plus loin au cœur de notre société, de nos fragilités et de nos travers.
Point ici de leçon de bonne conduite ni de pamphlet à charge. S'il se fonde sur les dernières recherches d'un groupe d'experts et prend le sujet dans toute sa mesure, il n'occulte ni les incohérences du système ni les dérives possibles, se permet des digressions amusantes, n'hésite pas à se positionner en vieux contestataire et évite ainsi l'aspect didactique pesant qui aurait pu survenir sous la plume d'un auteur moins rusé. En s'appuyant sur une multitude de petits détails issus de notre quotidien commun, l'auteur privilégie l'appropriation intérieure et l'identification. Loin du pur constat et de l'exercice de législation appliquée, c'est la texture humaine qu'il fouille et sur les attitudes des uns et des autres face à la route et à la vie qu'il lève le voile, en finesse, sans les stigmatise, dans cette combinaison personnelle de sérieux et de légèreté qui fait sa patte.

Jean-Noël Blanc nous offre ici un faux polar pour un vrai moment de distraction, un petit livre plein de saveur où l'humour vient habiller avec talent un sujet grave.

Dominique Baillon-Lalande 
(24/12/08)    



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Noir & polar









Editions Archipoche
274 pages - 6,50 €







Jean-Noël Blanc,

né en 1945, est l'auteur de nombreux ouvrages dont trois romans policiers mettant en scène le commandant Tavernier : Tir au but, Le Tour de France n'aura pas lieu et Terminus pour les pitbulls (Points Seuil). Il a reçu le prix Charles Exbrayat pour Esperluette et compagnie (rééd. Joëlle Losfeld, 2004) et le prix Renaissance de la nouvelle pour Hôtel intérieur nuit (HB éditions)