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Jean-Philippe BLONDEL

Et rester vivant


J'ai vingt-deux ans.
J'ai vingt-deux ans et je suis le dépositaire de leurs histoires inachevées. J'ai vingt-deux ans et je suis un reliquat de récits. Une survivance. Un putain de séquoia.

Après nous avoir parlé du présent et de son métier d'enseignant dans son précédent roman, G229, Jean-Philippe Blondel évoque ici un moment clé de son existence, l'été 1986.
Il est à l'hôpital pour une opération des dents de sagesse quand on lui annonce la mort de son père. Encore un accident de voiture ! Quatre ans plus tôt, c'est sa mère et son frère qui étaient morts, son père qui conduisait en avait réchappé. Lui, avait préféré prendre le train.
A vingt-deux ans, le voici seul survivant de la cellule familiale.
Une liberté radicale.
C'est rare.
C'est cher.
C'est terriblement cher.

Que faire ? Tout est possible, plus de comptes à rendre à personne.
Il choisit de vendre l'appartement de son père et de partir. Loin, pas tout à fait au hasard.
J'écoute le dernier album d'un chanteur qui s'appelle Lloyd Cole. Son groupe se nomme les Commotions. Ça me va bien. Le premier morceau du disque s'intitule Rich. Il parle d'un homme qui passe sa vie à Morro Bay, en Californie.
C'est décidé, ce sera Morro Bay, avec Laure, son ancienne petite amie, et Samuel, son meilleur ami, devenu le nouveau compagnon de Laure.
Comme ça ne marchait plus du tout entre Laure et moi, il y a eu comme un rapprochement entre Samuel et elle. Disons que j'étais particulièrement odieux, dernièrement, et que Samuel ne l'était pas.
C'est un étrange trio qui s'envole vers la Californie

A San Francisco, ils louent une voiture, une Ford Thunderbird qui leur paraît immense, et mettent le cap sur le sud. Los Angeles, Las Vegas peut-être…

Les miles défilent dans des décors de western. Le désert de la Mort, le Grand Canyon, l'Arizona, les yuccas, les séquoias… Le narrateur rencontre des personnages souvent attachants. Diana Blackley, l'employée de l'agence de location de voitures, qui envie peut-être sa liberté ; Arnaud, le serveur d'un bar-restaurant qui lui propose de s'associer ; Ali qui peut l'employer dans sa Cantina à Cabo San Lucas, au Mexique… Et puis Rose, la propriétaire du Red Rose Motel, qui joue des valses de Chopin au piano pour meubler sa solitude…

Le roman n'a rien de triste ou d'ennuyeux. Jean-Philippe Blondel y distille en permanence humour et émotion. Il évoque sa mère avec une immense tendresse. Elle était directrice d'école, ils habitaient dans le logement de fonction. Elle ne pensait pas finir sa vie avec son mari, elle rêvait d'un ailleurs. L'auteur revoit les balades avec elle en Solex quand il était enfant. Instants de bonheur. Il pense aussi à son frère, vingt-trois ans au moment de l'accident, qui semblait avoir un si bel avenir parce que tout lui réussissait. Mon frère était sûr de lui et de son pouvoir de séduction. Il pensait que rien ni personne ne pouvait lui résister s'il y mettait le paquet. Il grimpait les échelons. Il aimait le pouvoir sur les autres, faire changer les avis, bouleverser les opinions. Affirmer son autorité. Je n'étais pas comme lui. Ma mère souriait. Elle pensait : la vie le patinera… Mais la vie ne lui en a pas laissé le temps…

Le rapport avec son père est plus violent. Son attitude de macho au volant terrorisait la famille, le dépassement dangereux était une preuve de sa virilité. Et une fois sorti du coma, le père avait des désirs de meurtre. Il entrait dans la chambre de son fils avec un couteau ou faisait semblant de s'endormir au volant. Pas de regrets : Je n'ai plus à m'occuper de lui, tu comprends, je n'ai plus à me soucier de savoir s'il va tenter de me buter ou pas, je n'ai plus à avoir peur…

L'auteur alterne les événements de cet étrange voyage à trois et les souvenirs d'enfance : des vacances dans les Landes, une blessure avec une serpe… Mélange d'anecdotes et de moments-clés, avec toujours l'humour, l'émotion, la tendresse… De livre en livre, Jean-Philippe Blondel confirme sa place originale dans le paysage littéraire. Un roman pour la jeunesse paraît aussi ce mois-ci, Brise glace, et nous lui consacrons un article, une belle occasion de présenter les diverses facettes d'un auteur à ne pas manquer.

Serge Cabrol 
(26/09/11)    



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Editions Buchet-Chastel

256 pages - 14,50 €





Jean-Philippe Blondel,
43 ans, enseigne l’anglais dans un lycée de l’Aube depuis vingt ans. Son premier roman, Accès direct à la plage (Delphine Montalant 2003), a obtenu le Prix des librairies Initiales. Il a publié une quinzaine de romans pour les adultes et les adolescents.



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