Ce roman est écrit et construit de façon très originale parce
que les êtres humains n'en sont pas les seuls personnages. Objets inanimés
avez-vous donc une âme ? demandait Lamartine. Camille Bordas répond
oui et, pour nous le prouver, leur donne aussi la parole. La maison, bien sûr
et surtout, est une narratrice importante mais, de temps à autre, c'est
l'horloge, l'arbre, la tasse, le miroir, la porte, la valise d'une petite fille
ou même une pompe à bière qui interviennent en quelques lignes
pour apporter un éclairage décalé sur l'histoire.
Le roman est bâti en trois parties ayant chacune, outre la maison et
les objets, un narrateur différent. Joseph, Isis, Hector
La maison appartenait aux grands-parents, Joséphine et Joannès.
Leurs trois enfants, Paul, Serge et Mariette, ont quitté la région.
Paul s'est marié mais il a ensuite divorcé, laissé sa femme
et ses deux enfants à Paris pour s'établir à quelques kilomètres
de la maison familiale, chez Angèle sa nouvelle épouse.
C'est la maison qui nous raconte l'histoire de tous ceux qu'elle a hébergés.
Après la mort des grands-parents, personne ne l'a plus habitée.
Chacun y a entreposé ses vieilles affaires, les jouets et les vêtements
des enfants.
Je suis devenue un dépôt, un garde-babioles. Plus triste qu'une
pièce vide, il y a les maisons qui débordent de choses oubliées.
Je suis une décharge, un coffre sans trésor, je ne vaux rien.
Comme si ça ne suffisait pas, je tombe en ruine.
Aujourd'hui, les deux fils de Paul viennent passer le week-end chez leur père
pour son anniversaire.
Joseph est déjà là, dans le jardin, heureux de planter
la bêche dans une plate-bande. C'est étrange ce que ça
me fait, la campagne. Il faut que ma mère insiste pour que je vienne
rendre visite à mon père, et puis une fois que j'y suis, il y
a toujours ce moment d'une durée flottante où j'envisage de quitter
Paris, laisser tomber mon boulot, élever des lapins.
Ensuite arrive son frère, Max. Il est sorti de voiture avec une fille
qui a recoiffé ses cheveux du bout des doigts. Elle portait un pantalon
moulant très vert, un débardeur blanc et des chaussures en python
rouge. J'ai tout de suite pensé que mon frère l'avait achetée
en même temps que la bagnole.
Paul n'a pas réuni ses fils uniquement pour son anniversaire mais aussi
pour vider la maison qu'il a vendue à un Parisien, un metteur en scène
qui veut la transformer en théâtre et y implanter sa compagnie.
Le dimanche est consacré au tri des vieilleries et au remplissage des
bennes.
En fin d'après-midi, Hector, le nouveau propriétaire vient prendre
possession des lieux. Il bavarde avec Isis, la très récente petite
amie de Max, et comme rien ne la retient à Paris, il lui propose de rester
là et d'intégrer la compagnie.
Pendant la deuxième partie, racontée par Isis, on voit l'installation
de la troupe dans la vieille maison.
Le miroir ne se prive pas de son petit commentaire. Malgré ce qu'on
pourrait penser, c'est toujours un plaisir pour moi, après tant d'années,
de découvrir de nouveaux visages. Et sitôt découverts, de
les voir se transformer, disparaître sous eux-mêmes.
Les nouveaux, je ne les connais pas encore très bien.
Je ne vois pas tout ce qu'il se passe de là où ils m'ont stocké.
Un bout de mur, un lavabo, quelques cartons. Mais je vois l'essentiel. Je vois
ceux qui me regardent quand ils passent dans mon champ d'action, même
fugacement. Je vois ceux qui ne me remarquent pas. Et ceux qui m'évitent.
Peu à peu, on découvre les caractères des comédiens,
les rapports qu'ils entretiennent entre eux et avec le village, on suit les
travaux de transformation et, enfin, les première répétitions.
Une relation étrange s'instaure entre Isis et la maison
La dernière partie permet à Hector d'évoquer sa conception
du théâtre, son rapport aux mots et aux souvenirs, sa façon
de diriger les comédiens pour obtenir chaque soir un spectacle différent
Camille Bordas fait vivre ses personnages aux parcours complexes, parfois douloureux,
avec beaucoup de pudeur et de tendresse. Le résultat est un roman émouvant
et profondément humain. Une fois la lecture terminée, on reste
imprégné par l'atmosphère qu'elle a créée,
on a plaisir à feuilleter à nouveau l'ouvrage pour revivre telle
scène, telle réflexion d'Isis, et demeurer encore un peu dans
cette étrange et attachante maison.
Serge Cabrol
(12/09/11)