Ying CHEN

Le Mangeur



Ying Chen nous étonne et nous enchante toujours en créant des univers extraordinaires. Le temps et l’espace sont des notions très changeantes pour cette écrivaine d’origine chinoise qui vit désormais au Canada.

Nous voguons d’une maison où vivent un père et sa fille, la narratrice, à un lieu éloigné et indéfini où la narratrice vit avec son mari A., archéologue que nous avons déjà rencontré dans de précédents romans. La narratrice a rencontré A. dans un train, lieu indéfini par excellence.

La jeune fille de ce roman se déplace dans le temps, avant sa mort, après sa mort et dans l’espace, avec son père juste avant de retrouver un amoureux, avec A. après son mariage : « J’essaie de situer l’après-midi en question dans le temps de mon père et non dans celui de A. Je suis persuadée qu’il s’agit de deux temps différents et sans possibilité d’enchaînement l’un avec l’autre, puisque je ne peux mourir dans un endroit tout en jouant le rôle de la future épouse ailleurs. »

La narratrice comme son père adore l’eau qui est un élément essentiel pour eux. Leur relation est fusionnelle, la mère les a quittés après la naissance de l’enfant. Le père n’accepte pas que sa fille parte vivre sa vie de femme. Il l’informe qu’elle ne vieillira pas parce qu’elle ne dépassera pas ses dix-neuf ans.

Tout en l'aimant et en voulant éviter de le faire souffrir, la jeune fille veut rompre avec son père pour accéder à son indépendance.

C’est une problématique que nous avons déjà rencontrée dans L’ingratitude où Ying Chen parle de l’amour/haine d’une jeune fille et de sa mère dans un contexte de suicide. La mort, l’eau, le dédoublement des personnalités, le va-et-vient entre le passé et le présent, le passage des personnages d’un lieu à un autre, d’un moment de leur existence à un autre nous embarquent dans un roman extraordinaire, tout à fait original, n’ayant aucun point d’attache habituel : « Serait-il possible que, même si mes vies semblent se dérouler à des époques différentes et parfois incompatibles, même si je prétends m’échapper chaque fois de mon ombre en survolant l’espace-temps, mes squelettes ou les cendres de mon âme restent cependant dans un même endroit, au fond d’un même lac, ne voyagent jamais ? La mémoire, déjà incapable de saisir les obscurs courants qui traversent et façonnent les êtres, aurait bien besoin de repères durs et nets, de cette fidélité aux lieux, de ce recours aux choses, pour se donner l’impression de fonctionner, et pour soutenir son ambition de refléter l’existence. »

L’écriture est sobre, chargée d’une grande force qui donne un vrai plaisir au lecteur pour ce Mangeur tout à fait indéfinissable, qui glisse au travers des lignes et soulève des problèmes essentiels de la vie avec un regard propre à Ying Chen qui, de roman en roman, construit une œuvre puissante. Je vous laisse découvrir ce texte dont on ne peut révéler précisément le contenu pour vous permettre d'en apprécier la construction fantastique.

Brigitte Aubonnet 
(10/01/07)   



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Editions du Seuil
126 pages, 14 €





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