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Jacqueline DAUSSAIN


Et je fais quoi, moi, maintenant ?



Les deux thèmes majeurs qui se dégagent de ces nouvelles sont l'amour et la vieillesse.
Toutes, à l'exception de « Les poissons, ça calme » – histoire d'une mère célibataire tenancière de bar qui dans sa fatigue recueille les propos de son plus fidèle client imbibé d'alcool – et de « Le prix d'un hamburger » – étrange confrontation d'un SDF et d'une séduisante bourgeoise soucieuse de ménager à la fois sa bonne conscience et sa morale – mettent en scène un couple. Les enfants émargent peu à ces récits, ils sont là en creux, par leur départ du foyer à l'âge adulte ou par ce manque qui n'a jamais été comblé quand la procréation s'est avérée impossible.
Ces couples-là se retrouvent donc souvent en tête à tête.
Parfois ce sont des femmes qui se livrent (« Confitures maison », « La femme de Roger », « Teflon », « Le Pam Pam Club » « Cent ans et plus »), pour dire le poids de l'éducation et de la religion, la maternité ou son impossibilité, le désir ou l'ennui, l'amertume et la frustration, le deuil et l'absence aussi.
Ailleurs, ce sont les hommes, entre appétit et lassitude, quand la vieillesse les étreint, que la maladie ou la mort a envahi leur territoire, qui se disent. (« Que chaque jour soit un dimanche », « Ça ne s'oublie pas », « Des miettes sur la table », « Je te dis merde », « Sentier des italiens ».
Finalement, les confidences masculines constituent souvent un écho à celles des femmes aimées ou délaissées et renvoyer ici un sexe contre l'autre s'avèrerait hors de propos. L'usure les guette pareillement. Parfois les voix s'entremêlent (« Soixante-cinq boutons de nacre », « Un ménage bien tenu ») et le résultat en est plus intense encore.
Deux nouvelles se détachent du lot par leur originalité et le ton provocateur qui les teintent : les noces d'or incongrues de Huguette et Gilbert dans « Soixante-cinq boutons de nacre » et les pensées fort peu conventionnelles qui agitent Sœur Augusta, du haut de ses cent ans, au seuil de la mort (« Cent ans et plus »). Drôles, et d''une efficacité à toute épreuve.

La force de ces nouvelles, c'est la précision et la simplicité avec lesquelles l'auteur évoque, sans fards, sous différents angles, la sexualité, la difficulté de vivre avec l'autre, de communiquer, d'aimer, la maternité, la vieillesse, la maladie, la solitude et la mort.
Mais, malgré les sujets, l'ambiance générale ne s'apparente en rien au polar ou au "noir".
Aucun moment de violence dans tout cela, ni même de profond désespoir. Quand drame il y a, celui-ci est d'une telle banalité qu'il en est presque invisible et se produit dans l'indifférence générale. Rien de nature à nourrir la rubrique "faits divers" du journal local. Les personnages dont l'auteur, avec une plume trempée dans le respect et la bienveillance, saisit une tranche de vie à un moment où l’incertitude et la perception du temps qui passe les fragilisent, sont eux aussi "ordinaires". Ces hommes et femmes qui sous toutes les formes ne font que crier en silence leur besoin d’amour et de reconnaissance, on les connaît. Ils ressemblent à nos amis, nos collègue et parfois nous renvoient à nous-mêmes.
En nous plongeant dans les contradictions et les zones d'ombre de Marc, Emma, Adelin, Anna et les autres, tout en nous permettant de croire qu'il s'agit là de nos voisins afin que nous puissions en rire jaune, c'est à un tableau fort de nos sentiments et de nos angoisses face à la société d'aujourd'hui qu'elle nous confronte.

Que du banal mais rien de fade cependant, car l'ensemble se trouve emporté par une énergie et une pulsion de vie formidables. Pas de grande vague dépressive non plus, Jacqueline Daussain sait laisser la porte toujours entrouverte sur l'espoir d'un apaisement ou d'une petite joie qui pourrait surgir, encore.
La pudeur et la fantaisie y trouvent aussi leur place avec l'utilisation quasi permanente d'un humour ravageur et salvateur toujours judicieusement placé.

L'auteur nous cuisine ainsi de drôles de plats, s'amusant à conjuguer salé et sucré, nuit et soleil, sourires et larmes, voire perversité et tendresse. Le repas servi est de qualité.

Un recueil en arc-en-ciel, entre amertume et espoir, incorrection et pudeur, morale et cynisme ou l'on sourit, s'émeut, se trouble tour à tour.

Un premier recueil prometteur.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/02/10)    



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Editions Quadrature

110 pages - 15 €




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