Francis DEMARCY

Maîtrauxe



Un livre qui nous confronte aux réflexions et aux pérégrinations d'un glandeur professionnel, asocial, au lendemain de déboires sentimentaux mal digérés. Largué par "la Demoiselle" (ainsi nommée durant tout le roman) pour cause « de mauvais esprit et de nature velléitaire », mesurant a posteriori « le danger à se laisser égarer par les sentiments (car) aimer quelqu'un, c'est le laisser faire le procès de votre vie », celui-ci se met à la recherche d'un emploi. Entreprise d'autant plus désespérée que notre homme, « incarnation fin de siècle du doute et de l'hésitation » pour laquelle « le profil bas était devenu comme une seconde nature » s'obstine à se présenter aux entretiens avec une dégaine de fan vieillissant de Ritchie Blackmore.
« La démarche ne m'était pas naturelle, j'étais un peu gêné à l'idée de m'adresser à d'éventuels employeurs. Sans compter que dans le piteux état mental où j'étais, ça me paraissait incongru de revendiquer une place dans la société. »

Quelques mois plus tard, la nécessité contraint le directeur d'un lycée agricole abrité dans un vieux château perdu en pleine campagne dans « une Normandie de carte postale » à pourvoir en urgence un poste laissé vacant. On est déjà à la Toussaint et le recrutement d'un maître auxiliaire pour enseigner la biologie en seconde pour faire taire la grogne des parents d'élèves s'impose. Pas le moment de faire la fine bouche, contre toute attente notre homme, disponible de suite, fera bien l'affaire. « Le contexte de cette embauche n'était pas pour me déplaire. D'être considéré comme un pis-aller, c'était pour moi plus facile à assumer qu'un statut de recrue prometteuse. Tout cela n'était pas très glorieux mais, comme me l'avait dit mon psychiatre : la gloire est un concept quelque peu anachronique et, dans votre cas, particulièrement inapproprié. »

Sans enthousiasme mais avec une bonne volonté égale au détachement quasi philosophique qui le caractérise, il va durant une année scolaire découvrir et côtoyer ce monde clos d'ados et de profs.
« Mes élèves avaient une dizaine d'année de moins que moi. La décennie qui sépare l'adolescent candide du jeune adulte informé. [...] De cette proximité d'âge mental découlait une certaine empathie qui avait au moins le mérite d'éviter les habituelles tensions entre enseignants et lycéens. »
« Si je n'arrivais pas à m'impliquer dans la profession, c'était moins le fait du travail lui-même que des collègues. [...]J'étais là carrément indisposé par certains aspects de la vie de groupe, qu'il s'agisse de leurs fréquents accès de repli corporatistes ou de cette forme gluante de confraternité qu'ils se manifestaient. »
« J'entendais parfois des collègues se plaindre de l'hétérogénéité des classes. Sur ce point ils avaient raison. [...] En effet, comment trouver le langage et le ton qui conviennent aussi bien à celui qui culbute les filles après quelques pas de slow et à l'autre qui rentre la queue basse après mille bornes en 4L ? »

S'offre alors à son regard d'entomologiste misanthrope une belle palette de spécimens. Parmi eux, un seul saura retenir l'attention de cet adolescent picard mal grandi, Laurent, un cancre étrange, un marginal rebelle, amateur comme lui de musique rock et, à ses heures, de littérature.
« Je n'avais pas les ambitions communes des gens de mon âge : situation d'avenir, vie de famille, etc. Je ne me sentais pas le goût de construire. Mes préoccupations du moment tournaient autour des rumeurs de séparation des Pixies. Je ne pouvais m'ouvrir de cela aux collègues. Seul un adolescent en rupture de motivations scolaires pouvait partager mes dérivatifs rock'n'rolliens. Il me suffisait avec lui de reprendre ces conversations de mélomanes hirsutes que j'avais suspendues une dizaine d'années plus tôt. D'échanges furtifs au détour d'un couloir on est passés aux tête-à-tête dans un bar du bourg voisin. Le cadre, pompes à bière et nuées tabagiques étaient plus propices à la confidence. » Une relation amicale qui durera au-delà du lycée même si notre homme confesse être « par nature plus porté à la frugalité sociale qu'à la camaraderie débridée. »

Mais un tel personnage n'est pas fait pour s'incruster et le vent picard rapidement l'emportera à d'autres places jamais réellement siennes.

Un sens de la formule qui fait mouche (« à trop gloser sur la digestion des vaches, on devient soi-même un expert en rumination »), un sens de l'humour grinçant mais jamais cynique et une maîtrise parfaite de l'autodérision confèrent au récit de ce rocker rural désenchanté et à son itinéraire d'enfant du siècle décalé une drôlerie irrésistible et salutaire.
« On trouvera dans ce quatrième roman de Francis Demarcy, un zeste de Mirbeau, une pincée de Maupassant et pas seulement à cause du décor normand. »
Un roman original qui surprend et séduit. Une découverte.

Dominique Baillon-Lalande 
(26/07/08)    



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Librairie du Labyrinthe
176 pages - 12 €









Francis Demarcy

a obtenu le Prix du Livre de Picardie en 1994
pour Rase campagne.
Maîtrauxe
est
son quatrième roman.