Jean-Christophe DUCHON-DORIS

La fille au pied de la croix



Quoiqu’il ne s’agisse pas d’un roman policier, c’est encore à une enquête que nous convie le dernier livre de Jean-Christophe Duchon-Doris. Nous sommes en Gaule, plus exactement en Provence, vers le milieu du premier siècle. En Judée, dix ans plus tôt, se rendant aux supplications d’une femme dont l’extrême beauté l’a frappé au cœur, le centurion Longinus a porté le coup de grâce à un crucifié en lui perçant le flanc droit et a rendu son cadavre à ses proches sans lui briser auparavant les membres comme l’exigeait la coutume. Peu de temps après, il entend dire que cet homme, un certain Jésus, aurait ressuscité au bout de trois jours et serait à l’origine d’un nouveau culte. Dès lors le doute s’installe en lui : le corps qu’il a détaché de la croix était-il réellement mort ? Pour le savoir, il lui faut retrouver cette femme qu’il n’a jamais oubliée et dont le nom est Marie de Magdala. La rumeur lui apprend qu’avec quelques compagnons, elle serait venue en barque de Judée pour aborder dans le delta du Rhône. Le doute devenant bientôt une obsession, le voilà parti sur ses traces. Nous le suivons de la Camargue à l’arrière-pays de Marseille, recueillant avec lui les indices convergents, mais toujours incertains, du passage de Marie-Madeleine. Chemin faisant, Longinus est de plus en plus fasciné par cette religion nouvelle, dont le dieu a choisi de se faire homme pour éprouver la souffrance et la mort. Il se rend compte aussi, non sans trouble, que les questions qu’il pose contribuent à la crédibiliser, jusqu’au moment où son enquête, devenue quête initiatique et spirituelle, trouve, après une ascension dans des lieux sauvages où passe le frisson du sacré et où il atteint les limites de ses forces, son accomplissement dans une vision qui lui paraît miraculeuse, mais que le lecteur peut aussi bien interpréter comme une hallucination née de l’épuisement physique et moral.

La fille au pied de la croix est un livre séduisant à bien des égards. La narration, très habile, maintient jusqu’au bout un suspens efficace. La peinture de cette Gaule romanisée, mais encore travaillée par des poches de résistance qui font l’objet d’une répression brutale, est aussi convaincante que haute en couleurs parce qu’elle s’appuie sur une érudition sûre et discrète. Le surnaturel y est assez présent pour nimber le récit de merveilleux, mais aussi assez douteux, assez volatil pour ne pas indisposer le lecteur agnostique. Psychologiquement crédible, le cheminement spirituel de Longinus fait de lui un personnage attachant.

Enfin, la plume de Jean-Christophe Duchon-Doris restitue les atmosphères et les paysages avec un bonheur constant. Elle donne à voir et à sentir, évoquant les sons, les parfums et les couleurs avec une grande richesse sensuelle, brossant des tableaux dont la beauté invite à ralentir la lecture pour mieux les admirer : « Le ciel avait pris une belle teinte gris perle qui jetait sur le pont une lumière phosphorescente gouachant les voiles et les cordages. Des risées glaçaient la mer de coulées éblouissantes et froissaient les vagues comme du papier d’argent. » Souvent, la phrase atteint même à une authentique poésie grâce aux métaphores qui s’y enchâssent comme des joyaux : « Des ombres se faufilaient entre les herbes, glissantes, fuyantes, à chacun de leurs pas. L’aube soufflait une poudre de plomb sur l’eau emportée par les courants et allumait, çà et là, dans les joncs, les élytres d’insectes au brillant de bijou. »

Coulé dans une écriture précise et chatoyante, ce récit qui se situe au moment crucial où la civilisation antique s’apprête à basculer dans l’ère chrétienne a tout pour satisfaire le lecteur exigeant.

Sylvie Huguet 
(17/02/08)    



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Editions Julliard
298 pages
19 €









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