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Patrick DUPUIS


Nuageux à serein



Des personnages ordinaires, hommes, femmes, enfant, semblables à nous, avec leurs qualités et leurs défauts, s'agitent dans la ville. Ils s'y rencontrent ou s'y croisent, rêvent au bonheur en échafaudant des projets d'avenir ou se lassent, se trahissent, se déchirent. Parfois ils s'attendent ou se retrouvent. Le plus jeune fait encore des pâtés de sable quand les plus âgés s'appuient sur une canne pour hanter les couloirs tristes de leur foyer. Mais des lieux ou de leur vie nous saurons peu de choses. Ici seuls les sentiments qui les animent, les illuminent ou les détruisent comptent. Il, elle, désire, s'émeut, s'agace, s'ennuie face à l'autre dont une part, toujours, échappe. Les liens qui les unissent et les amarrent à la vie ont bien du mal à résister aux perturbations. Le temps s'écoule inexorable et le ciel, les humeurs et les sentiments, changent si vite. Un souffle suffit parfois à tout faire basculer.

Ici tout est bref. Le projecteur ne fait que révéler les contours d'un instant clef, isolé de son contexte, chopé au vol comme les bribes de conversation entendues par hasard dans un café. Circulez il y a si peu à voir pourrait-on penser hâtivement mais c'est niché dans ces interstices minuscules que se cache l'essentiel. Patrick Dupuis s'attache aux petits riens qui tissent une existence, aux situations banales, bancales, anecdotiques qui font ou défont les amours et les solitudes. Il sait attirer notre regard, aiguiser notre curiosité, provoquer notre empathie avec ces silhouettes entr'aperçues au point qu'il nous semble parfois reconnaître en eux comme un air de famille. Le recueil se lit alors comme on feuilletterait un l'album de photos, passant avec nostalgie et tendresse, de l'émotion d'un vieux souvenir au regret d'une occasion manquée.
Une des nouvelles, plus sociale, se détache de l'ensemble. « Bac à sable » en effet, à partir de l'évocation des amours enfantines, traite de la situation dramatique des sans-papiers. Un récit grave et émouvant qui parvient en quelques pages à traiter le sujet dans sa dimension multiple : la différence et le racisme ordinaire, la menace d'expulsion, les réactions de révolte qu'elle provoque dans l'entourage proche et le réseau de solidarités qui se met en place.

Le style de ces dix-neuf nouvelles brèves est volontairement simple mais vif, rythmé par l'incision de phrases courtes. L'auteur aime à surprendre avec des débuts percutants : « Jusqu'ici dans ma vie, je n'ai jamais fait que des bêtises. Aujourd'hui, je crois que je vais commettre ma première erreur. » (Paternité) ; « Le portable gît, inutile, sur le tableau de bord. Elle conduit les mains crispées sur le volant. Autour de la voiture l'autoroute et la nuit. Du brouillard aussi. » (Le portable) ; « Ses deux mains s'écartent régulièrement comme celles d'un prédicateur en chaire de vérité. Il pérore. Le type qui est assis en face de lui ne parvient pas à placer un mot. Pas de doute, c'est bien lui. » (Dans deux mois je suis maman) et des fins énigmatiques : « Le ciel est bleu. Mon homme m'attend. Dans deux mois je suis maman... Pourquoi ai-je envie de pleurer ? » ; « Pas le temps de te ranger, tu m'attendras au salon. Je te remettrai près de mon lit à mon retour. Ne t'inquiète pas : le chat est dehors et il ne risque pas de sauter de la table et de te renverser. » (Nuageux à serein) ; « Dehors près de la voiture, les deux hommes rient toujours. Elle démarre en trombe... Trop vite... » (Le portable). Le tout est teinté de bienveillance, de douceur et d'humour.
Du bel ouvrage.

Patrick Dupuis est l'un des fondateurs des éditions belges « Quadrature ».

Dominique Baillon-Lalande 
(12/06/09)    



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Editions Luce Wilquin

112 pages - 12 €