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Fabio GEDA

La séquence exacte des gestes


Un récit choral avec :
Des enfants
Marta a douze ans. Aînée d'une fratrie de quatre dans une famille où la mère alcoolique n'est plus en état d'élever ses enfants et de tenir la maison, elle s'occupe de ses frères et sœur et tient tout à bout de bras sans aucune aide du père qui fuit dans l'absence et dans les bras de la voisine. Un équilibre précaire qui se rompt avec la mort accidentelle de la cadette. Le drame provoque alors l'éparpillement de la cellule familiale : le père part avec sa maîtresse, devenue veuve depuis peu, pour le Val d'Aoste où elle a hérité d'une vieille baraque ; la mère sans travail et plus ivre que jamais, se voit retirer la garde de ses enfants ; les deux petits sont envoyés dans un foyer et Marta dans un centre d'hébergement pour adolescents. Roberto, son père, lui a promis de la reprendre plus tard, avec ses frangins, quand ils auront fini de transformer la maison longtemps abandonnée en gîte touristique. En attendant, il lui envoie des cartes postales où il griffonne quelques mots, pour la faire patienter.
Corrado est plus vieux, seize ans, presqu'un homme. Son père, il ne le connaît pas. Ne lui reste que sa mère, une instable incarcérée, qu'il visite très régulièrement en attendant sa sortie. Son obsession est d'organiser en secret une fête extraordinaire pour sa mère, lors de sa libération. Le garçon rebelle, taciturne et violent, est prêt à tout, voire à se laisser embarquer dans un plan délictueux et foireux, pour réunir la somme nécessaire.
Les deux ados malmenés par la vie, grandis trop vite, endurcis, accrochés à un espoir de vie meilleure, sont hébergés à Turin dans le même centre d'hébergement aux cotés d'Ahmed, Marianna, Bogdan, Rezjiana et Loredana. Sept enfants en perdition, dix parfois, pris en charge dans le pavillon par une équipe de quatre adultes.

Des éducateurs
Des professionnels dévoués qui s'efforcent de redonner un cadre, un rythme, un semblant de famille et d'affection à ces adolescents en rupture et aimeraient bien trouver (et surtout garder) un cinquième larron en renfort. Mais le métier est difficile et laisse peu de temps à la vie privée et les jeunes recrues abandonnent vite.
Ascanio, un ex-pensionnaire, est le plus ancien. Il travaille dans le foyer depuis huit ans. Un sacerdoce. "Quand il avait choisi ce travail, il savait qu'il allait devoir se transformer en un mixer pour les résidus émotionnels des enfants, en une cuvette de W.-C. dans laquelle ils vomiraient leur passé. Ce qu'il ne savait pas, c'est que cette odeur de vomi le suivrait à jamais". Pourtant, parfois, malgré l'équipe soudée, malgré cet amour secret qu'il porte à Elisa qui l'assiste depuis plus de deux ans, malgré ce blog où il s'épanche, malgré l'humour qui le caractérise, il doute, craint de ne pas tenir le coup, de ne parvenir à rien...
Et si les adultes eux-mêmes avaient "perdu le mode d'emploi, indécis sur la séquence exacte des gestes qui permet de réduire la distance entre les êtres" ?

Une assistante sociale
Léa, une jeune femme ayant choisi ce métier avec conviction pour aider les autres, pour "transformer la rencontre en instrument de guérison" et qui aujourd'hui se sent ensevelie sous "une montagne de notes, d'entretiens, de lettres restées sans réponse, de rapports, de décisions du tribunal pour enfants, qui se renvoient la balle pour chaque affaire à résoudre. Des voix à écouter, un fatras d'histoires sans queue ni tête". Une fonctionnaire qualifiée et déterminée mais fatiguée, une mère aussi, qui peine à rester disponible pour les siens, une femme que le doute assaille, également, de plus en plus souvent.

Et dans un cercle plus lointain, les parents perdus, dépassés...

Autour de l'histoire de Marta, c'est tout un monde de familles boiteuses, une ronde d'enfants tombés du nid et d'adultes qui les prennent en charge. Tous en quête et en fragilité.
Au fil du récit se dévoilent des existences naissantes mais déjà abîmées, décrites avec beaucoup de tendresse et de sensibilité, sans excès ni pathos. Une souffrance inavouée qui n'est parvenue à gommer ni l'instinct de survie ni la détermination, au-delà des obstacles ou des angoisses, à recréer un lien familial et à se rêver un avenir.
Face à eux, des adultes, concernés, courageux, généreux mais pleins d'interrogations, "souffrent de ne savoir trouver les mots qui épousent les intentions et les sentiments", qui soignent et accompagnent.
L'enfance et l'âge adulte se confondent dans la même souffrance, ballottés entre passé qui colle à la peau et routes incertaines devant soi.
L'auteur étant lui-même éducateur, on devine le témoignage et les séquences de vie derrière la fiction. Cela donne l'occasion aux lecteurs de pénétrer le quotidien d'une profession rarement évoquée dans la littérature, avec un texte social fin et réaliste, nourri des enfants qu'il a croisés et de ses propres doutes et difficultés.
Un bel éloge empreint d'émotion de ce métier difficile. Un récit au ton juste, habité par un regard tendre et respectueux qui au-delà du marasme social veut croire aux capacités de l'individu à se construire des lendemains meilleurs.
Une écriture simple et parfois empreinte de poésie pour ce message en équilibre entre l'angélisme béat et la désespérance, porteur d'un véritable espoir et rempli d'humanité. Émouvant !

Dominique Baillon-Lalande 
(11/08/11)    



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Lectures










Éditions Gaïa

272 pages - 21 €

Traduit de l'italien par
Augusta Nechtschein











Fabio Geda,
né en 1974 et vivant à Turin, est éducateur spécialisé dans un centre pour mineurs émigrés. Il est l'auteur de deux autres livres déjà traduits en français : Pendant le reste du voyage, j'ai tiré sur les Indiens (Gaïa, 2009) et Dans la mer il y a des crocodiles, l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari
(Liana Levi, 2011).