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Valentine GOBY

Des corps en silence



Deux histoires croisées à un siècle d’intervalle. Deux femmes qui tombent en panne d’essence près de La Défense et abandonnent leur voiture. On les suit en chapitres alternés avec une petite originalité : la phrase finale de chaque chapitre est interrompue, laissée en suspens, et se poursuit au début du chapitre suivant, liant ainsi, d’étrange manière, les destins des deux femmes.

La première, Claire, une femme d’aujourd’hui, revient de vacances. Tirant la valise d’une main et Kay, sa fille, de l’autre, elle choisit le métro et l’errance parmi les tours de La Défense. Elle ne veut pas rentrer chez elle, retrouver Alex qu’elle n’aime plus. Elle s’en est aperçue un matin, au petit déjeuner.
Tant d'infimes événements ont dû préparer ce moment, elle ne les a pas vus, mis bout à bout, conduire à cette scène désarmante : lui, qui mord une tartine de pain dans la cuisine saturée de lumière, cravate nouée autour du col, rasé de frais, parfumé, comme tous les matins ; mâchant soigneusement chaque bouchée, la tasse de café chaud à portée de main ; il sourit, en écoutant France Inter. Elle, qui suit du bout des doigts le tour en dentelle de sa nuisette, et soudain voudrait essuyer les lèvres d'Alex, doucement, les traces de confiture. Secouer les miettes tombées sur le devant de la chemise. Déplacer la mèche sur son front. Elle voit l'enroulement de ses cheveux très courts autour du petit point rose, à l'arrière de son crâne, épi d'enfant mal gommé au gel.
Elle sait, à ce moment-là, elle s'en étonne mais ne lutte pas, ou plus, qu'elle ne l'aime plus. Elle se le dit, un mot après l'autre, pour la première fois.


L’autre, Henriette, au début du vingtième siècle, est follement amoureuse de son mari, Joseph, et fait tout pour en être aimée.
Elle porte sous ses robes des pantalons sans jours, sans guipure, ouverts à l'entre-jambe, pour être prise debout et à l'envi ; des jupons de crêpe de soie incrustés de dentelle de Valenciennes, pour qu'il la cherche, la trouve, pour l'impatience ; des jarretelles de soie dont la douceur se confond avec la peau, la laissent intacte, sans le garrot des jarretières. Elle exclut les corsets qui mordent la chair, la forent de marques violacées, persistantes, où les œillets s'enfoncent, où les lacets s'incrustent, que les baleines blessent, pour des ceintures élastiques, des soutiens-gorge, des brassières de tulle aux boutons de nacre, des maillots qui ne compriment pas les seins, les gardent lisses, d'un bloc.

Si l’existence de Claire est une fiction, celle d’Henriette est maintenant entrée dans l’Histoire. Joseph Caillaux, Ministre des finances, fut victime en 1914 d’une violente cabale à l’initiative de Gaston Calmette, directeur du Figaro. Attaques politiques, accusations d’escroquerie, le quotidien ne cesse de mettre le ministre en cause. Le 16 mars 1914, Henriette Caillaux se rend dans le bureau de Gaston Calmette et le tue de cinq coups de revolver. L’avocat ayant décidé de plaider le crime passionnel (elle aurait tué par amour, pour défendre l’honneur de son mari), Henriette est acquittée le 28 juillet.

Valentine Goby donne une autre interprétation des faits. Henriette aurait découvert que Calmette et Caillaux se disputaient la même maîtresse et que la cabale du Figaro était moins due à la politique qu’à la jalousie. Son mari la trompe et la délaisse. Soit. Henriette va montrer au monde entier ce qu’elle peut faire par amour pour son mari. Après cette preuve de passion, comment pourrait-il la quitter ?

Claire n’aime plus son mari et ne veut plus le rejoindre, Henriette n’est plus aimée par le sien mais prête à tout pour le reconquérir, deux portraits croisés de femmes qui préfèrent agir que subir… Un livre étonnant, qui peut déconcerter, mais qui mérite lecture et relecture…

Serge Cabrol 
(01/03/10)    



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Lectures









Editions Gallimard
144 pages –13,50 €









Valentine Goby,
née à Grasse en 1974.
a déjà écrit une dizaine de livres, pour les adultes et pour la jeunesse, et obtenu plusieurs prix littéraires.




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