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Guillaume GUÉRAUD


Déroute sauvage



Une classe de 4e en voyage scolaire direction l’Espagne, traverse les Pyrénées de nuit. Élèves et professeurs dorment à moitié quand, à trois heures du matin, suite à une crevaison, le chauffeur perd le contrôle du véhicule qui se renverse et glisse dans le ravin. La chute est interminable. De chocs en chocs contre les blocs de pierre et les arbres, le bus se démantèle puis se retrouve scié en deux. Des passagers sont éventrés, d’autres ont la mâchoire ou les membres arrachés, la gorge tranchée ou d'autres mutilations du même ordre. Un carnage !

Une fois le bus stabilisé, les rescapés choqués, blessés pour la plupart, en sortent péniblement. L'obscurité est totale, les téléphones portables ne captent aucun réseau et ils se retrouvent seuls loin de la route et de toute habitation. Plus de la moitié de leurs camarades mais aussi de leurs professeurs n’ont pas survécu, ceux qui vivent encore sont en piteux état. Où et comment trouver du secours ? Quand ils se regroupent pour étudier la question, l'un d'entre eux raconte que, quelques secondes avant l'accident, il a cru entendre un coup de fusil. Il se heurte à une totale incrédulité jusqu'au moment où un élève reçoit, à peine levé, une balle dans la tempe. Simultanément, des craquements de feuilles et des bruits d’animaux, tout proches, leur confirment qu'ils ne sont pas seuls et que cette présence représente un danger...

En effets des êtres étranges, un presque troll armé d'une massue et d'une hache, un gringalet avec un fusil, un troisième, maître dans le lancer d'armes blanches et dans le maniement de la machette, s'approchent et semblent vouloir les pourchasser pour les éliminer. Trois bêtes sauvages assoiffées de sang qui s'amusent à torturer leurs victimes en grognant de satisfaction. Ceux qui les ont aperçus de leur cachette et vus à l'œuvre, comme Romain et Laure, se lancent terrifiés dans une fuite éperdue dans la forêt, entraînant avec eux tous ceux qui peuvent encore les suivre. Au fil de la poursuite, les morts s'accumulent, la terreur s'installe, l'inégal combat commence.

«  A croire que les chiffres n'avaient plus de logique. Ou que les règles mathématiques ne s'appliquaient pas ici. Parce qu'une soustraction aussi simple que deux moins un ne donnait pas un.
Problème : Un gringalet et un colosse sont dans la montagne, le colosse tombe au fond du précipice, que reste-t-il ? Facile. Sauf que le gringalet tire un coup de fusil à quatre cents mètres de là et qu'une machette surgit ici. Merde. Combien sont-ils et où se cachent-ils ? 
»

Nos héros aux aguets courent à perdre le souffle, affolés, sans savoir quelle direction prendre, s’entraident, font preuve de courage parfois ou essayent de ruser devant l'ennemi mais surtout fuient sans autre but que de ne pas tomber entre les mains de ces bourreaux potentiels et tenter de sauver leur peau.

Le voyage pédagogique se transforme en cauchemar et l'horreur va crescendo…

Déroute sauvage se présente dès les premières pages comme un hommage au cinéma d'horreur des années 70. En effet l'auteur évoque dans les remerciements les réalisateurs des films Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper), La colline a des yeux (Wes Craven), piliers d'un cinéma de genre qui refait surface depuis le début des années 2000. Le roman aurait même des ressemblances avec Souviens-toi l'été dernier (Jim Gillespie), disent des amateurs.

Le récit est construit dans l'esprit de ces grands classiques sur un scénario convenu : des innocents, un accident dans un no man’s land, des survivants confrontés sans raison à trois monstres psychopathes semblant sortis tout droit d'un jeu vidéo ou d'une BD d'heroic fantasy, la fuite avec pour seul but : s’en sortir vivant, une seule question : qui sera le gagnant ?

L'écrivain pour nous faire frémir use de tous les clichés du genre (nuit noire, forêt lugubre, morts à un rythme régulier avec torrent d’hémoglobine, rires sataniques et bruits inquiétants, petite maison en bois à la lisière de la forêt, tension qui monte pour ne jamais s’arrêter) et les scènes de massacres sont sanglantes, violentes et horribles à souhait. Une chose est sûre, l’histoire est bien ficelée et la parodie respectée. Entre roman noir et parodie cinématographique, Déroute sauvage nous tient en tension pendant 140 pages. On est sans cesse en haleine, ça va vite, ça saigne, ça tue, ça charcute. Quand on reprend son souffle à la lecture des bulletins scolaires, des notes de cours, des mots d'un bulletin de liaison en direction des parents, des paroles de chansons retranscrites dans un journal intime, des recommandations de l'administration pour le voyage, intégrées en début de chapitres, on replonge très vite, dès la scène suivante, dans l'effroi le plus total.

Mais là où le long métrage se limite à une accumulation de scènes à la violence brute, la transformation du modèle cinématographique en roman permet l'ajout de réflexions portées par les héros eux-mêmes sur la situation. Le livre, certes doté ici d'une écriture extrêmement imagée et visuelle pour décrire les faits et gestes des personnages, nous invite à pénétrer les pensées, les peurs, des fuyards. Les personnages en deviennent attachants et leur histoire presque assez crédible pour nous angoisser... Mais pas assez pour nous faire faire des cauchemars car l'auteur en glissant simultanément du réalisme au fantastique par la nature caricaturale des poursuivants, des monstres cruels et stupides dignes de la tradition des trolls, permet au lecteur de distancer suffisamment pour rester dans le simple plaisir de "jouer à se faire peur". La citation placée en incipit par l'auteur indique d'ailleurs la couleur : "Je mentirais si je ne pensais pas déjà m'être amusé à raconter n'importe quoi juste pour les faire marrer." Message reçu. Il faut évidemment prendre ce roman au second degré. Guillaume Guéraud nous y aide par une utilisation quasi permanente, même au cœur de l'horreur la plus grande, de l'humour. Ainsi ce passage tendre et drôle :
« Elle se tenait le ventre. Son sang chaud filant entre ses doigts. (…)
– Romain.
– Quoi ?
– Il faut que je fasse pipi.
– Bon.
Il lui tourna le dos. Un simple réflexe de courtoisie curieusement rescapé de la cruauté.
– Merde, marmonna Laure, je ne dis pas ça pour que tu regardes ailleurs, j'ai besoin de ton aide !
La douleur de l'entorse et la coupure de sa paroi abdominale ne lui permettaient pas de s'accroupir.
Romain passa derrière elle et la soutint par les aisselles.
Elle retrouva la force de plaisanter :
– Si on s'en sort, Romain, promets-moi de ne jamais raconter cet épisode à personne... 
»

Guillaume Guéraud a un style bien à lui : un langage charnière entre langue orale et langue écrite, avec une syntaxe simple, qui est éminemment percutant et efficace pour mettre la terreur et la souffrance en mots, se payer le luxe d'en rire, et nous embarquer dans ses délires avec brio.
Une parenté avec d'autres titres de l’auteur dans la même collection (Je mourrai pas gibier et La Brigade de l’œil) s'impose aussi malgré la différence de registre : la violence certes mais aussi l'opposition entre la mort et l'instinct de vie ou de survie. C'est peut-être, au-delà des valeurs comme la solidarité et le courage qui se trouvent mises en scène tout au long du roman, la vraie force cachée de ce texte ludique et provocateur.

Certains ayant crié au scandale devant cette violence gratuite et déconseillé cette lecture aux ados, j'ai voulu tester ce roman auprès d'un gamin d'à peine 15 ans (grand lecteur ayant déjà lu deux livres de Guéraud) et d'une jeune fille de 20 ans, consommatrice de jeux vidéo type CS (combats militaires) ou heroic fantasy. Au final, le premier a beaucoup ri (moi aussi) et adoré. La seconde a effectivement apprécié la drôlerie de certains passages, a globalement apprécié, mais exprimé que la violence des mots lui paraissait plus forte que celles des images et que le visionnement de quelques minutes d'un Disney lui étaient ensuite apparues nécessaires pour s'endormir plus sereinement. Aucun n'était connaisseur et consommateur des films d'horreur en vogue.

Cet hommage au "slasher" sous forme de parodie ne semble donc rien avoir de traumatisant pour le public auquel il est destiné. Celui-ci sait par culture ou d'instinct le prendre comme tel, le lire pour rire, en frissonnant.

Un livre également écrit pour les adolescents "non-lecteurs" qui pourraient bien s'y faire piéger.

Dominique Baillon-Lalande 
(30/03/10)    



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Jeunesse








Editions du Rouergue
Collection doAdo Noir
144 pages – 8 €






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