Stéphane GUYON, La Fausse


Tous les jours, à quatorze heures, elle débarquait. A cette heure là, après qu'elle eut franchi la grille, le cimetière se mettait à dégager de fortes odeurs de sueur et de stupre. Le fard qu'elle s'appliquait aux yeux, le rouge à lèvres, le vernis aux ongles, tout cela faisait frémir les veuves. Elles lâchaient les pots de fleurs, les râteaux, les pelles, et se jetaient brusquement sur la dalle de leur mari. « Qu'ils reposent en paix, murmuraient-elles, qu'ils reposent en paix ». Elles s'allongeaient sur le marbre, renversaient les plaques jaunies, agitaient les bras au dessus des tombeaux et continuaient : « Ne la regardez pas. Tournez-vous sur le ventre, et tâchez de dormir ». Mais à en juger par l'odeur, les maris n'agissaient pas autrement que de leur vivant.

Un homme, ancien élu consciencieux, proche de sa ville et de ses concitoyens est déchu, après les élections, au rang de gardien du cimetière. Son ego en prend un coup, celui de sa femme aussi. Un soir, de retour du travail, il raconte à sa femme qu'on enterre des enfants en secret. Délire ou vérité? Bien sur, elle trouve cela bizarre. Pourquoi agirait-on ainsi ? A cause du tueur voyons ! Pour ne pas effrayer les gens ni entraver l'enquête. Cette révélation première s'enrichit soirée après soirée de nouveaux récits et devient le fil qui unit ces deux êtres et réveille leurs relations désagrégées par l'adversité et l'usure du couple. Chacun se met alors à redouter le jour où le tueur se fera prendre, mettant brutalement fin au feuilleton revigorant.

Un récit mystérieux où l'auteur entretient malignement un certain flou tout en glissant subrepticement des indices pour éclaircir la fin. Un jeu étrange où l'auteur s'amuse à brouiller les pistes pour mieux perdre son lecteur et à mélanger les genres et les tons pour l'immerger dans cet ailleurs étrange et troublant de son récit.

Un texte très court (90 pages) mais dense, ambigu et multiple à l'image de son titre. Au final, cette constante oscillation entre fantastique et quotidien, horreur et drôlerie, prend du sens et de la chair pour le lecteur qui en sort perplexe mais séduit. Un premier roman original et prometteur pour ce jeune auteur. A suivre.

Dominique Baillon-Lalande 



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La Différence
94 pages
12 €