Robin HOBB

Le Cavalier rêveur


Faisant suite à La Déchirure, Le Cavalier rêveur permet au lecteur de retrouver Jamère Burvelle, qui a intégré l’Ecole de cavalerie où il est élève officier. Le jeune homme est toujours partagé entre sa loyauté à son pays et l’emprise de la femme-arbre, contre laquelle il lutte de toutes ses forces conscientes, tandis que ses rêves le livrent à la fascination qu’elle exerce sur lui. Le livre progresse ainsi jusqu’à l’éclatement d’une crise où prend place une confrontation cruciale entre ces deux aspects de sa personnalité.

Le réalisme et le relief avec lesquels est décrite la société gernienne est l’un des atouts majeurs du roman. On peut y mesurer la complexité d’une situation économique et politique qui donne toute sa signification à la rivalité entre anciens et nouveaux nobles. Les seconds sont entièrement dévoués au roi à qui ils doivent tout, tandis que les premiers tentent de battre son pouvoir en brèche pour instaurer une sorte de gouvernement des seigneurs. Ceux-ci voudraient reconquérir les territoires de l’ouest, qui ont été cédés au royaume de Canteterre après une guerre catastrophique pour la Gernie, alors que le roi compte avant tout sur les avantages économiques que pourrait procurer une extension vers l’est, là où se situe la terre des Ocellions. Ces rivalités ont de graves répercussions à l’Ecole, où les fils de nouveaux nobles subissent des brimades féroces avec la complicité du Directeur, tout acquis à leurs ennemis.

La description de la société civile est également colorée à souhait. On retiendra surtout le chapitre consacré au carnaval qui fête le solstice d’hiver, et au cours duquel les habitants se libèrent des conventions rigides auxquelles ils se plient d’ordinaire pour s’abandonner à la plus grande licence. Le fourmillement des détails concrets dans la peinture de cette liesse collective fait de ce long passage un morceau de bravoure d’une troublante sensualité : « Nombre de fêtards portaient des masques et des perruques, verroterie clinquante et chaînes de papier doré aux bras et à la gorge ; d’autre s’étaient peint le visage de façon si extravagante que les lumières des rues se reflétaient sur d’épaisses couches de maquillage gras. Je vis toutes sortes de déguisements, qui habillaient ou déshabillaient ; des jeunes gens musclés, généralement avec des masques d’ombre nocturne, allaient torse nu dans la cohue en jetant des remarques suggestives aux passants des deux sexes, au grand amusement de leurs voisins. Il y avait aussi des femmes, les bras dénudés malgré le froid, les seins gonflant le haut de leur robe comme des champignons poussant sous la mousse ; elles arboraient des masques argentés aux lèvres rouges et voluptueuses, à la langue sortie et aux sourcils arqués au-dessus des trous en amande qui leur permettaient de voir. »

Face à la triomphante civilisation gernienne, les Ocellions luttent avec les armes qui sont les leurs, essentiellement celles de la magie. Cette lutte est évoquée sans le moindre manichéisme, le lecteur étant amené à comprendre les deux camps. Pour la femme-arbre, Jamère est une sorte de cheval de Troie qui doit permettre de vaincre l’ennemi de l’intérieur. Elle utilise le pouvoir qu’elle a sur lui pour répandre dans la capitale une épidémie de peste qui décime la population et les futurs cadres de l’armée éduqués à l’Ecole. Au cours d’un chapitre superbement onirique qui est le sommet du roman, Jamère agonisant pénètre dans le séjour des morts pour y affronter la magicienne et son propre double ocellion. Le livre prend alors toute sa dimension fantastique ainsi qu’une étrange poésie.

Comme dans La Déchirure, les personnages ont un attachant relief. Outre Jamère, qui attire une sympathie très vive mais dont le conformisme n’en est pas moins irritant, on apprend à connaître sa cousine Epinie, qui cache sous son masque puéril d’écervelée une personnalité forte et la volonté d’échapper à la soumission qui est traditionnellement le lot des femmes dans la société gernienne. La narration se déroule sans temps mort, le lecteur est immédiatement partie prenante des aventures du héros et l’envoûtement romanesque joue à plein.

Sylvie Huguet 
(20/01/07)    



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Editions Pygmalion
350 pages
21,50 €










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