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Corinne HOEX

Ma robe n'est pas froissée



C’est un livre très fort et bouleversant où la narratrice, par petites touches, en chapitres d’une ou deux pages, évoque les violences morales et physiques subies depuis l’enfance.
Le roman est construit en trois parties consacrées au père, à la mère et au "fiancé".

Le père, d’abord, à qui elle s’adresse à la deuxième personne.
Tu étais maigre comme une lame. La voix coupante. Les yeux précis. Un homme de proie. Je guettais cette tension de ta face.
Tes gifles s’abattaient, du plat et du revers. Des gifles hargneuses qui s’acharnaient à te venger de cette médiocre progéniture.

Devenue adulte, dans une maison au bord de la mer du Nord, elle passe en revue quelques souvenirs, avec en permanence ce mélange de peur et de passion qu’elle a toujours ressenti à son égard. Il y a bien eu quelques instants de répit au milieu des années de froide domination. Une promenade, une sortie en mer, des minutes de grâce.
Et puis une soirée, au mois d’août, l’année qui a précédé sa mort, il est venu la rejoindre dans cette maison, un rare moment de partage après des années de violence et de rejet malgré tout l’amour qu’elle lui portait. Mais le téléphone a sonné et il est vite parti rejoindre son épouse à Bruxelles.
Toutefois, hormis ces exceptions, l’angoisse, en ta présence, m’a toujours tordu le ventre. Même alité, dans tes dernières heures, tu as puisé l’énergie de me persécuter.

Du côté de la mère, aucun réconfort, aucune complicité, aucun secours. Aucune violence non plus. Rien.
Ma mère n’a jamais eu envers l’enfant que j’ai été le plus petit élan, ni le moindre geste d’emportement. Elle ne m’a jamais frappée. Jamais punie. Je ne lui ai pas valu seulement les réprimandes, les sanctions, la vigilance sévère qui, pour la plupart des parents, prétendent concourir à l’éducation. Simplement, elle ne me voyait pas.
Même aujourd’hui, dix ans après la mort du père, alors que la mère est dans une maison de repos qu’elle ne quittera sans doute plus, aucun échange possible. Le moindre cadeau est refusé, les marques d’affection repoussées.
Au long de la journée que nous passons ensemble, ses soupirs agacés, ses réponses brèves et lassées à mes questions éconduisent l’effrontée qui, sous prétexte de filiation, s’arroge la prérogative hebdomadaire d’envahir son territoire et de prétendre lui extorquer de l’amour maternel.

Quant au "fiancé", c’est la violence physique à chaque rencontre.
Surveillée pendant toute son adolescence par un père qui ne veut surtout pas qu’elle devienne une "coureuse de garçons", la narratrice arrive à l’université toute surprise de sa nouvelle liberté et se laisse séduire par un garçon bon chic bon genre "qui a une voiture". Mauvaise pioche ! Il la frappe, la viole, mais pourquoi et à qui se plaindre ? Pervers, il joue le jeune homme de bonne famille devant les parents qui ne cherchent pas à en savoir plus.
Après ses colères et ses violences, il se lève, se rajuste, descend dans la salle à manger, à la place qui lui est réservée, et pose sa main parfaitement manucurée sur le métal poli de son anneau de serviette.
[…] Je descends m’asseoir à table. Ils ne disent rien. Ils ne tournent pas le visage vers moi. Il n’y a rien eu là-haut dans la chambre.


On ne sort pas indemne d’un livre aussi émouvant et aussi dur, l’écriture se gardant toujours de s’enliser dans le pathos. Les choses sont dites avec sobriété, et le choc est d’autant plus rude. Alors pour ne pas s’en séparer trop brutalement, on en relit des passages, et au-delà des faits bruts, c’est la relation que la narratrice entretient avec l’idée même de l’amour qui surgit d’entre les maux.

Serge Cabrol 
(16/03/08)    



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Les impressions nouvelles

112 pages, 12 €






Photo © Jean-Dominique Burton

Corinne Hoex vit à Bruxelles. Licenciée en Histoire de l'Art et Archéologie, elle est l'auteur de plusieurs études relatives aux arts et traditions populaires. Depuis quelques années, elle se consacre à l'écriture de fiction. Elle a publié en 2001 un premier roman, Le grand menu (Éditions de l'Olivier), et en 2002 un recueil de poèmes, Cendres (Éditions Esperluète).