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Fawaz HUSSAIN
Les sables de Mésopotamie
Face à la perte que représente l’exil, que reste-t-il sinon la mémoire et l’écrit ? Les mots et la page ouvrent un espace où retrouver ce qui fut. Le récit de Fawaz Hussain commence à Paris avec la mort de deux êtres chers, là-bas au pays. « Je dois déplacer des montagnes de terre pour ranger un capharnaüm d’événements et de souvenirs. C’est l’unique moyen dont je dispose pour sauvegarder un monde qui se perd dans les méandres de l’oubli. »
C’est la Mésopotamie de son enfance qu’il ressuscite ici, lui le Kurde syrien, écrivain de langue française, qui nous avait déjà donné un très émouvant recueil de nouvelles de l’exil, intitulé Le fleuve. Ses plus lointains souvenirs sont marqués par un premier départ qui l’éloigne du village natal dans des circonstances dramatiques. Sa mère en cris et en larmes l’emmène à pied, lui et sa sœur à la ville voisine à dix kilomètres de là chez leur grand-mère. Leur vie s’organise à Amoudé, où le père vient passer une partie de l’année avec eux.
Il narre le quotidien d’une famille, attentif à des détails qu’il restitue avec le regard de l’enfant qui les a vécus, comme quand il malaxait des morceaux de pain et de beurre, les saupoudrait de sucre à l’insu de sa mère et de sa grand-mère et s’en régalait. Souvenirs de la douce et aimante Tante Zbéda ou du conte du berger et du scarabée qui voulait se marier, du cerf-volant avec lequel il jouait… L’enfant découvre le monde, éprouve ses premiers émois à l’école coranique où il est subjugué par la beauté d’une petite fille : « En quelques secondes, la présence séraphique me donna l’envie de passer ma vie entière à apprendre le Coran. »
Il prend ses premiers cours de français avec le père Kato dans une école catholique, où l’on étudie en arabe. Même s’il l’aime bien, avec le mollah kurde de l’école coranique, il sent que les liens sont bien plus forts : « il nous parlait dans une langue qui coulait dans nos veines comme le sang, une langue qui était celle de notre quartier, de nos parents et de nos aïeux. » L’enfant est fasciné par le crâne chauve de Wanés Wanesian, le cordonnier arménien, qui lui demande de poser ses pieds sur deux bouts de carton qu’il va découper en suivant leur contour.
Les conflits ne viennent pas de ceux qu’il côtoie chaque jour à Amoudé. Qu’ils soient chrétiens syriaques, yézidis ou bédouins, ils vivent en bonne entente. Ils viennent d’en haut, de ceux qui, forts de leurs armes et de leurs barbelés, sont les tenants d’un ordre qui a fait éclater les familles et leur Histoire entre plusieurs pays, les vouant à l’errance. Les grands-parents sont les derniers témoins du temps de l’Empire ottoman, où l’on chevauchait dans la plaine, libre sur son coursier, « où l’on réglait soi-même les conflits à coups de sabre et de fusil, où l’on pouvait briller par des exploits que les bardes chantaient aux quatre coins du monde. »
On le suivra jusqu’à son départ d’Amoudé pour Alep où il fera des études de français envers et contre sa mère et toute une époque qui aurait voulu le voir devenir plutôt médecin ou ingénieur. Mais « la poussière envahissante, la canicule et la frustration chroniques » finiront par l’amener en France pour y continuer ses études de lettres.
Le regard de Fawaz Hussain sur le monde où il a grandi est empreint d’humanité et de tendresse. Sans nostalgie, avec humour et lucidité, il entraîne le lecteur à l’intérieur d’un univers qu’il sait rendre fascinant par son talent de conteur.
Cécile Oumhani
(29/05/08)
Cet article paraît aussi dans le quotidien tunisien La Presse (www.lapresse.tn)
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Lectures
Editions du Rocher
303 pages - 17,50 €
Fawaz Hussain
est né en 1953, au nord-est de la Syrie, dans une famille kurde. Il passe son bac et fait des études de lettres en Syrie. Après sa licence, il arrive à Paris en 1978 pour étudier à la Sorbonne. Plus tard, il s’installe en Suède où il travaille à l’Institut français de Stockholm puis devient maître de conférences à l’université de Lulea, en Laponie suédoise. De retour en France en 2000, il est professeur de français en Seine-Saint-Denis (Prof dans une ZEP ordinaire, Le Serpent à plumes, 2006).
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