KALOUAZ

Fugue bretonne



Un carnet de route du Finistère à la Haute-Vienne en passant par les Côtes d'Armor et l'Ille-et-Vilaine. Au fil du voyage, à pied, en train, mais toujours à hauteur d'homme, dans cette nature qui le touche tant et qu'il sait si bien nous dépeindre, sur ces sentiers, au cœur des villages, dans ces bistrots, avec des portraits de femmes, beaucoup, rencontrées, imaginées, remémorées, mais aussi d’hommes ordinaires croisés, compris, aimés parfois, qui nous sont ici narrés avec respect et tendresse.

Il se dégage de ces courts récits, une humanité et une sérénité contagieuse. La langue si poétique de Kalouaz n'y est certainement pas pour rien. Mais le charme et la force de ce récit au jour le jour, très loin du carnet de notes ou du blog si à la mode actuellement, tient aussi, tout simplement, aux gens, modestes mais vrais, que l'auteur sait nous faire rencontrer au fil des pages :
« un enfant à cloche-pied dans une cour, suspend son pas, imagine la jungle aux portes de la ville. Un autre découvre l'émotion, l'allégresse que draine la musique. Plus loin une très vieille dame étend son linge à petits gestes lents. Les plaisirs et les fêtes sont très très loin. (...) A l'église, longtemps il s'est dit que la danse et le chant étaient de lourds péchés. Elle se méfia de tout et resta vieille fille. »
« Il attend, recueille au passage des nouvelles du large, tente de retrouver les voix de ceux qui n'en sont pas revenus, n'ont jamais revu la Pointe. (...) Il a vu la mort lancer ses filets, le bleu des coques plonger vers l'abîme. Dans sa mémoire, sous la casquette, les voiles de détresse sont hissées par des amis, le père, qui sait ? (...) Ils sont partis en laissant sur les vagues moins de mots encore que le vent à ses heures de furie. Deux mille naufragés en un siècle de pêche, cent navires partis vers le fond, avec souvent des noms charmants : La petite Jeanne, Catherine, Belle Irène ou Chemin des dunes ».

Un voyage d’Argol à Tréflez, de l'Abbaye de Beaufort à Yffiniac, de Becherel à St-Colomb ou Bessines-sur-Gartempe, avec à chaque station une découverte, une rencontre, un émoi.
Des tranches de vies saisies au vol, simples, souvent tendres ou mélancoliques, parsemées de chansons (Léo Ferré, Jacques Brel, Charles Aznavour...) capturées dans le filet des mots pour nous émouvoir. Des notes d'accordéon pour dire les fêtes au village, les beuveries entre hommes dans les bars, la brume sur la mer et l'amour des femmes. De la tristesse aussi, celle des fins, nombreuses, séparations, morts, vieillesse, toujours évoquées avec gravité et pudeur, en demi-teinte, hors de vue des larmes, de l’amertume ou du désespoir. Des souvenirs au détour d'une phrase, les traces de l'attente, de l'absence, comme des pas dans le sable.
Kalouaz sait avec sensualité, poésie et émotion, partager ses sentiments du presque rien – mais tout est dans ce "presque" – pour les faire ricocher en nous.

On ne pouvait trouver meilleur titre pour ce recueil délicat et ciselé, qu'il évoque la fugue musicale, caractérisée par l'entrée successive des voix qui semblent se fuir et se poursuivre ou la simple échappée d'un quotidien devenu pesant.
Le lecteur, séduit, feuillette dans le désordre, à l'envi, revient sur une phrase, s'arrête le cœur en suspens et garde en lui longtemps la petite musique de cette escapade devenue sienne. Un livre rare, à lire et à relire.

Dominique Baillon-Lalande 
(13/04/07)    



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Ed. Le bruit des autres
144 pages, 12 €


www.lebruit
desautres.com








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