Jean-Marie LACLAVETINE, Matins bleus


Jean-Marie Laclavetine passionné de trains, nous embarque avec Matins bleus dans un voyage étonnant dans le ventre de la gare. Le regard du lecteur en sera définitivement changé, affûté, lors d'une prochaine attente au buffet ou dans la salle des pas perdus.

Au petit matin, quand la gare s'éveille lentement, les uns courent attraper leur train les yeux embrumés de sommeil quand d'autres commencent leur travail : installer les chaises en terrasses, disposer en devanture les journaux ou balayer avec lassitude les traces de la nuit.
Les égarés sans logis, virés pour la nuit, se réinstallent. Des mondes qui se croisent sans se connaître.

A la convergence de tous les regards, il y a Anita, la reine du relais presse-livres-tabac qui bouge, qui respire et ça suffit à tous ces hommes qui la regardent. Sur son téléphone portable, depuis quelque temps, un poème nouveau chaque jour dit par une voix inconnue.
Dans la brasserie, José, l'amoureux éconduit, le serveur vieillot aux grandes moustaches surveille les allées et venues.
Léo l'ado mal grandi, empêtré dans le regard des filles, aide vaguement sa mère au kiosque et essaye de se garder des sordides histoires de son père, ce dieu déchu, même plus frimeur, incapable d'honorer ses dettes de jeux. L'occasion d'une belle course poursuite dans toute la gare.
Dans son royaume en carrelage blanc, Jules, observateur émérite, passe le temps à pianoter sur son clavier d'ordinateur et compose des textes mystérieux.

Autour de ce noyau dur qui s'activent dans la gare, d'autres personnages ont trouvé refuge. Zita la jeune fugueuse aux cheveux rouge ; Pablo, l'homme au bonnet de coton et à l'allure terrible, qui n'est jamais sorti de la guerre qu'on l'a obligé à faire ; le docteur à l'allure de jazzman hanté par l'enfant condamné qu'il vient de quitter ; un couple d'acteurs de seconde zone. Ceux-là s'attardent. D'autres, anonymes, passent.
Des fragments d'existences saisis au vol pour des personnages piochés parmi les figurants du mouvement perpétuel de la gare.

Tout en haut, Ange, le bien nommé, niché sur sa nacelle, peint en bleu une à une les poutrelles métalliques de la grande carcasse. Suspendu au-dessus du grouillement de la foule, il veille. Ange n'en finit pas de s'émerveiller d'une telle variété de fortunes et de hasards, il les devine, il les hume, il les pressent, il entend l'harmonie des hommes comme dans un chœur puissant auquel chacun des petits êtres qu'il contemple depuis sa balançoire donne sa voix, ceux qui passent, ceux qui restent, ceux qui pleurent et ceux qui sourient. C'est l'épicentre du roman. Il observe l'humanité en marche. Un personnage qui ne vous quitte plus.

Très vite, derrière cette quotidienneté banale et presque rassurante, le lecteur pressent le dérèglement de la grande machine. Mais si des indices bien placés ouvrent des pistes, il reste difficile de deviner le quai, l'heure et le détonateur de la tragédie. Dans ces destins qui se frôlent, s'entrecroisent sans se connaître, c'est la mort qui fera son choix.

Deux cent pages sur la comédie humaine capturée en un lieu ordinaire et fantasmagorique, un jour de mai. Une galerie de portraits esquissés de façon concise mais bienveillante. Une construction magistrale pour un roman touffu où on ne se perd jamais. Un texte élégant, intelligent mais profondément humain. Bref un livre original pour un vrai plaisir de lecture.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions Gallimard
242 pages
16,50 €

















Avant la gare,
il y a eu Train de vie,
un recueil de nouvelles.
(Folio, février 2005)