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Marie-Hélène LAFON


Les pays



Claire se souvient de la première fois où elle est venue à Paris avec son père et son frère pour le Salon de l'Agriculture.
Elle vivait dans la ferme familiale où ses parents se sont battus pour la terre, avec les crédits, les risques, la dureté du climat et de la vie.

Plus tard, elle retrouvera Paris à la Sorbonne où elle va étudier la littérature. Elle se lie d'amitié avec des étudiants qui n'ont pas les mêmes origines qu'elle. La confrontation des milieux la pousse à travailler énormément. Elle veut enseigner et n'envisage pas de retourner à la campagne.

Elle découvre les "mandarins" et va chez son professeur de grec dont la maison est remplie de livres. C'est un monde nouveau complètement différent de celui de son enfance. Claire pousse les portes d'une librairie pour constituer sa propre réserve : "Un tel afflux de livres, rassemblés au même endroit, éventuellement sur plusieurs étages, la privait de tout discernement ; c'était trop de tout, et tout à la fois, d'un seul coup. Les livres qu'elle n'avait pas lus, ceux qu'elle ne lirait jamais, et ceux, perfides entre tous, qu'elle aurait dû avoir déjà lus, auparavant, dans les lointaines années de sa première vie, tous les livres étaient là, en bataillons réglementaires, en régiments assermentés, offerts et refusés, gardés par des créatures minces et bien vêtues qui faisaient, à l'entrée des rayons, barrage de leurs corps policés et dont la carnation distinguée semblait emprunter à la matière même des ouvrages les plus précieux."

Claire se sent décalée. Elle est brillante mais pas très jolie. Avec les personnes qui ont des origines diverses, elle peut trouver certaines proximités comme avec Josette Rablot, employée dans la banque où elle travaille l'été pour payer ses études : "Claire se demanda ce que la caissière eût pensé des apparitions de Gabriel ; des steppes de silence pouvaient s'étendre entre elle et Josette Rablot, ça n'excluait pas une sorte de confiance opaque qu'elles goûtaient fort toutes deux pour des raisons qu'elles ne chercheraient pas à démêler."
Beaucoup de respect de l'autre se dégage des relations entre les personnages qui parfois ont tant d'intérêts divergents.

Elle retourne de temps en temps dans son pays et finit par y acheter une maison. Elle a sa vie à Paris et sa vie là-bas. Dichotomie qui lui permet d'enrichir sa perception du monde.
Son père vient la voir une fois par an à Noël avec son petit-fils. Il découvre la vie bourgeoise de sa fille qui a toujours été très atypique. Il s'adapte mais la télévision lui manque le soir au moment des informations. Il parle avec ses voisins dans le métro. Il se réveille tôt le matin comme à la ferme.

Deux mondes, deux vies, deux pays.

Nous retrouvons avec bonheur l'écriture de Marie-Hélène Lafon, toujours aussi précise et incisive pour peindre ses personnages qui, tout en étant issus de la même famille, ont des vies complètement opposées. Un grand respect de chacun envers les autres émane de ces êtres qui cependant cherchent à vivre leur indépendance et affirmer ce qu'ils sont vraiment.


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Album


Nous retrouvons le pays de Marie-Hélène Lafon dans son Album, abécédaire – de Arbres à Vaches – où l'ambiance est toujours aussi bien rendue. De la nature aux objets, des humains aux animaux, nous suivons les chemins, découvrons les arbres, voyons les maisons et les toits. Nous entendons les bêtes, les chiens. Les brumes se dissipent. "L'herbe est l'apanage de ce pays, sa première peau." De l'automne à l'hiver, les lumières, les nuits, les odeurs évoluent, se modifient.

L'écriture nous transporte : "En lisière des jours, d'aubes en crépuscules, les brumes tissées de silence se coulent, s'enroulent, parcourues de frissons blancs, froissées, provisoires […] Les brumes seraient un secret, un exil, on attendrait la sirène, son appel, et l'heure grave où l'on appareille pour l'ailleurs ; quittons le pays de haut lignage, sa vieille échine souple, quittons, avant que le tissu troué des choses ne se déchire."

Les vaches sont incontournables : "Certaines vaches vont au taureau et en conçoivent des veaux. C'est toute une affaire. Celles-là ont peut-être de la chance. On dirait que ces vaches qui ne sont pas inséminées par un technicien artificiel ont une vie sexuelle officielle et régulière."

Et le temps passe. Nous lisons, nous dégustons et de texte en texte, vingt-six chapitres, alphabet de notre plaisir de lecture, nous ressentons la poésie qui se dégage des mots : "La nuit ne tombe pas, elle monte. […] La nuit se retire à l'aube, elle cède et reflue, drapée en ses oripeaux ; elle glisse de l'autre côté du monde, elle palpite à fleur d'horizon, elle remue."
Un très bel univers sous la plume toujours aussi experte de Marie-Hélène Lafon.

Brigitte Aubonnet 
(03/09/12)   



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Lectures









Buchet-Chastel

(Septembre 2012)
208 pages - 15 €







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