Léo LAMARCHE

Enfanticides


Six courtes nouvelles sur la maltraitance des enfants. Très noires comme la couverture aux effets de relief ton sur ton et les très pudiques et incisifs dessins au trait de Myriam Chauvy.

Une écriture coup de poing, comme Léo Lamarche la maîtrise si bien pour dire avec force et respect l’indicible : le viol, l’inceste, l’enfant du placard, l’alcoolisme des adultes, la violence et les coups.

« J’étais à présent devenue jeune fille, j’en avais honte, même si je ne savais pas ce que c’était au juste. D’ailleurs je ne le saurai jamais. La nuit suivante, tu entrais dans la chambre. Creuser mon enfance comme la mer grignotait le rocher, devant notre jardin. Ne laissant en moi que du sable éphémère, prisonnier des marées. Et les larmes de pierre, jetées à la face de l’inceste. »

« La bouteille se vidait. Cliquetis du goulot sur le verre. […] La voix de maman s’est faite suppliante, le verre s’est vidé à nouveau. Un bref sanglot. Une menace et un cri, le premier coup, bien sûr, il claque comme la main du boucher pour attendrir la viande. Un bruit sauvage et sourd. Une chaise qui tombe. Maman, maman ! Maman qui court peut-être partout dans la cuisine comme un poulet sans tête. […] Maman ne dit plus rien, peut-être l’autre l’a-t-il achevée, comme le geai que l’enfant a couché dans une boite à chaussures, sur un lit de coton. […] Car l’autre adore tuer toutes les bêtes. Même les petites bestioles terrorisées qui serrent contre leur cœur les croûtes de leurs genoux. »

La parole est donnée aux enfants, ceux dont d’ordinaire la voix est si faible qu’on l’entend à peine, pour exprimer leurs peurs, leur dégoût mais aussi leur amour, leur haine ou leur sentiment de culpabilité ou de honte.

« J’ai cinq ans, j’ai sept ans, j’ai dix ans, j’ai cent ans et je pleure, enfin. Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé. Je n’ai pas les mots pour le dire. Mais je sais que c’est mal, affreusement mal. Impardonnable. Ce sera mon obsession. Que personne ne le sache, jamais. Et surtout pas maman quand elle reviendra tout à l’heure, avec son sourire si usé. »

« Ne plus exister, même pas un tout petit peu, que les gargouillis du ventre s’apaisent et que l’autre oublie sa présence. L’enfant s’exerce à la patience immobile des choses. »

« Ne pas voir, surtout, ne pas voir ces comprimés trop roses dans la paume de sa mère. Qu’elle gobe, les lèvres tendues d’impatience. Jusqu’à ce qu’un voile opaque noie son regard mouillé. […] Ne pas hurler, l’âme en apnée. »

L’exercice pouvait être périlleux mais loin du reality-show complaisant qui se repaît de détails malsains, si on est là dans la dureté sans fard des situations, la vue à hauteur d’enfant livrée en quelques pages comme un instantané volé au silence, exclut le voyeurisme et le jugement. Avec une écriture directe et efficace mais aussi avec l’aide d’images poétiques et de non-dits, l’auteur parvient aussi bien à traduire avec force la révolte ou la terreur devant la violence que l’ambiguïté des sentiments et l’incompréhension des petites victimes devant ce qui les précipite au cœur de l’enfer. Un livre fort, émouvant, grave, qui ose dire justement, pudiquement, respectueusement ces actes terribles qui se déroulent près de chez nous, cachés sous la honte.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/06/06)    



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Lectures






Illustrations de
Myriam Chauvy


Editions L’Embarcadère
64 pages
12€


Léo Lamarche
et Myriam Chauvy
destinent les droits d’auteur de ce recueil à La voix de l’enfant, créée en 1981, qui fédère aujourd'hui 62 associations mobilisées autour de l'écoute et de la défense de l'enfance
dans 96 pays.




Pour visiter le site
de l'éditeur :
www.lembarcadere.net








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