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Jacques LAYANI

Apostrophes insolites


Avec ces Apostrophes insolites, Jacques Layani renoue avec le genre épistolaire, sous une forme particulièrement originale puisque, si l’on y trouve une lettre "à un professeur" ou "à un cinéaste", la plupart des autres sont adressées à des objets comme un stylo, une lampe, un sac, un dictionnaire, ou à des entités abstraites comme la patience, l’amitié ou la mort. Elles sont l’occasion de réflexions percutantes et de formules qui ne le sont pas moins. Apostrophant la télévision, l’auteur écrit par exemple : « Vous êtes une invention formidable qui s’est laissée détourner vers la médiocrité la plus terrible et vous êtes en passe de devenir la plus infâme nullité. Je dis "en passe de devenir" car j’ai appris qu’hélas, il est toujours possible de faire pire.(…) En cela, l’âme humaine ne cessera jamais de m’apporter sur un plateau sale ces étonnements dont je me passerais volontiers. » De même, ce sont des lignes cinglantes qui achèvent la lettre "A un cliché" : « Quand vous aurez définitivement vaincu, il ne restera plus aux allergiques de mon espèce qu’à mourir.(…) Vous nous aurez à l’usure, et, déjà, je me sens plus faible de vous avoir parlé. Je n’aurais pas dû. Penser à vous m’épuise. Vous me videz de mon sang neuf. Vous êtes la sangsue détestable de la pensée qui se porte, du discours qui se fait. »

Mais surtout, ces textes parfois très courts apparaissent comme autant de facettes qui composent un autoportrait de l’auteur, de sa sensibilité, de son mal de vivre, de ses aspirations, de son esprit rebelle à l’air du temps. On est ému par la très belle lettre "à un professeur", où Jacques Layani évoque la figure d’un de ses enseignants mort très jeune, dont la personnalité exceptionnelle l’a définitivement marqué. Une émotion comparable transparaît dans le texte "A un cinéaste", que nourrit une longue et fervente admiration. Ces apostrophes sont aussi l’occasion de découvrir la passion pour l’écriture qui a visiblement orienté la vie de l’auteur. Dans "A un homme de livres", il évoque son itinéraire d’écrivain à travers une fiction transparente ; dans "A la littérature", il précise quel est son idéal : « La conception que j’ai de vous, et, au-delà, de l’écriture elle-même, est celle de l’exigence. Ce désir fort qui appelle en moi le besoin de pousser les miens, mes amis, moi-même évidemment, vers le plus haut – cette pulsion m’est vitale. Je n’ai jamais pu, en quelque domaine que ce soit, me contenter du médiocre. Il peut m’arriver de m’en accommoder, lorsque les circonstance l’imposent, mais c’est toujours, alors, les poings serrés au fond des poches.(…) La conception que j’ai de vous n’est pas élitiste, elle est, je le répète, exigeante. » Si exigeante que se fait très vite jour une souffrance, Jacques Layani ayant le sentiment de n’être pas à la hauteur de ses propres aspirations : « Je ne suis pas un grand écrivain, je le regrette », note-t-il dans "A mon style". « J’eusse aimé que vous fussiez la Voie lactée, mais vous n’êtes qu’un demi-litre de lait écrémé, oublié à l’épicerie du coin. » C’est pourquoi il se dit toujours insatisfait de ses livres : « J’ignore dans quelle forêt poussent les arbres qui, un jour, vous fabriqueront.(…) Ils sauront bien assez tôt qu’une part d’eux-mêmes se transformera en œuvrettes de trois sous signées Layani. Je ne suis pas certain qu’ils seraient d’accord. »

On ne sera pas aussi sévère. Jacques Layani se reconnaît d’ailleurs, à juste titre, des « bonheurs d’écriture » qui sont ici nombreux, et qui atteignent parfois une qualité poétique que l’on savoure avec lenteur, comme dans cette adresse "A la Provence" : « Vous êtes les parfums en bouquets sublimés par les vents. Du soir calmé, remonte un oubli du présent et des ombres bleues exterminant les années. A Marseille, la mer, au bout de la jetée, s’étire en souriant jusqu’aux criques du large, le long de la Corniche où s’étire un rivage qui connaît l’âme des suicidées d’amour, qui chantent. »

Sylvie Huguet 
(27/07/09)    



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Editions L'Harmattan

168 pages - 16 €








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le blog de
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Les mots ont un sens








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Le Château d'Utopie