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Linda LÊ


Lame de fond



Van est un homme mort lorsque commence le récit. Ce sont des mémoires d'outre-tombe qu'il livre afin d'expliquer les raisons de son trépas. Il évoque son père vietnamien qui a abandonné femme et enfant pour un idéal révolutionnaire, sa mère qui s'est sacrifiée pour faire venir en France son fils unique pour qu'il ait un avenir, sa vie d'étudiant à Paris, la femme qu'il a épousée, la fille qu'ils ont eue ensemble. Il parle de ses incartades amoureuses aussi et surtout des trois femmes qui ont compté dans sa vie : sa fille, son épouse et la belle Ulma qui l'a littéralement ravi.
Afin de mieux comprendre qui fut Van, Linda Lê donne la parole aux survivantes et le récit alterne entre ces quatre voix : celle du mort et celles qui vont devoir apprendre à vivre sans lui.

Lou, sa femme, est directrice d'école. Sérieuse, organisée, elle s'est construite contre sa mère qui lui donnait toujours tort. Elle a fui la Bretagne pour venir étudier à Paris, elle a épousé un étranger, crime suprême aux yeux de sa génitrice et lorsque Van meurt, son rôle dans sa disparition est si grand qu'elle rédige ses confessions pour ne pas être anéantie par la culpabilité.

Laure, sa fille rebelle, regrette de ne pas avoir écouté davantage celui qu'elle trouvait vieux-jeu, de s'être disputé avec lui quelques jours avant sa disparition, de ne pas avoir lu les livres qu'il lui conseillait, écouté sa musique... alors elle s'épanche dans un journal pour exorciser ses souvenirs.

Et puis, il y a la mystérieuse Ulma, au passé si douloureux, abandonnée par sa mère, élevée par sa grand-mère. Elle écrit au docteur Sullivan une lettre qu'elle ne lui enverra jamais pour essayer de trouver des repères dans son existence qui vacille.

Il est question aussi, même si ce n'est pas le sujet principal du livre, de la France comme terre d'accueil et du regard porté par les étrangers sur la langue qu'ils veulent s'approprier : "Peut être les étrangers (j'en suis un), quand ils ont appris une langue non pas sur le tas mais en lisant des classiques, sont-ils plus sensibles à certaines tournures désuètes. Ils se figurent que dans leur bouche, elles ne paraissent pas anachroniques mais sont le sceau d'une acculturation réussie. Leur ramage dément leur faciès. Leur maîtrise des finesses de la langue d'adoption est la preuve par neuf d'un enracinement dans la terre d'asile."

On retrouve, dans ce nouveau roman de Linda Lê, le rythme si particulier de sa phrase, énumération, effet de liste : "Je n'ai rien changé dans la chambre, le secrétaire de Van est toujours là, avec le vide-poches, les piles de bouquins, le sous-main, l'ordinateur, les clés USB, le Robert, le Littré, le Gradus, les cahiers à spirale, l'agenda, l'étui à lunettes, les stylos rouges et bleus, les crayons en pagaille, le papier à lettres, les hebdos non lus, la cartouche de Camel, le cendrier marocain, le Zippo, la photo de Tchekhov épinglée sur l'abat-jour de la lampe art déco..."
Elle convoque les souvenirs et les laisse défiler pour créer une prosodie bien particulière. C'est comme si le roman entier n'était qu'une seule et même partition avec des variations de tons.
Comme son personnage principal, Linda Lê dépoussière les mots oubliés et c'est avec enchantement qu'on se promène au cœur de ses litanies où langue et musique se confondent.

Enora Bayec 
(01/10/12)    



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Lectures








Christian Bourgois

(Août 2012)
280 pages - 17 €



Photo © Mathieu Bourgois
Linda Lê,
née au Viêt-nam
en 1963, a déjà publié
une vingtaine de livres.



Une bio-bibliographie détaillée est disponible sur Wikipédia





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