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Carlo LUCARELLI

La huitième vibration


La huitième vibration est un magnifique roman d’atmosphère, une atmosphère lourde et étouffante, où l’on retrouve à chaque page la chaleur orageuse de Massaoua, un port de la colonie italienne d’Érythrée coincée entre la Mer Rouge, le Soudan et l’Éthiopie.

Vittorio Cappa leva la tête et regarda le ventilateur qui tournait lentement, suspendu au plafond de la baraque. Il se laissa aller contre le dossier du fauteuil tournant et, un instant, il sembla que le grincement des articulations du siège était sorti d'une bouche ouverte, aigu comme le cri d'un oiseau. Mais lui, il voulait juste soupirer, lancer un souffle humide et dense, tout de gorge, le lancer loin, le lancer hors de son corps chaud, hors de cette baraque étouffante, hors de Massaoua, rapide, véloce, jusqu'à la mer, mais il lui sembla ne pas réussir à le pousser plus loin que le bord de ses lèvres, empâté, fondu, dans cet air trempé et brûlant que même les pales du ventilateur ne pouvaient déplacer.
Si ça n'avait tenu qu'à lui, il se serait promené en sandales, avec une fouta de coton autour de la taille. Rien d'autre, même pas de caleçon. Comme faisaient depuis toujours tous les habitants de cette ville infernale qui cuisait sous le soleil le jour et bouillonnait la nuit, ceux qui y étaient nés, pas ceux qui y étaient venus, comme lui, et ceux qui vivaient en Italie, comme le Chevalier, lequel, en pensant à la Colonie, imaginait du lin immaculé et de fraîches brises marines, et n'aurait jamais toléré un employé colonial, de première classe en plus, en sandales et tunique. Et sans caleçon.


Nous sommes en 1896 et un corps expéditionnaire débarque à Massoua pour mener une importante offensive. Une longue partie du roman va se situer pendant l’attente de cette offensive.
L’atmosphère est lourde et chacun occupe son temps en attendant ce qui va se produire, en attendant l’orage dont on n’espère même plus la moindre fraîcheur…

En alternance avec les cinquante-sept chapitres du roman, nous découvrons ici et là quelques pages plus particulièrement consacrées à l’histoire de l’un des personnages…

Les colons : Vittorio Cappa, commis de première classe, notable local, obligé de porter le costume et la cravate alors qu’il rêve de se promener en pagne ; Cristoforo Del Re, commis de troisième classe, séducteur invétéré ; et Leopoldo Fumagalli, dit Léo, qui investit sa fortune pour transformer les hauts plateaux en zone agricole, l’avenir de la colonie voire de l’Italie selon lui.

Les militaires : du simple paysan des Abruzzes enrôlé sans rien comprendre à ce qui lui arrive jusqu’aux officiers alcooliques et désabusés, en passant par le fringant lieutenant pressé d’en découdre avec l’ennemi ou le capitaine qui s’est construit une gentille petite vie avec une femme éthiopienne.

Les indigènes : Aïcha, la prostituée, mystérieuse et très déterminée ; Ahmed, l’employé de Cappa, qui rend tous les services possibles mais vit un dilemme compliqué en raison de sa relation amoureuse avec Gabré, un militant abyssin résistant au colonialisme ; Isaias, surnommé Dante, engagé comme carabinier dans l’armée italienne ; un marchand, surnommé Le Grec, qui vend tout ce qu’on lui demande, même des enfants…

Et voilà qu’au moment où s’ouvre le roman, dans cet univers déjà surchauffé, arrive un bateau avec de nouveaux personnages qui vont perturber la vie du microcosme colonial.
Tout d’abord, Cristina, la femme de Léo, qui vient mettre fin à la dilapidation de leur fortune par son entrepreneur de mari. S’il n’envisage pas de renoncer à son dispendieux rêve colonial de lui-même, peut-être faudra-t-il le tuer ou le faire tuer. Mais par qui ? Quel homme pourrait se charger de cette tâche ? Et à quel prix ?
Débarque aussi du bateau, un brigadier des carabiniers, Serra, policier italien camouflé en soldat, sur les traces d’un meurtrier d’enfants qu’il veut absolument mettre hors d’état de nuire. Son enquête va s’avérer très complexe…

Un roman superbe, très sensuel, riche en intrigues, en personnages déterminés ou désabusés et en sentiments contrastés, un livre majeur de cette rentrée dont on conserve longtemps les traces après l’avoir refermé.

Serge Cabrol 
(13/09/10)    



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Lectures










Editions Métailié

416 pages - 22 €


Traduit de l'italien par
Serge Quadruppani








Carlo Lucarelli,
né à Parme en 1960, chroniqueur, scénariste et dramaturge, est l'auteur de nombreux romans dont plusieurs ont paru
en Série Noire.