Retour à l'accueil






Pierre MAGDELAINE


Tribulations d'un machiavélique connil



On connaissait le roman de Renart, voici maintenant le roman du lapin.

On a toujours méprisé les lapins, les considérant comme des animaux incapables de raisonner. Mais on ne faisait que juger l'effet sans considérer la cause, […] si les lapins en sont demeurés à un tel stade d'inculturation, c'est parce que l'occasion ne leur a jamais été donnée de lire, et ce pour plusieurs raisons. L'obstacle majeur à cet apprentissage est l'absence généralisée de livres dans leur environnement immédiat, qui s'explique par un habitat sauvage ou fermier, partant toujours isolé des bibliothèques. Ensuite, admettons qu'un lapin vienne, par chance, à rencontrer un livre : le susnommé cuniculaire commence, en bon lapin, par le goûter : l’œuvre ainsi appréhendée devient illisible. Voilà pourquoi les lapins sont bêtes.
Mais l'histoire a un jour voulu donner naissance à un lapin anorexique. La Fortune, qui est joueuse, l'a mis en rapport avec un de ces susdits objets que sont les livres par un de ses tours du destin dont elle seule a le secret. Puis-que manger ne le tentait pas, il l'a ouvert. […]
Ce lapin, c'était moi, et voici son histoire.


Adalbert du Terrier, l’anorexique connil, éclairé par la Providence au point d’apprendre à lire, a vu son existence bouleversée par Le Prince de Machiavel. Il décide de fonder sa principauté mais pas dans un clapier. Régner sur de placides et stupides lapins serait une entreprise aisée, mais non pas à ma mesure. "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?" demandaient les Shadoks, "A vaincre sans péril on triomphe sans gloire" écrivait Corneille. C’est qu’il a de l’ambition, le bougre. Il a lu Machiavel et les titres des chapitres s’en ressentent : "Comment en se faisant un ennemi, on se fait toujours un ami", "Pourquoi il ne faut s’allier avec plus fort que soi", "Pourquoi il ne faut jamais douter de soi", "Pourquoi l’usage de la ruse n’est rien sans celui de la force", etc.

Pour commencer, il choisit le poulailler et tient aux poulettes un discours enflammé et révolutionnaire. Mais le coq ne trouve pas le projet à son goût. Le connil tente donc une alliance avec le renard mais l’aventure tourne à la catastrophe.

Les rats, les chats, les chiens font partie de ses plans successifs. Utilisant les uns contre les autres, il pense avoir enfin fondé une communauté soumise et docile mais on n’est jamais mieux trahi que par ses proches et, une fois encore, la belle utopie échoue. Il ne doit sa survie qu’à la vitesse de sa course…

Je ne dévoilerai pas les détails de ses stratégies de prise du pouvoir ni la fin de sa chaotique entreprise mais je dirai tout de même que j’ai pris bien du plaisir à suivre le connil dans ses tribulations.

Le livre est parsemé de citations détournées d’une vingtaine d’auteurs, de César à Lénine ne passant par Voltaire, Shakespeare, Socrate ou Rimbaud, glissées subrepticement au fil du texte, sans guillemets ou italique, et revendiquées seulement en fin d’ouvrage. Un joli jeu d’écriture, un délicieux moment de lecture…

Parfois, notre connil flirte avec l’absurde. Suite à un exercice de ma rigoureuse et redoutable logique, j’arrivai à la conclusion suivante : cette route menait quelque part, pour y arriver, il me suffisait de la suivre. Raisonnement imparable ! D’où mon conseil : Suivons le connil ! C’est encore le moyen de savoir où il va !

Une petite réserve sur la préface qui pourrait décourager ou irriter un lecteur pressé – j’ai failli fermer le livre à la deuxième page –, gardez-la éventuellement pour la fin si vous y tenez car, comme l’écrit l’auteur, elle « n’a pas vraiment de rapport avec le récit qui va suivre ». Et le récit, lui, vaut vraiment la peine d’être lu !

Serge Cabrol 
(02/05/09)    



Retour
Sommaire
Lectures











Editions Publibook

90 pages - 10 €



















Le Prince
de Machiavel
est disponible dans plusieurs collections
de poche.