Marcus MALTE

Toute la nuit devant nous



La première nouvelle, Le fils de l’étoile, nous entraîne dans une colonie de vacances au Touquet, logée dans un impressionnant château où deux enfants vont conjuguer leurs solitudes et leurs différences. François est un garçon blessé par la mort de sa mère, secret mais plein d'assurance, qui prend sous sa protection le jeune Mestrel, timide, « proie facile » que l'univers de la colonie de vacances qu’on lui impose chaque année, terrorise. « J'avais l'impression qu'il savait des tas de choses dont je soupçonnais à peine l'existence. Comme s'il avait roulé sa bosse sur tous les continents tandis que je tournais en rond dans ma chambre d'enfant. J'étais la larve, il était le papillon. J'étais le jeune apache, il était le vieux chef tétant son calumet au fond du tipi, le regard tourné vers l'invisible. » Mais cette amitié ambiguë autant que protectrice s'avère vite aussi envoûtante que la vieille demeure car François, à ses heures de tempête, se réfugie dans l'univers parallèle qu'il s'est créé. Les fantômes rôdent et les drames se multiplient. Cette rencontre et les événements de cet été-là bouleverseront à tout jamais la vie du fragile garçon.

Dans Des noms de fleurs, la deuxième nouvelle, quatre adolescents à la vie apparemment tranquille mais révoltés par la marche d'un monde bétonné, absurde, qui se détruit lui-même, se regroupent en une étrange communauté anti-nucléaire où chacun s'affuble d'un nom poétique de fleur. Ensemble, par conviction ou désespoir, ils tentent par un coup d'éclat d'influer sur l'avenir de la planète. « Bien sûr, il y en aura toujours pour désigner en la personne de Chardon l'unique responsable de cette tragédie. Parce qu'il était le plus engagé, le plus radical, le plus véhément, le plus désespéré peut-être, parce qu'il était le plus vieux ou le plus roux. Tout y passe. Un fanatique, une sorte de gourou en herbe qu'auraient aveuglément suivi de fragiles brebis endoctrinées. Ou simplement parce que c'était lui qui conduisait. Ceux qui tiendront ce discours ne feront qu'ajouter un peu de boue aux cendres. »

Le gamin de la dernière nouvelle (Le père à Francis) raconte sa cité de la banlieue marseillaise, son clan, l'OM, son admiration éperdue pour le fondateur de son club, les rêves de gloire footballistique qui, unique alternative à une vie condamnée d'avance, le taraudent et le meuvent tout entier. « Le père à Francis il disait que ce qu'il avait fait Tapie pour l'OM c'était pas mal mais qu'on pouvait le faire autrement. Y en a qui le font avec l'argent et y en a qui le font avec le cœur. C'est ça la différence. (..) Sûr si on a un peu de pognon c'est bien mais ça remplace pas. L'argent ça va et ça vient comme le mistral même si c'est des millions et des milliards et au bout du compte ça finit toujours par tout embarquer, il ne reste rien dans la main. Le cœur c'est plus solide que du béton. »

Ces adolescents qui se trouvent à un moment de leur vie, entre enfance et âge adulte, où il leur faut se construire, oscillent mais s'avèrent prêt à tout, conjuguant innocence et monstruosité, égoïsme et générosité, appétit pour la vie et fascination pour la mort. Dans ce terrain mouvant, la situation banale et simple du départ dérape très vite et une porte s'ouvre sur des abîmes à la frontière du rationnel, entre réel et fantastique. Alors, malgré la force intérieure qui les anime, les aspirations d'amour ou de gloire de ces héros en herbe se heurtent inéluctablement à la violence de la société, à l'injustice, à l'absurdité du quotidien et aux facéties du sort.

L'enfant en colonie de vacances, les adolescents en rupture ou l’apprenti footballeur sont pareillement livrés à la nuit, à leur nuit propice aux promesses comme au désespoir. L'auteur fouille alors, de l'autre côté du miroir qu'ils tendent aux autres, au plus profond des rêves ou des rages de ces adolescents touchants ou terrifiants tour à tour. Ce sont leurs histoires, leurs sentiments, leurs actes, leurs paroles qui constituent le sujet même du recueil et dans la part d'obscurité de chacun que se niche l'essentiel.

Marcus Malte dans ce recueil cohérent et fort entremêle savamment l'ordinaire et l'horreur pour situer son lecteur dans un espace de trouble et d'incertitude où il peut pressentir le pire à venir.

Les personnages, touchants, parfois effrayants, sont peints avec respect, tendresse et nuance, ils sonnent juste et prennent corps avec force sur le papier. Au-delà de leurs histoires personnelles, leurs révoltes et leurs peurs face à l'absence, la mort, la dégradation de la société et de la planète trouvent parfois une singulière résonance avec les nôtres.

Un petit faible, pour ma part, pour la première nouvelle, celle qui flirte le plus avec le fantastique, dont les deux personnages, acteur ou spectateur, nous accompagnent également, pendant longtemps, tant ce qu'ils crient chacun à sa façon est le besoin d'être aimé.

Un livre pour adolescents et adultes, très noir, au parfum entêtant, qui conjugue habilement émotions et questions.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/11/08)    



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Editions Zulma
320 pages
18,50 €






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