Henning MANKELL

Le fils du vent



Désert du Kalahari, Sud-ouest africain, 1875.
« Andersson cracha par terre…
- Quel genre de vie penses-tu pouvoir lui donner ?
- Une vie qui sera bien meilleure qu’ici.
- Et tu crois qu’il survivra ? A un voyage en mer ? Au froid suédois ? A la neige et au vent et à tous ces gens muets ? Tu n’es pas seulement fou, tu es vaniteux. Et l’insecte, tu l’as trouvé ?
Bengler lui montra le bocal.
- Un scarabée….
- Tu vas le tuer ce garçon. 
»

Nous sommes déjà à la page 71, mais voici le début de la chronique de la mort annoncée de Molo, un jeune Hottentot de huit ans que Hans Bengler va ramener en Suède, soi-disant comme son fils, après l’avoir rebaptisé Daniel, le Daniel biblique de la fosse aux lions.

Le roman comporte deux héros :
- Hans Bengler, un étudiant raté, bien catalogué par Andersson, le tenancier du drugstore du désert, comme fou, vaniteux, égoïste mais tenace.
- Daniel, "noir comme du charbon", primitivement Molo, fils de Be et de Kiko le chasseur.

Bengler, après quelques études d’entomologie sanctionnées par aucun diplôme, a débarqué en Afrique en se trouvant péniblement deux buts :
- découvrir un insecte remarquable et inconnu à qui il donnera son nom, quelle dérision ;
- savoir si Dieu existe bien, en dehors des poutrelles des ingénieurs.
Adopter Daniel, unique rescapé du massacre de sa tribu, cadeau d’Andersson, pour en faire un Suédois heureux sera-t-il un autre but, un noble but ?

Vous lirez ce livre d’Henning Mankell, célèbre auteur suédois de romans policiers et de pièces de théâtres, d’un trait, justement comme un roman policier, bien qu’il s’agisse d’un genre intermédiaire entre le roman d’aventures, de mœurs et de série policière. La plume est alerte, et le récit ne comporte pas de moments creux comme dans certains policiers pourtant réussis dans l’ensemble comme les Morts de la Saint-Jean ou La muraille invisible. Cependant les descriptions restent réduites à ce qui permet seulement d’imaginer les personnages ou les paysages, sans les voir jamais distinctement.
Dans une série policière, le manque d’épaisseur des protagonistes ne gène guère le lecteur, happé par l’intrigue. Dans ce roman où l’interaction des personnages est fondamentale, crée l’action et la réflexion, c’est, à notre avis, dommage.

Le narrateur va se glisser dans l’esprit de Bengler, puis dans celui des deux protagonistes, puis uniquement dans celui de Daniel. Ceci explique l’articulation du récit en trois parties :
- Le désert.
En fait le désert du Kalahari et le retour en Scanie, province du sud de la Suède.
- L’antilope.
Daniel malheureux dans cette société qu’il ne comprend pas, rêve de l’antilope gravée par son père et restée inachevée. Le mélange d’esprit animiste et tribal qui reste ancré en Daniel-Molo, bien décrit par l’auteur, fait l’un des meilleurs attraits de ce livre.
- Le fils du vent.
Le lecteur découvrira le pourquoi du titre.

Ces trois parties sont précédées d’un très court prologue qui nous apprend qu’une fillette a été découverte assassinée en Scanie en août 1978. Nous n’assistons pas au meurtre. Seul le meurtrier, non découvert, connaissait le motif de son acte ! Ce début, dans le style policier, ne doit pas, à notre avis obséder le lecteur. La clé ne sera fournie que dans les dernières pages, mais le roman ne repose pas sur elle.

Le lecteur cherchera comme Mankell une réponse à la question courte mais complexe : Qu’est-ce qu’un homme ?

L’apparition de Daniel, le "négrillon", au milieu de ces suédois repliés sur eux-mêmes de la fin du XIXe siècle soulève bien des commentaires.
Pour gagner quelques couronnes, Bengler confie Daniel à un peintre qui veut en faire le portrait :
- L’homme est un drôle d’animal, dit-il. Je crois que je vais appeler ce tableau le "Sauveur noir".
[…]
- Si je pouvais, je t’aiderais à retourner chez toi…Ici, tu ne seras jamais considéré comme un homme. Tu resteras un être étrange que les autres paieront pour regarder.


Bengler aime-t-il le petit Daniel ? Voici la deuxième question à laquelle nous serons confrontés.
Mais Bengler est-il bien normal ? S’aime-t-il lui-même ?

Emmanuel Beau 
(05/03/08)    



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Éditions du Seuil


Points Seuil, 2005
356 pages, 7 €


Traduit du suédois par
Agneta Ségol
et
Pascale Brick-Aïda






Photo © Ulla Montan

Né en 1948,
marié avec la fille
d'Ingmar Bergman,
Henning Mankell est célèbre dans le monde entier grâce à ses
romans policiers.
Depuis 1988, il partage son temps entre la Suède et le Mozambique où il dirige la troupe du Teatro Avenida.
Plusieurs de ses ouvrages pour la jeunesse, contes philosophiques, récits stigmatisent les maux de l'Afrique : la misère, la famine, le sida, les ravages causés par les guerres...
En octobre 2007, Il offre
1,6 M d'euros pour financer un village SOS au Mozambique.



Site officiel
(en anglais)
www.henningmankell.com



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