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Simon MASELLA

On les aura à l'usure


Charlie, gardien de nuit d'un bâtiment en ruine, traîne une vie qui sent "le moche couleur moisi" dans un "immeuble cafardeux comme un cercueil vertical". Mais tout a changé avec l'intrusion dans son existence d'une belle Moscovite nommée Anna. Le jeune homme ne cesse de rêver d'elle, suspendu à la tournée du facteur, il se voit déjà en couple et en père de famille...

Mais "On était trop loin l'un de l'autre. La Russie c'était pas la porte à côté. Il fallait que je la voie directement, même s'il y avait la barrière des langues. On causerait vodka." Sur ce terrain-là, Charlie est un champion.

Quand son voisin Caïus, un copain jamais grandi, genre imbécile heureux et gentil, fasciné par une publicité toute en couleurs pour Disneyland, lui fait part de son désir d'aller là-bas voir des princesses, Charlie ne laisse pas passer l'occasion. Le parc d'attraction est justement sur la route de la Russie et la vieille camionnette de Caïus devrait pouvoir faire l'affaire...

Après avoir, de nuit, libéré de son vieux manège "le cheval orange qui voulait voir le monde" pour l'emmener avec eux, les deux comparses s'embarquent sur l'autoroute, fébriles et le cœur battant. La route est longue jusqu'à Disneyland, les arrêts fréquents et les rencontres faciles. Nos deux naïfs croiseront ainsi un auto-stoppeur photographe qui flashe plus vite que son ombre et chasse les panneaux lumineux piratés par un plaisantin insaisissable qui depuis une semaine transforme les instructions habituelles en messages codés type "On les aura à l'usure", "Le paradis brûle", "À votre gauche, une sirène sans camisole" ; un patron de bar atypique et amoureux de formule 1 ; un représentant sympathique qui tombe à pic quand leur bourse est à sec, pour leur proposer d'effectuer pour lui la livraison d'un carton de bibles en Allemagne contre une liasse de billets ; une actrice-caissière bien curieuse et incontrôlable… Autant de personnages énigmatiques et inquiétants qui pourraient bien transformer le voyage du duo de choc en grand-guignolesque aventure sur fond de sirènes de flics.

"Au milieu , il y avait comme un trou noir d'étoiles pulvérisées."

Un road-movie de série B plein de rebondissements et de clins d'œil qui, sur un rythme endiablé et avec un humour décapant, nous ballade dans un univers à la Pieds Nickelés. Aucun suspens ici, les donnes sont claires dès le départ : leur aventure ne pourra que tourner en catastrophe bien avant Moscou mais les deux protagonistes, êtres décalés, gentils et attachants qui traversent la vie sans rien y comprendre, ne peuvent que s'en sortir indemnes. Juste l'occasion pour le lecteur de s'amuser de leurs improbables péripéties et pour l'auteur de se moquer de tout et des autres, de jongler avec les clichés, les formules et les blagues, pour provoquer le rire et l'émotion. Un joli feu d'artifice stylistique aussi, qui ne se prend pas au sérieux. "J'ai allumé une clope qui grelottait dans un coin de ma bouche. [...] J'ai enfoncé l'accélérateur au maximum. Le vent reniflait les rétroviseurs comme un loup affamé. De nouveaux cliquetis se sont fait entendre, mais je n'ai pas ralenti. [...] Les essuie-glaces ont agité leurs bras en signe de désespoir. Les phares ont éclairé le vide de la route."

Une comédie déjantée, vive, talentueuse et pleine de tendresse, à prendre comme une cure de bonne humeur. Un jeune auteur (c'est là son deuxième roman) à suivre assurément.

L'occasion aussi de découvrir, pour ceux qui ne la connaîtraient pas, cette petite maison d'édition de Lorraine créée en 1998 qui, avec près de quatre-vingts titres à son catalogue, s'affirme avec constance dans le champ de la poésie et de la littérature contemporaine de qualité. Un éditeur soucieux également de la beauté de l'écrin qu'il fournit aux textes qu'il choisit de publier. Une maison de passionnés à soutenir.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/06/12)    



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Éditions La Dragonne

(Octobre 2011)
132 pages - 16 €










Simon Masella,
né en 1986, n'avait que vingt-deux ans lors de la publication de son premier roman, Le déclin des clins d'œil (La Dragonne, 2008).