Jean-Yves MASSON

Ultimes vérités sur la mort du nageur



Huit nouvelles – dont les titres sont déjà un voyage dans l’univers de Jean-Yves Masson de l’égarement à la terreur avec un passage dans le silence et le retour vers la terre des ancêtres ou la maison de l’enfance – nous entraînent dans l’imaginaire, le fantastique et la nécessité de l’écriture qui joue un rôle essentiel ainsi que les lieux. Les rêves et les cauchemars hantent la vie des différents personnages. La mort rôde à divers moments.

Un homme écrit une lettre à son fils mais il prend le temps de lui détailler la place du marché avec tout ce qu’il voit de sa fenêtre. Il veut gagner du temps. (Une description)
Le narrateur vit sur une frontière. Il entend des pas autour de sa maison et va s’enfoncer dans la forêt pour suivre le rôdeur. Quand il veut revenir chez lui, la réalité n’était peut-être qu’un rêve. (Un égarement)
Puis, de nouveau une quête. Le narrateur (toutes les nouvelles sauf deux sont au "je") repart sur la terre de son enfance où il se revoit tout-petit avec sa mère, peut-être va-t-il s’endormir ? Est-ce vraiment le sommeil qui vient à sa rencontre ? (Un voyage)
La terreur envahit peu à peu une maison où le père parle puis hurle lors de son sommeil. Dort-il vraiment ? Qui pourrait le savoir alors qu’il tyrannise toute sa famille. (Une terreur)
Un homme va rechercher sa grand-mère partie dans la forêt alors que la nuit va bientôt arriver. Elle lui parle du silence de son grand-père, de tout ce que cela a engendré, de la culpabilité qu’il a ressentie toute sa vie à partir du jour où il a engendré. Le silence est inquiétant, il isole de l’autre, des autres. Comment interpréter le silence quand il n’est pas partagé ? (Un silence)
Un arpenteur-géomètre, dans l’une des deux nouvelles à la troisième personne, va découvrir un pont qui va le mener là où il ne pensait pas aller. (Un passage)
Un personnage retourne dans la maison de ses parents qu’il va racheter mais tous les souvenirs lui reviennent au fil des jours, les peurs de son enfance, les cauchemars et les terreurs : « Le pire était de me trouver ainsi nez à nez avec l’enfant que j’avais été, irréfutablement, et qui revenait donner une gifle à l’adulte que j’étais devenu pour avoir ainsi osé le trahir. Car l’enfance n’est pas chose douce et légère, elle est au contraire infiniment violente et sordide, remplie de colères et d’inquiétudes. » (Un retour)
La dernière nouvelle, avec son titre éponyme du recueil, est un superbe texte sur la quête de l’impossible, de l’inconnu, de la nouveauté, de la performance au paroxysme des limites.

Ce recueil présente une unité dans la recherche des origines, sur la famille avec ses dimensions d’angoisse, de malheur et d’équilibre. Le narrateur au « je » crée une sensation d’autobiographie qui nous le rend attachant d’une nouvelle à l’autre. Nous avons le sentiment de le découvrir sous différentes facettes, ce qui crée une proximité. L’écriture dégage de la douceur pour exprimer parfois de terribles violences.

Brigitte Aubonnet 
(20/05/08)    

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PRIX RENAISSANCE DE LA NOUVELLE 2008

A Ottignies, en Belgique, le 17 mai 2008, Jean-Yves Masson a reçu le 17e Prix Renaissance de la Nouvelle et s'est, pour l'occasion, prêté au jeu des questions-réponses avec les membres du jury.
Voici quelques extraits de la rencontre...

Michel Lambert, co-fondateur du prix et président du jury, a rappelé que Cornélius Farouk, qui enseignait à Louvain avec Sainte-Beuve, considérait le secret comme essentiel au cours de la vie. Le recueil de Jean-Yves Masson est un voyage dans le temps et dans l’espace à la recherche du secret fondateur de l’être et de l’énigme du monde. Le réel et le rêve s’interpénètrent dans des univers très prégnants où s’insinuent le malaise, l’inquiétude, l’hostilité. Les personnages ainsi que les lieux sont étranges et ne sont pas nommés. L’époque est incertaine. La dernière nouvelle lui semble une métaphore du travail d’écriture.

Georges-Olivier Châteaureynaud demande quel sens Jean-Yves Masson donne à la phrase de Montaigne qu’il a mise en exergue : « Je m’enveloppe et me tapis en cet orage. »
J.-Y. M. : Je donne le même sens que celui évoqué par Montaigne. L’écriture est le mouvement de la mort. Nous ne cessons de mourir à nous-mêmes. La mort n’est pas autre chose que la vie.
G.-O. C. : quelle est votre famille littéraire ?
J.-Y. M. : l’auteur que j’ai lu le plus est Montaigne. Je n’écrirai jamais sur lui. Je me situe dans la lignée du romantisme marqué par le romantisme allemand. Je suis né à la frontière allemande. J’ai aussi le goût du fantastique avec Poe, Borges. J’aime beaucoup Louis-René des Forêts et Marguerite Yourcenar.

Claude Pujade-Renaud : il existe un contraste et une proximité entre la première et la dernière nouvelle qui sont des métaphores de l’écriture. La première se situe dans le huis clos de la chambre qui permet d’écrire et la dernière se situe à l’extérieur dans ce formidable défi à la mort et où le corps intervient. Comment avez-vous conçu le recueil ?
J.-Y. M. : j’ai choisi, en effet, la place de la première et de la dernière nouvelle. J’ai publié dans plusieurs revues et j’ai choisi huit nouvelles pour ce recueil. Je voulais constituer un vrai livre avec des rapprochements, des relations entre les textes. Les sept premières ont un titre qui commencent par une ou un et la dernière est la seule à avoir un titre très long. Elle constitue la fin, la résolution de ce qui s’est passé dans les sept premières. J’ai écrit beaucoup de nouvelles quand j’étais adolescent, environ une nouvelle par semaine puis j’ai écrit de la poésie. J’ai donc abandonné la narration avec nostalgie car les poètes, en France, ont des problèmes avec la narration. Les poètes anglo-saxons, eux, s’autorisent la narration. Je suis revenu à la fiction par la première nouvelle du recueil. J’avais un regret infini d’une maison et de ce que je voyais par la fenêtre. J’ai donc essayé de la retrouver par l’écriture. En fait, je n’arrive à habiter nulle part. Comment chercher un lieu ?

Marie-Hélène Lafon : vous habitez l’écriture.
Trois de vos nouvelles sont composées de deux ou trois chapitres. Pourquoi ce choix ?
J.-Y. M. : j’ai des points communs entre la prose et la poésie. Je crée des structures à partir de la symbolique des nombres. J’ai un roman composé de quatorze chapitres qui est construit comme un sonnet ; on peut aussi y voir les quatorze stations du chemin de croix. Le chiffre deux correspond à une symétrie, un passage sans retour. Le chiffre trois est une conciliation, une synthèse.
J’ai choisi huit nouvelles car le huit est la symbolique des baptistères octogonaux. Dans les baptistères sept côtés représentent le temps et le huitième côté l’éternité. Dans la huitième nouvelle, le personnage échappe au temps. Dans les autres, c’est la quête de l’origine, les personnages remontent dans le temps pour lutter contre le temps. Dans la première nouvelle, la phrase est infinie sans point final. Le personnage ruse avec la mort. Je n’aime pas terminer un livre. J’ai peur de la mort. Un livre reste après la mort. Dans la dernière nouvelle, le personnage affronte la mort et il atteint l’éternité. Je suis fasciné par le corps des sportifs de haut niveau, des athlètes, des danseurs. Ils dominent leur corps. Notre société falsifie cela. La course aux records est absurde. Cela correspond à un refus des limites. Pour les Grecs, être le meilleur dans une compétition était l’essentiel. Le personnage de la dernière nouvelle accepte les limites et c’est bien.

Alain Absire : votre record est celui de l’obstination, de l’obsession régressive, du silence, de la quête d’une maison. Votre recueil aurait pu s’intituler Un égarement. Vous avez l’obsession du détail. Cela crée une sensation d’enfermement. Y a-t-il une issue ? Le dernier personnage s’échappe mais les autres sont bloqués par la mort, la folie, l’obsession.
J.-Y. M. : j’écris pour me délivrer des tentations. Je travaille beaucoup à partir des rêves. Le sommeil est un continent très riche. Le rêve est notre part quotidienne de folie. Je travaille sur la métaphore, l’allégorie de l’enfance que l’on quitte et où l’on ne peut jamais revenir. C’est une frontière franchie sans retour possible.

Marie-Hélène Lafon : dans votre nouvelle Un retour, le texte se dérobe. Le personnage est traducteur. Il y a un danger dans la traduction.
J.-Y. M. : on cherche quelque chose qui est perdu quand on traduit un texte. Le traducteur n’y arrivera jamais. Dans la nouvelle, il est confronté à la folie, à la mauvaise foi.
Dans mon travail de traducteur, je reprends des textes que j’ai traduits il y a dix ans. Je ne change pas la traduction de poèmes mais dans les romans, je veux tout reprendre. Quand je traduis, j’ai quatre jeux d’épreuves et je reprends souvent entièrement le texte.
M.-H. L. : on achève tout le temps quand on écrit des nouvelles.
J.-Y. M. : j’écris beaucoup des carnets, des fragments. J’aime beaucoup l’inachevé. Le courage dans l’art et la création est celui d’achever. Il faut savoir passer à autre chose sinon nous sommes dans la mort. Traduire est un vertige, ce n’est jamais fini, c’est comme l’écriture.
Quand j’écris un roman ou des nouvelles, je traduis le texte qui est en moi.

Jean Claude Bologne : nous avons beaucoup parlé des lieux, de la mort mais vos personnages sont importants. Les rapports qu’ils ont entre eux sont complexes. Entre les générations, c’est vraiment compliqué.
J.-Y. M. : j’ai à la fois peur et envie du contact. Je me suis souvent demandé si une vie sociale était possible pour moi. Vivre au milieu des autres est difficile. Ma première expérience d’altérité a été très douloureuse. J’ai écrit pour résister à la violence qui régnait autour de moi au quotidien. Je cherchais un refuge, un abri, un retour au sein maternel. La vie sociale a été un énorme problème pour moi mais le besoin de cette vie sociale est bon. Il est très difficile de porter tout cela sur la place publique. La traduction a été une soupape énorme. Je pouvais publier sous le nom de quelqu’un d’autre. J’ai beaucoup écrit et j’ai beaucoup de textes que je n’ai pas encore publiés.

Michel Lambert : vous parliez de l’utilisation des rêves pour l’écriture mais les rêves donnent-ils une histoire ou seulement l’atmosphère d’une histoire ?
J.-Y. M. : les rêves donnent un espace propre aux rêves sans nommer le lieu. Cela donne une atmosphère, une ambiance, le début d’une situation mais c’est le travail d’écriture qui complète l’histoire et permet d’arriver à une fin.

Ghislain Cotton : si vous n’aviez pas écrit, qu’auriez-vous aimé faire ?
J.-Y. M. : je rêvais d’être compositeur.

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 



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Editions Verdier
128 pages - 10 €


www.editions-verdier.fr






Jean-Yves Masson
est poète, romancier, critique littéraire, essayiste, traducteur et professeur de littérature
comparée à la Sorbonne