Jean d'ORMESSON, Une fête en larmes


J'ai lu Une fête en larmes avec le bonheur d'un plaisir attendu et je n'ai pas été déçu. Pourtant, Jean d'Ormesson nous y repasse son plat favori dans lequel une vaste culture accompagne ses amours et où l'histoire contemporaine lui fait tout naturellement escorte.

Oui, il nous l'a déjà écrit mais on ne se lasse pas de le voir se répéter. Dans ces 340 pages, dévorées sans peine par le signataire, il nous séduit à nouveau en surfant à la fois sur son parcours béni des Dieux et sur ce qui fut la trame d'une époque tragique. Mais, volontairement, son témoignage demeure modeste… « je ne suis qu'un hasard transformé en destin » confirme-t-il.

L'argument préludant à cette fuite du temps est une interview de l'auteur où il enchaîne les anecdotes et les rencontres hasardeuses avec les inévitables rendez-vous du XXe siècle. Les philosophiques et les politiques. Les littéraires… évidemment.

Un imaginaire taquin brouille parfois les pistes, mais Homère et Aristote, Gide et Giraudoux, Raymond Aron et Jean-Paul Sartre, Aragon, Malraux et le Juif errant, postés ça et là, nous confirment l'heureuse direction de cette vie, laquelle va quitter une enfance passée à Plessis-lez-Vaudreuil, pour aller ensuite de l'école normale de la rue d'Ulm à Berlin en ruines, puis à Venise la belle, New York, lieux prestigieux servant d'incomparable toile de fond. Ce livre est la convergence heureuse d'un classicisme primesautier avec une volonté pérenne de rire ou de sourire.

Ceux dont les ancêtres ne sont pas morts sur l'échafaud en faisant un mot d'esprit, ceux dont le grand-père n'a pas connu Léon Blum et qui n'ont pu jouer à cache-cache dans les greniers d'un château devront se faire une raison : il y des gens surdoués qui, en plus, ont de la chance. Dans le cas présent, le talent éclate et perdure bien au-delà des hasards favorables.

Ainsi, son auteur pratique comme un des beaux-arts la vie des humains conscients de n'être que de passage. Les thuriféraires ne vont pas manquer à ce roman écrit comme les précédents avec –en toute simplicité – du papier et un crayon et je ne vois pas pourquoi dans cette période troublante à plus d'un titre, je vivrais ce moment de grâce sans en parler. Les ravissements qui accompagnent l'époque ne sont pas si nombreux.

L'émotion et la gaieté sont omniprésentes dans les lignes droites de la joie de vivre de Jean d'Ormesson cependant elles ne manquent pas non plus dans les aléas et les imprévus de son cheminement. Son titre, Une fête en larmes, les contient tous : l'amour et ses inévitables cicatrices ainsi que les questions ouvertes sur l'existence dont les réponses naviguent très heureusement entre les lieux communs et les échappatoires métaphysiques. En effet, lui aussi va où il ignore. Mais il y va d'une manière exemplaire qui est le contraire du pessimisme ambiant et, sans doute, belle leçon de vie plus que chemin de transcendance : la chauve-souris du hasard flotte entre la liberté et la nécessité.

Sagesse ou doute sur les écoles de pensées, sa réflexion le porte à considérer notre passage sur terre avec une distanciation lucide puisque tout ici-bas n'est que mortelle illusion : ma gaieté n'a rien de sinistre, nous dit-il, c'est mon chagrin qui est très gai. Isolée du contexte cette formule peut évoquer le sarcasme de la gaieté célinienne mais l'ensemble du livre, évidemment plus roboratif que désespéré, voisine avec la philosophie de Jacques Prévert : Il faut être heureux, ne serait ce que pour donner l'exemple.

Si on ne lit pas Jean d'Ormesson pour cette aimable enseignement, on peut le faire pour partager une vie hors du commun. De plus, vous l'aurez deviné, Une fête en larmes est un bonheur d'écriture.

Claude Chanaud 



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Editions Robert Laffont
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