Retour à l'accueil du site | ||||||||
La biographie romancée de Micaela Feldman de Etchebéhère
(1902-1992), dite "la Capitana" ou "Mika". Une femme de cette
génération militante qui a lutté toute sa vie pour la justice
et la liberté.
Elle, juive, a grandi "avec des récits de révolutionnaires
rescapés des pogroms et des prisons de la Russie tsariste".
Hipolito lui, d'une famille aisée et suivant des études d'ingénieur
en mécanique, s'engage très vite dans la vie politique après
avoir assisté à des actes antisémites révoltants.
C'est à Buenos Aires qu'ils se rencontrent autour d'un journal anarchiste.
Ils s'aiment, ne veulent pas d'enfants pour rester entièrement au service
des camarades ouvriers et anarchistes. À partir de l'Argentine, leurs
luttes vont les amener, dans les années 30, à Paris, à
Berlin. Seule la santé fragile d'Hipolito, homme passionné et
généreux qui ne met aucune limite à son investissement
mais que la tuberculose talonne de près, vient par moments mettre leur
détermination en suspens. Après plusieurs mois de séparation
pour soins au sanatorium, leur engagement commun les conduit en Espagne dans
la lutte contre le fascisme des Républicains, aux côtés
du POUM, là où l'histoire s'écrit. Comment ne pas en être
alors que là se joue "la révolution à l'état
pur, celle dont nous avons rêvé depuis notre jeunesse". Hipo prend la tête d'une colonne chargée de prendre le château
d'Atienza. C'est sa première action armée, il n'en reviendra pas.
Contre toute attente, par désespoir, par fidélité, par
passion, elle, qui ne sait rien des armes et des stratégies militaires,
prend sa place à la tête de la même milice. "Même
si les sentiments obscurs des miliciens sont parfois justes, Mika préfère
les hommes de la gare, des militants de longue date, bien formés, qui
réfléchissent et débattent, comme elle. Ils ressemblent
plus aux personnes qui l'ont accompagnée toute sa vie; [
] Rien
en dehors de cette guerre ne la lie à ces austères paysans, à
ces hommes rudes, hermétiques, dont elle partage l'existence. Mais c'est
avec eux qu'elle fait cette guerre et elle veut les comprendre, elle veut...
pourquoi le nier, être acceptée, être aimée par eux."
Elle y parviendra. Son charisme, son intelligence, ses qualités d'écoute
des autres, sa pertinence à prendre les bonnes décisions, la font
apprécier et la rendent indispensable. Ce sont les miliciens eux-mêmes
qui la nomment capitaine, par respect. "Parce qu'elle est une femme, elle
ne commande pas comme un homme. Dans sa colonne, tout passe par la discussion
de l'assemblée, Mika ne prend pas de décision sans consulter auparavant
ses miliciens. Dans la guerre, quelqu'un doit commander, elle en a le tempérament,
elle est capable d'organiser, de voir comment on peut se sortir d'une situation
difficile. Les gens obéissent s'ils le veulent, surtout dans les milices.
Elle, non seulement ils lui obéissent, mais ils l'aiment, [
] qu'importe
si pour se justifier ils doivent dire que Mika est un sacré mec ou qu'elle
a des couilles." Mais la politique internationale s'en mêle et la "Capitana"
dérange autant les staliniens que les fascistes, les traditionalistes
que certains gradés de son camp. Après une pause pendant la seconde guerre mondiale en Argentine, l'héroïne
finira sa vie dans ce Paris qui l'a adoptée et où elle a conservé
de fidèles amis. On la retrouvera, inusable militante, aux côtés
des manifestants derrière les barricades en 68, et dans tous les combats
pour la liberté et la justice, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne
en 1992. Mika a tenu toute sa vie des carnets de notes. C'est à partir de celles-ci,
d'une solide documentation parallèle, de rencontres avec les gens qui
ont connu son héroïne, qu'Elsa Osorio, élabore son roman.
Les clefs qu'elle fournit sur cette période ambiguë mais porteuse
d'espoir et d'enthousiasme sont intéressantes et permettent une bonne
compréhension du contexte. Mais la force de ce livre réside dans la connivence sensible qui semble
lier la biographe, scénariste, romancière, et elle-même
activiste ayant hanté Madrid et Paris avant de vivre en Argentine, et
son sujet. Respectueuse des renseignements collationnés mais mettant
en uvre tout son savoir-faire littéraire pour combler les trous
de l'Histoire et donner vie à la Capitana, elle se laisse porter par
ce personnage hors du commun pour en peindre un tableau plus axé sur
la quête idéologique et passionnelle de cette femme, symbole des
luttes de son époque, que sur sa propre personnalité. Seule l'histoire
d'amour, absolue et tragique, entre Mika et Hipo, qui prend une place affirmée
dans le récit, permet un léger glissement du mythe à la
femme de chair et de sentiments. Si la construction du texte, fractionné et non chronologique, peut effrayer
de prime abord, la force même de cette femme, son charisme et sa détermination,
son humanité, fascinent. Le lecteur, tout comme les paysans qui l'ont
suivie les yeux fermés, est emporté par cet être d'exception
et se prend à l'aimer. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Éditions Métailié 336 pages - 20 € Traduit de l'espagnol (Argentine) par François Gaudry
Pour visiter le site de l'auteur : www.elsaosorio.com Vous pouvez lire sur notre site un entretien avec Elsa Osorio et découvrir un autre roman du même auteur : Tango |
||||||