Arto PAASILINNA

Le Cantique de l'apocalypse joyeuse


Publié en Finlande en 1992, Le Cantique de l’apocalypse joyeuse se présente comme un roman d’anticipation dont l’action se prolonge jusqu’en 2022. Le lecteur de 2008 découvrira avec curiosité les prévisions d’Arto Paasilinna qui, pour une grande part d’entres elles, sont encore d’actualité. Comme le titre le suggère, l’auteur voit d’un œil plutôt sombre l’avenir de la planète. Dès les dernières années du vingtième siècle, la situation qu’il dépeint se dégrade de plus en plus en vite et ne fait qu’empirer avec le siècle suivant : explosions de centrales nucléaires, crises agricoles, crises financières, chômage de masse, états en faillite, pénurie d’énergie, disettes, guerres civiles, vagues migratoires incontrôlées, les catastrophes se succèdent jusqu’à ce qu’éclate une troisième guerre mondiale où les armes de destruction massive sont utilisées en abondance et laissent derrière elles des champs de ruines. La situation est alors mûre pour l’Apocalypse finale.

Cependant, dans une région reculée de Finlande riche en forêts giboyeuses et parsemée de lacs poissonneux, Eemeli Toropainen a bâti une église sylvestre pour exécuter les dernières volontés de son grand-père, de son vivant grand bouffeur de curés. Autour de cette église, sise dans un lieu appelé Ukonjärvi, s’établissent bientôt un hameau, puis plusieurs, où se rassemble une petite communauté qui va se développer en autarcie tandis que la civilisation industrielle se décompose autour d’elle. Les Ukonjärviens vivent d’agriculture et d’élevage qu’ils pratiquent selon des méthodes anciennes, en remplaçant les engins motorisés par la traction animale ; leur production abondante, à laquelle s’ajoute celle de la chasse et de la pêche, suffit amplement à leurs besoins. Au fil du temps, tandis que la situation mondiale se détériore, la petite communauté s’accroît et ajoute à ses activités quelques industries. Vivant en harmonie avec la nature, elle est un îlot de prospérité et de bonheur miraculeusement épargné par les catastrophes planétaires qui ne cessent de s’enchaîner.

On peut trouver cette utopie écologiste outrancièrement naïve et idyllique, mais le livre est sauvé par l’humour – plus ou moins macabre –, le sens du burlesque et l’anarchisme bon enfant qui caractérisent la production de l’auteur. Eemeli fonde sa communauté sans se soucier des autorités civiles et religieuses, et ses conflits avec elles donnent lieu aux scènes les plus plaisantes. Tranquillement hors-la-loi, il pratique la bigamie sans état d’âme et n’hésite pas à organiser une expédition nocturne pour voler la dépouille mortelle de son grand-père, qu’il veut inhumer dans le cimetière de sa nouvelle église. La situation devient parfois joyeusement délirante, comme lorsque le médecin de la communauté effectue un pontage – réussi – sur un ours cardiaque afin de faire bénéficier de la même opération un Eemeli vieillissant, ou lorsque des soldats russes proposent aux Ukonjärviens un commerce de cadavres : « Nul n’avait intérêt, au jour d’aujourd’hui, à demander un prix trop élevé, quelle que soit la marchandise, expliqua le colonel. Le négoce des cadavres était à ses yeux comme une petite flamme naissante, une étincelle d’espoir qui, telle un feu follet, annonçait peut-être le renouveau tant attendu des échanges commerciaux entre la Russie et la Finlande. L’exportation des produits russes était en crise depuis dix ans, mais la lueur de l’aube pointait maintenant à l’horizon. »

Certains dialogues flirtent avec l’absurde, tel cet échange entre des représentants de la loi et les héros, qui transportent sur un traîneau une bombe H malencontreusement tombée sur leur territoire :
« - C’est une bombe H, lâcha Severi Horttanainen en toute sincérité.
- Ben voyons, c’est évident, répliquèrent en riant les policiers militaires.
Ils hésitaient. Etait-il bien nécessaire d’examiner le chargement de ces péquenots ? (…) Le plus jeune du groupe fut sommé de vérifier le contenu de la caisse. Il souleva le couvercle et déclara :
- Il n’y a pas d’armes , juste un genre de fût.
- C’est quoi, cette ferraille ? demanda le chef de patrouille à Horttanainen.
- Une bombe H, je vous dis.
- Oui, oui… mais sérieusement ?, Ce ne serait pas un alambic ?
- Non, ce n’est pas un alambic, c’est une bombe à hydrogène, croyez-moi, à la fin.
Tuirevi Hillikainen se mêla à la conversation :
- Ce ne serait pas plutôt vous qui auriez un alambic dans les bois ? 
»

Par ailleurs, la description des catastrophes qui ravagent une civilisation fondée sur la consommation à outrance et l’épuisement des ressources naturelles inspire à Arto Paasilinna des pages d’une force certaine, épique parfois. La destruction de New York, ensevelie sous des tonnes de déchets, est évoquée avec une allégresse vengeresse, en particulier celle de ce gratte-ciel où sont réunis par centaines publicitaires et journalistes : « On leur avait annoncé que les étages inférieurs du gratte-ciel étaient en feu et que les issues étaient condamnées. Journalistes et publicitaires s’étaient battus pour accéder au toit, ils avaient l’habitude de la concurrence. Tous tentaient de se rapprocher des plates-formes d’hélicoptère, mais celles-ci débordaient déjà d’une foule de désespérés et les appareils ne parvenaient pas à se poser. La panique était à son comble. Reporters et créateurs de pub tombaient des hauteurs du RCA Center comme des prunes trop mûres de leur arbre à l’automne, dégringolant de la tour en flammes par dizaines, centaines. Pour finir, la gigantesque torche avait réduit en cendres les derniers hérauts de la civilisation occidentale, la voix de la radio s’était tue, les écrans de télévision s’étaient éteints, pas un seul concepteur de campagnes publicitaires n’avait survécu pour réjouir l’humanité de ses messages. »

Le Cantique de l’apocalypse joyeuse s’inscrit dans la tradition des contes philosophiques qui, sous une forme plaisante, ne laissent pas d’offrir amplement matière à la réflexion du lecteur.

Sylvie Huguet 
(06/08/08)    



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Lectures








Editions Denoël
Collection & d'ailleurs

324 pages - 20 €

Traduit du finnois par
Anne Colin du Terrail





Arto Paasilinna, né en Laponie finlandaise en 1942, a été bûcheron, ouvrier agricole,
journaliste et poète.
Il est l'auteur d'une trentaine de livres, pour la plupart traduits en français et publiés chez Denoël.
Plusieurs d'entre eux
ont été repris dans
la collection Folio







Le lièvre de Vatanen
a été adapté au cinéma
par Marc Rivière
avec Christophe Lambert

Pour voir la fiche
du film :
www.allocine.fr




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