Amineh PAKRAVAN

Le Libraire d’Amsterdam



Au XVIIe siècle, un cartographe se penche sur son passé…
Guillaume Pradel, à l’approche de ses 70 ans, revoit le parcours qui, sur trois générations, a conduit sa lignée de papetiers et d’imprimeurs de Troyes à Amsterdam.
« Les routes de l’histoire et de la géographie se croisent toujours ».
Le chemin qui mène de Troyes en 1501 à Amsterdam en 1638 passe par Lyon, Paris, Anvers, entre autres, et traverse un siècle de bruit et de fureur chez les chrétiens. Luther et Calvin ont remis en cause les dogmes de l’Eglise et les peuples font les frais des rivalités entre les rois, les empereurs et les papes…

Le roman, qui commence et finit à Amsterdam après un passage par le Nouveau Monde, est essentiellement constitué de retours en arrière par la pensée ou par le récit. C’est un ouvrage d’une grande érudition sur le plan historique et rendu passionnant par la vivacité des aventures vécues par les personnages auxquels on s’attache et par la description impitoyable des épreuves qu’ils subissent dans une époque aussi troublée.

Au début, Guillaume est seul et relit sur la première page d’une Bible la genèse de sa famille :
Simon Pradel, né à Troyes en 1474, mort à Troyes en 1518.
Mathieu, fils de Simon, né à Troyes en 1501, mort à Anvers en 1586.
Simon, fils de Mathieu, né à Lyon le 24 décembre 1532, mort en 1588.
Guillaume, fils de Simon, né le 4 août 1571…


Il revoit son grand-père, Mathieu, qui à l’approche de la mort, a choisi de lui raconter l’histoire de sa vie. « Mathieu poursuivait un but précis : arracher cette créature innocente des griffes d’un père hérétique, pour le ramener dans le giron de la Sainte Eglise catholique et romaine. Il désirait surtout racheter une faute qu’il s’attribuait confusément. Il ne pouvait pas se présenter devant le Créateur sans y être parvenu. »
Un fil conducteur de ce roman est la relation d’amour/haine entre Mathieu le catholique et son fils, Simon, devenu protestant. Une haine capable d’aller jusqu’à la délation quand la guerre entre les fidèles au pape et les partisans de la Réforme enflamme l’Europe.

Les Pradel avaient fait fortune dans la fabrication du papier à Troyes. Mathieu aurait pu prendre la suite de son père mais à 14 ans, l’envie de partir a été la plus forte…

Guillaume est sorti de ses pensées par l’arrivée de son ami Jean des Sept-Ecluses, un marin enrichi par ses activités de corsaire puis de commerce sur toutes les mers du monde.
Ils ont le même âge et envisagent de naviguer ensemble vers le Nouveau Monde. Premier voyage pour Guillaume qui a tracé le dessin de toutes les côtes sans jamais quitter la terre ferme et le dernier pour Jean qui rêve de se fixer enfin et d’épouser une jeune femme.
Ils partiront, vers la fin du roman, et nous vivrons leur voyage excitant et périlleux.

Mais pour le moment, ils en sont à la conversation et s’installent dans un bistrot du port. C’est à Jean que Guillaume va transmettre les propos de son grand-père puis le récit de sa propre vie et de ses relations avec son père. L’imprimerie et la religion, le rapport au livre (en latin ou en français), sont au cœur de leurs existences.

Des scènes très fortes rythment la narration comme ce jour à Paris, où Mathieu, qui ne supporte plus les incartades de son fils qui fait les quatre cents coups avec deux garçons de son âge, va l’obliger à assister au supplice sur le bûcher d’un ancien ami devenu protestant. « Regarde-le bien, Simon et ne l’oublie pas ! C’est ainsi que meurt un homme rongé par l’orgueil. Un athée récidiviste, un saducéen… » C’est insupportable pour Simon qui s’enfuit. Il a quatorze ans et prend, à pied bien sûr puisqu’il n’a pas un sou en poche, la route de Lyon où il est né. Plus tard, son chemin croisera à nouveau celui de son père…

Guillaume, à son tour, comme son père et son grand-père, a connu les dures années de l’apprentissage de l’imprimerie et de la librairie. Mais ce sont les mathématiques, la géographie et la cartographie qui l’ont passionné. Les chapitres consacrés à sa ténacité pour percer les mystères de la géométrie sont très émouvants. Pour ce faire, il profite de toutes les rencontres pour apprendre et ce sera une constante de sa vie. Apprendre, comprendre, chercher, douter… Profondément marqué par la haine qui a toujours opposé son père et son grand-père, il n’est pas décidé à choisir son camp.
« Et maintenant que Galilée a été condamné, c’est encore pire qu’avant. Ils ont tous pris parti, héliocentriques d’un côté, aristotéliciens de l’autre les protestants contre les catholiques. Ils disent qu’ils défendent la philosophie ou la nouvelle science. Ils ne se battent que pour eux-mêmes.
– Et toi, tu te situes de quel côté à ce jeu ?
– Moi ? demanda Guillaume, je ne me situe d’aucun côté. Je suis un artisan et rien d’autre. Je ne suis pas fait pour ces querelles. 
»

Après cette longue conversation entre Guillaume et Jean dans l’atmosphère enfumée du bistrot, la dernière partie du livre nous entraîne avec eux à bord de la Pie Voleuse, vers Curaçao et le Venezuela…

Sur le pont du bateau, la conversation reprend. Galilée, Descartes, les passions, les ambitions, mais aussi la lassitude, le vieillissement, la recherche de la tranquillité, de la paix…

Un très beau roman, un riche voyage dans le temps et dans l’espace, au milieu des tempêtes religieuses et des passions humaines.

Serge Cabrol 
(19/05/08)    



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Nouveau Monde éditions
320 pages - 19 €









Amineh Pakravan
,
est née en 1946 en Iran. Après des études secondaires au lycée franco-iranien de Téhéran, elle effectue des recherches d'histoire sous la direction de Georges Duby, à Aix-en-Provence. Viticultrice,
elle vit en Toscane.
Le Libraire d'Amsterdam est son premier roman.
Il a reçu deux prix littéraires en Italie.