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Isabelle PESTRE

La rencontre



Le vélo zigzague, tangue et file au milieu de la descente. L'air siffle, soulève ses cheveux, c'est un plaisir encore. Le souffle court, ravie, la jeune femme aborde le virage à travers le petit bois. La voiture surgit en face avec la violence d'une embuscade.
Voilà la première rencontre du roman, inattendue, brutale, fatale…
Au volant de la voiture, Marie, un peu perdue dans sa vie comme dans la région, qui n'avait aucune raison de se trouver sur cette petite route sinueuse, est en état de choc après la collision.
Il fait nuit, elle voit le vélo sur la route, un vélo d'homme, rouge ; elle sait qu'il y a quelqu'un dans le fossé, elle entend des gémissements. Il faudrait aller voir, appeler les secours. Et puis subir des questions à n'en plus finir. Par lassitude, par lâcheté, elle remet le contact et c'est le début d'une longue errance autour de laquelle est construit le livre. Trois mois à fuir, se fuir, pour mieux se découvrir, se rencontrer, être enfin soi-même…

En alternance avec l'errance de Marie, on revient régulièrement à Beuvron-la-Mercy pour découvrir qui était Claire, la jeune femme tuée dans l'accident et on suit l'avancée de l'enquête de gendarmerie, les appels à témoins, l'étau qui se resserre peu à peu autour de la fuyarde.

Après avoir roulé plusieurs jours, Marie abandonne sa voiture et continue à pied. Ce sera l'occasion de nouvelles rencontres pas toujours très agréables et puis Denise qui l'accueille dans la ferme où elle vit avec son fils Alain, un homme pour le physique mais un enfant pour le mental.
Elle pourrait rester dans cette ferme mais elle ne décide de rien. Le journal lui rappelle la raison de son errance.
Dans le numéro daté du 22, elle retrouve le compte rendu des obsèques de la jeune femme. Elle s'appelait Claire Fombeau, vivait avec son père et sa petite fille de six mois à Beuvron-la-Mercy (Maine-et-Loire). Était employée comme gardienne de parc. L'entrefilet est illustré d'une mauvaise photo où se distingue un visage féminin encadré de longs cheveux.
Beuvron-la-Mercy n'est qu'à une centaine de kilomètres d'ici. L'errance a été une route vaine, un de ces jeux où l'on marche à reculons sur ses propres traces.

Ses pas la ramènent donc à Beuvron et la suite du livre va nous montrer plus précisément, mais par petites touches, qui était Claire, ce qu'elle faisait dans ce parc dont elle était "gardienne" et qui a été le lieu d'un grand projet artistique avec un paysagiste et un photographe.

L'auteur présente ainsi, au fil du roman, une galerie de personnages, certains naïfs ou généreux, d'autres violents ou torturés, en les mettant en scène, en les faisant exister, agir, réagir, dans des scènes brèves, souvent des face à face, des affrontements, en créant à la fois le décor et l'atmosphère de leurs existences.

Peu à peu, le roman devient une fresque, qui part de Beuvron, s'en éloigne sur les pas de Marie mais sans cesser de nous y ramener par les documents administratifs et les rapports de gendarmerie, et puis tourne autour avec les rencontres de Marie mais tout en nous y plongeant plus profondément encore avec le récit des mois qui ont précédé la mort de Claire, sa vie dans le parc et la naissance du bébé évoqué dès le premier paragraphe du roman, avant de nous y installer vraiment, Marie rejoignant l'univers de Claire, prête enfin à assumer sa vie et les conséquences de l'accident et de sa fuite.

Une heure de trajet, on ne peut pas appeler ça un voyage, a pensé Marie avant de s'endormir. À présent, le car tournicote entre les villages et les lieux-dits. […]
On gagne la campagne. Le chauffeur roule vite, en homme qui connaît son affaire. La jeune femme rouvre les yeux. Elle distingue des touffes de bruyères, un fossé moussu, des bouquets de châtaigniers. Cela ne veut rien dire. Ce n'était qu'un petit bois déjà perdu, happé par la vitesse et la distance. De toute façon, elle n'a pas de billet retour. Hier, à la ferme – hier ? vraiment ? –, rien n'était plus nécessaire que ce retour à Beuvron-la-Mercy. Mais, à mesure qu'elle s'approche, cette nécessité se dissipe, le dessein se brouille ; une avancée dans le brouillard, chaque pas esquissant la possibilité du suivant. […]
Le désœuvrement du village éparpille l'intime certitude de Marie. Un linge oublié sur une corde, les claquements d'un volet, un remous de feuilles et de poussière suffisent à réduire les rêves. Le cœur, non pas indécis, mais semblable à cet endroit vide. Mais même cela ne dure pas tant la tristesse ou la joie sont mobiles, et si tenace l'habitude de vivre.

Un roman superbe, très fin, aux touches précises, sans pathos ou scènes inutiles, où chaque description participe à la création d'une atmosphère, où chaque confrontation permet au lecteur de mieux comprendre les personnages, les liens qui les unissent, les motivations qui les animent. On avance lentement, on ressent beaucoup, on chemine au rythme de Marie, chaque jour de cet été 2003 apportant son lot d'émotions, au gré des rencontres et des jaillissements de la mémoire. Une belle rencontre littéraire.

Serge Cabrol 
(12/11/12)    



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Belfond

(Août 2012)
276 pages – 19 €









Isabelle Pestre
a publié un premier roman, La onzième heure, chez le même éditeur en 2011.