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Pia PETERSEN

Un écrivain, un vrai


Il était temps de se ressaisir, c'est ce qu'il se dit, qu'il avait tout pour être heureux, il avait réussi tout ce qu'il voulait, il avait deux maisons, un compte en banque plein à craquer, une belle femme qui l'aimait et qui s'occupait de lui, des lecteurs qui ne cessaient de lui rappeler combien il était génial, il possédait trop de choses pour tout foutre en l'air comme ça, sur un coup de tête ou sur un coup de colère, il était temps qu'il se ressaisisse.

Voilà un extrait qui résume bien l'un des axes majeurs du roman. Pourquoi un écrivain à qui tout réussit peut-il être tenté de renoncer au succès et à la fortune ?

Au moment où s'ouvre le livre, Gary Montaigu reçoit le prestigieux International Book Prize dans le hall du Plaza Hôtel... Aboutissement d'un rêve et de beaucoup de travail. Moment d'intense bonheur au milieu de ses amis et du tout New York.

Mais ce n'est pas suffisant pour Ruth, son épouse, qui consacre tout son temps et son énergie à la réussite de son mari. Il faut toucher un public encore plus large et elle a largement contribué à l'idée d'une téléréalité construite autour de Gary. Une équipe de télévision chez eux, qui le suit dans son travail et dans ses déplacements, et l'écriture interactive d'un roman, les téléspectateurs pouvant s'exprimer en cliquant sur j'aime, je partage pour orienter la suite du livre…

Gary accepte parce qu'il croit essentiel que la littérature retrouve un peu de vitalité, qu'elle se montre vraiment sur la place publique. Ce n'était plus possible pour la littérature de tourner le dos au monde afin de se préserver face aux nouveaux modes de communication et aux nouveaux supports, le monde changeait à une vitesse vertigineuse, devenait à chaque seconde de plus en plus incompréhensible et insaisissable. Il y avait un sacré boulot pour les écrivains.

L'émission intitulée Un écrivain, un vrai est diffusée tous les jours à dix-neuf heures…

Ruth est ravie, le producteur satisfait, mais très vite on comprend que pour Gary l'expérience est une catastrophe. Le roman écrit en interaction avec le public n'a plus rien à voir avec la littérature…

Pia Petersen crée un suspense autour de Gary et de sa réflexion sur la littérature. Suspense parce que dès les premiers chapitres on apprend que l'émission a été interrompue, que Gary a eu un accident, qu'il est cloîtré dans son bureau et se déplace en fauteuil roulant. Quand, pourquoi, comment ? Les informations sont distillées peu à peu, au rythme de la réflexion de Gary sur l'écriture, sur sa colère contre l'émission, sur la production inepte que sa femme lui impose…

Interrompue par ce mystérieux accident, l'émission doit reprendre. Ruth y tient beaucoup mais Gary résiste autant qu'il le peut, pris dans un dilemme dont il ne sait comment sortir.
D'un côté, il y a le succès et l'argent, une gloire qui ouvre toutes les portes et bien des lits, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Il y a aussi la pression de Ruth qui n'existe pas sans lui : Être l'épouse d'un homme connu donne du magnétisme, de l'allure, un statut et toute son existence en dépend, sans cela elle ne serait rien et elle ne supporterait pas de n'être rien.
Mais de l'autre il y a les rêves de jeunesse, l'idéal littéraire, la motivation même de son écriture, le moteur de son travail.


Une rencontre avec Alain Mabanckou le conforte dans sa résistance. "Jamais je ne t'aurais laissé participer à une téléréalité. Tu fais des conneries, toi, un grand écrivain. Et tu viens de recevoir un prix prestigieux. Alain l'engueula sévèrement. Et nos rêves de folie littéraire, de tout ce qu'on s'est promis d'apporter au monde. Qu'en fais-tu de ça ? Hein ? Et notre rébellion ? Notre bataille ? La guérilla ? Et l'avenir que nous devons inventer ? Pourquoi ? Il donnait des coups sur la table de sa main. Comment veux-tu qu'on te prenne au sérieux ?"

Pia Petersen entretient la tension autour de cette téléréalité, des enjeux pour Gary et pour Ruth mais aussi pour tous les personnages qui gravitent autour : la belle Alana, journaliste amoureuse de Gary ; Miles, le producteur, pour qui le temps c'est de l'argent et qui n'a pas d'état d'âme ; Kimber, l'attachée de presse ; Ethan, l'agent littéraire de Gary ; Brandon, le caméraman aux dents longues prêt à tout pour travailler au New York Times… Toute une galerie de personnages qu'on apprend peu à peu à connaître avec leurs motivations, leurs réussites et leurs échecs, leurs désirs et ce qu'ils sont prêts à sacrifier pour les réaliser.
Sans oublier cet homme aux cheveux gris qui croise la route de Gary. Qui est-il ? Que veut-il ? Quel rôle a-t-il joué dans l'accident ? Mystère…

Un roman passionnant et passionné écrit par un auteur qui défend une certaine idée de la littérature, libre et indépendante, et place sa réflexion au cœur d'un écheveau d'intérêts contradictoires dont le personnage a bien du mal à se dépêtrer… Avec Pia Petersen (Prix marseillais du polar en 2009), le mystère et le suspense cohabitent très naturellement avec l'exigence littéraire. Ce n'est pas le lecteur qui s'en plaindra et nous souhaitons qu'il en redemande. Une fois refermé Un écrivain, un vrai, on peut lire ou relire les sept précédents ouvrages en attendant le prochain…

Serge Cabrol 
(09/01/13)    



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Actes Sud

(Janvier 2013)
224 pages - 20 €









Pia Petersen,
née à Copenhague, annonce à l'âge de sept ans qu'elle sera écrivain. Installée en France, elle a publié huit livres dont six aux éditions Actes Sud.



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de l'auteur :
http://piapetersen.net












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