Jacques-François PIQUET

Portraits soignés




Il y a des êtres que nous regardons de loin, dont parfois nous nous moquons, ou encore considérons comme "dangereux", parce que très étrange dans leur comportement, ou leur parole. Autrement dit : des personnes dont l’esprit est dérangé. Jacques-François Piquet vient avec Portraits soignés nous parler de résidents de la Cité Bardu. C’est une cité au bout de nulle part et, juste avant d’y entrer :

Avant la barrière de sécurité, c’est le jeu d’échecs qui arrête : trois pièces en ciment brut, presque aussi hautes qu’un homme, posées sur une grille de seize cases, l’ensemble au milieu des pelouses qui bordent la route d’accès. Trois pièces – un pion, une tour, un cavalier – mais pas de fou, forcément, se dit-on, il est à l’intérieur, avec ses semblables… D’où les cases manquantes… Et autres réflexions du même genre… Autre lecture facile… Mais s’il fallait comprendre tout autrement le jeu, constater la présence plutôt que l’absence, et chercher sens aux figures du pion, de la tour et du cavalier ? Ainsi débute le questionnement, à une centaine de mètres de l’entrée de la Cité Bardu, autant dire bien avant d’en franchir la barrière de sécurité.


Plus loin, le narrateur continue à nous montrer que ce lieu, pour le commun des mortels est improbable, que cette cité pourrait ne figurer sur aucune carte ni plan de ville, tant il est vrai que seuls ceux qui y séjournent ou travaillent savent qu’elle existe. L’auteur nous propose sept portraits de résidents : Yan d’Achernar, Marie de Bételgeuse, Gil de Canopus, Hannah de Dzuba, Arthur d’El Ghoul, Violette de Fomalhaut et Abdel de Grenat. Chacun de ces personnages a le nom d’une étoile accolé à son prénom. Le nom de l’étoile correspond au nom du bâtiment où il réside.

Jacques-François Piquet, sans juger, nous présente un portrait de chacun mettant en avant sa présence, créant par cet effet notre empathie pour les personnages présentés. Chacun d’entre eux a chuté, pour une raison qui lui appartient, mais ce qui nous est dit de cette chute, c’est en raison de quoi il a pu chuter. L’auteur écrit ces portraits à la fois avec douceur mais sans en ôter les "horreurs" qui ont été commises, par le personnage ou par son entourage. Pour chacun, il écrit une histoire de vie, une histoire de non vie, une histoire troublante qui nous ramène toujours à nous-mêmes, tant le chemin est abrupt et, certains chutent… Pour vous montrer comment l’auteur réalise les portraits, voici un extrait :

Pour n’avoir jamais franchi le pont, Gil n’en a pas moins des désirs d’homme et cela lui vaut des nuits d’insomnie à épuiser son corps en le caressant de ses mains ou le frottant frénétique contre les draps de son lit, cambré offert à rien ni personne, recroquevillé à se toucher le sexe avec la langue, râlant rauque et la tête en feu quand ça gicle de lui, sur lui ou plus loin, dans le vide de la chambre. Nul ne sait alors s’il rend le corps comme on dit rendre l’âme sans autre pensée que celle d’en finir, ou si quelque image dérobée juste avant le pont ou conservée depuis l’enfance l’accompagne dans sa jouissance.


Merci à Jacques-François Piquet pour ces portraits qu’il réussit à rendre humains, sensibles et si présents, en cela, il redonne une dignité à ses exclus de la vie. Oui, il fait en sorte que les portraits soient en couleurs, leur donnant un bel éclat à notre esprit. Le livre fermé, les personnages continuent à vivre en nous.

Gilbert Desmée 
(17/02/09)    



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Editions Rhubarbe


92 pages - 10 €











Né en 1953 à Nantes, Jacques-François Piquet vit dans l'Essonne après avoir passé une douzaine d’années à Londres. Auteur de romans, de proses courtes et de pièces de théâtre, il anime aussi des ateliers d'écriture.

Site de l'auteur :
www.jfpiquet.com


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