Jean-Bernard POUY & Patrick RAYNAL,

La farce du destin / The farce of the destin



C'est un rendez-vous dominical strictement respecté par deux petits vieux. Bon certes, quand leur café favori est fermé, il leur faut se rabattre sur un rade où ils n'ont pas leurs habitudes et chez les vieux les habitudes, ça compte. Mais quand on découvre qu'ils s'appellent Gégé et Lulu, qu'ils sont capables de rembarrer le garçon indélicat qui les traite de vieux poilus, en lui dévoilant, goguenards, que depuis une rencontre de tranchée l'un fait monter l'autre au rideau et qu'ils y prennent un pied d'enfer, ça devient louche.

Après tout si c'est pour avoir un peu de tranquillité, c'est normal, c’est important la tranquillité quand on veut s'adonner à son jeu favori. Mais là, le jeu n’est pas anodin, c'est que le Gégé et le Lulu ne sont pas des quidams non plus : le premier avec sa barbe blanche, son air arrondi et son omniscience de fond de salle n'est autre que le Tout Puissant et le second avec son blouson de cuir clouté, son nez pointu et ses bacchantes du diable n'est ni plus ni moins que le divin Lucifer. On comprend mieux la largesse spirituelle dans la vanne.

Et les deux acolytes se lâchent dans le jeu, puisque pour tout dire il ne s'agit de rien d'autre que de se faire une partie de destin. Bah oui, c'est l'humanité sur la tranche des cartes et sur la table d'un rade. Certains ont la vanité de croire qu'ils peuvent percer les mystères divins en tirants des bouts de cartons, ces deux-là la jouent en s'aspergeant largement le gosier. A chaque volume (deux à ce jour), ce sont les brebis du seigneur qui servent de pions et il n'est question ni pour l'un, ni pour l'autre de se laisser aller à une simplicité biblique. Ha, non, ils se les disputent ces pauvres âmes entre deux canons et parfois dans une engueulade bien sentie.

Si vous êtes une grenouille de bénitier, évitez absolument ces lectures : c'est clairement la damnation qui vous attend.

Pour tous les autres, qui veulent voir la religion comme une référence culturelle, allez-y plein pot, car les auteurs s'y entendent à merveille pour vous donner du clin d’œil à vous faire tendre des zygomatiques eucharistiques.
De coup de théâtre en coup bas, de coup divin en coups du sorts, – que voulez-vous c'est ainsi quand les forces les plus élémentaires s'affrontent dans l'arrière salle d'un boui-boui – Gégé et Lulu s'amusent du destin de leurs sujets.

La farce du Destin mettait sur la route d'un moine tourier qui souhaitait s'absoudre de toute vénalité une danseuse de nu et une valise de biftons avec peut-être une rédemption à la clef.

The farce of the Destin fait fuguer une jeune collégienne française d'un milieu tout ce qu'il y a de "trop mieux" dans un Far-West largement mafieux, mais trop heureusement accompagnée d'un joueur de blues très très noir.

Tant l'un que l'autre demandent à être découverts, car on y prend une jubilation de lecture qui tient sans doute au fait que le piano est joué par quatre mains talentueuses sur les références, sur la débine et l'envie complice de se la jouer à la Gégé et Lulu.

Serge Gaillard 



Retour
Sommaire
Noir & polar









Les Contrebandiers, 2005
232 pages, 15 €





Le premier volume
a été publié en avril 2004



Les Contrebandiers, 2004
192 pages, 15 €