Prince Naguib Abd Allâh

La dernière crue du Nil


La dernière crue du Nil, titre de ce recueil, me ramène à cette crue du siècle de 1961 qui eut lieu après le début des travaux de construction du barrage d’Assouan. Cette crue, en somme fut comme un avertissement de ce fleuve : « Ne barrez pas mon passage. Ne privez pas l’Egypte du Bienfait de mes Crues ». En fait, cette métaphore du titre, semble nous avertir d’un monde qui n’est plus et de l’avènement d’un autre dont on ne sait pas si vraiment celui-ci sera meilleur. C’est en tout cas ce que semble nous dire l’auteur dans un texte préambule à la première partie du recueil.

À une station d’essence du Caire, il y avait paraît-il un aveugle qui était capable de reconnaître la marque de fabrique et l’année de n’importe quelle automobile –
et cela juste en écoutant vrombir le moteur.
Voilà pour la performance.
Mais certains prétendent qu’il pouvait également vous
dire la couleur d’une voiture, toujours en écoutant les confidences du moteur.
Et voilà le merveilleux – n’est-ce pas cela qui compte ?
De superbes moments, tout ce trésor gaspillé – moitié
vrai un peu toc – des jours, des paroles, des gestes…

Il y a dans ce texte la volonté de croire au bienfait du merveilleux, à ce qui donne à l’être plus de profondeur, dans sa capacité à entendre la métaphore, la parabole, les contes, les fables, etc. La poésie donc, puisqu’il s’agit d’un recueil de poésie.

La dernière crue du Nil se compose de 13 parties : L’amour de Leyla ; Les fruits offerts ; Poèmes de la Mer Rouge et de toutes les mers ; Poèmes du lac ; La cité sans fenêtres ; Écueils ; Clins d’œil ; Les rites sacrés d’Amon ; Liturgie ; Maktoub ; Exil ; Retour ; Le voyage en couleur.

Dans tout le recueil plane l’esprit de rencontres féminines qui n’ouvrent pas sur des avenues de soleil, mais plutôt sur des moments vécus sans savoir si demain offrira le soleil. Dans Poèmes de la Mer Rouge… la quête s’apaise, comme si la magie du lieu venait ensoleiller l’être et transformer l’entour de beauté.

Étendons-nous
Étendons-nous
La mer plus loin dans ma mémoire

C’est une carapace d’émeraude
Un jour fait de soleil et de vent bleu et blanc

Mais tais-toi, Écoute
Prends-moi, Donne-toi
Quels vents ! Quels soleils !
Éclatés verts brillants des mille alcools d’hier
Colorés comme les saphirs de tes yeux
Et le sel sur ta bouche
Tu as des sourires à diluer le monde
Ce monde que tu caresses d’un superbe pied galbé
Moi je pousse et cours derrière un très joli ballon
Bleu et noir

Poèmes du Lac nous présente des moments de douceur de vie, tel un havre de paix dans un monde en constante accélération : Je connais quelque part une bonne maison/ Qui porte le nom d’une fragile fleur/Au matin les enfants voisins y apparaissent/ De manière enchantée d’un sésame ouvert/ Dans une treille serrée//C’est une maison faite d’ancienne probité/ La propreté ici a une odeur/ De cire d’abeille et confitures sucrées

L’ensemble du recueil donne un sentiment de solitude portée autour du monde, sans que l’être y trouve sa sérénité sinon dans l’écriture. Cela nous renvoie au titre du recueil, La dernière crue du Nil. Il y a dans ces poèmes comme une révolte contre une vie vide de sens, réaliser plusieurs tours du monde n’offre que peu de perspective si l’enjeu n’est pas être mais paraître. La crue du Nil vient balayer de ses flots la futilité pour une naissance à la fertilité. Voilà ce que semble nous dire Prince Naguib Abd Allâh dans son recueil.

Gilbert Desmée 
(20/01/09)    



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Poésie









Editions de Janus
Fiction & Témoignage
168 pages - 20 €