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Martin PROVOST


Bifteck



Martin Provost, cinéaste, réalisateur entre autres de Séraphine (film récompensé en 2009 par sept César), est aussi un merveilleux romancier.

Loïc et Fernande Plomeur, bouchers à Quimper, donnent naissance à un garçon qui ne sortira guère de la boutique au cours de son enfance.
Élevé au lait entier, le jeune André évolua rapidement dans la tradition ancestrale en travaillant au magasin dès l’âge de cinq ans. À sept, il savait déjà tenir la caisse, à huit, égorger son premier mouton, à dix, vous désosser une épaule en deux temps trois mouvements et l'entrelarder sous votre nez, façon bouchère. Il fallait voir comment il aimait la bidoche. Si les pianistes naissent tous avec un don, André semblait venu sur terre avec celui qui fait chanter le bifteck.

Le jour de ses treize ans, Jeannine Le Meur lui révèle un autre de ses dons. Dans la boucherie désertée par les parents, sur le sol couvert de sciure, il découvre que la chair d'une femme peut chanter sous ses doigts.
La guerre de 14 ayant raflé tous les mâles du canton, Jeannine lui fit vite une réputation.
Les ménagères de la région, provisoirement esseulées, font la queue devant la boutique pour profiter des talents du jeune boucher.
Mais, quand le garde champêtre proclame l'armistice, Fernande trouve devant la porte de la boutique un bébé avec un petit mot épinglé à son bavoir brodé : « Voici ton enfant, André, il n'est pas encore baptisé, prends-en soin. » Au fil des mois qui suivent, six autres bébés rejoignent le premier et André se retrouve, avec un grand bonheur, père de deux filles et cinq garçons.

Poursuivi par un mari jaloux, André s'enfuit sur la mer avec les sept enfants.
Le voyage dure longtemps – plusieurs chapitres – et c'est un véritable périple initiatique : sur le bateau, au gré des tempêtes et des accalmies, les enfants apprennent à parler, à marcher, à se connaître, à communiquer, et construisent là l'essentiel de leurs apprentissages.
Un jour le bateau arrive sur une île…

Ce court roman est une traversée de la vie avec ses joies, ses plaisirs, ses souffrances, ses inquiétudes, ses angoisses, ses bonheurs...
L'écriture est très belle, chargée d'humour et de tendresse, flirtant avec le conte, la fable et l’onirisme. D’une grande sensualité aussi car si André fait chanter la chair des femmes, il sait aussi trouver les mots pour calmer, rassurer ou séduire.
Ici ou là, une petite énumération nourrit le récit, comme une jouissance de la langue.
André laissa les mots qu'il croyait effacés à jamais de son langage lui sortir doucement de la gorge, ces mêmes mots qui avaient bercé son enfance en Bretagne et celle de ses marmots : poitrine, joue, culotte, collier, tendron, rognon, jambon, filet mignon, cuisseau, rouelle, jarret, gigot, mots qui semblaient avoir le pouvoir de lui remplir l'estomac et le cœur. Auraient-ils aussi celui d'apaiser la colère de cet animal invisible qui protestait sous ses flancs ?

L’auteur développe tout au long du roman, une morale très simple, en totale harmonie avec la nature. Pour les enfants, le mal n'existait pas, pas plus que le bien. Rien n'était séparé. Ils vivaient dans leur corps, sans imaginer qu'ils puissent être autre chose.
L’épilogue est un morceau d’anthologie et le lecteur reste sous le charme jusqu’à la dernière ligne.
Un ouvrage atypique, original, à découvrir absolument.

Serge Cabrol 
(28/08/10)    



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Editions Phébus

128 pages - 11 €







Martin Provost,
né à Brest, cinéaste et écrivain, a réalisé trois longs métrages, dont Séraphine, (récompensé en 2009 par 7 César). Bifteck est son troisième roman.