Marie REDONNET, Diego


Depuis 1985, Marie Redonnet navigue entre romans, poésies et pièces de théâtre en une étrange radiographie de notre société dans laquelle les personnages entreprennent leur survie.

Diego, qui donne son titre au roman, est un immigré clandestin. Il a fuit Tamza, sa contrée d'origine, où il fut emprisonné pour avoir participé au « mouvement ».
A partir du jour où je me suis engagé dans le Mouvement, ma vie ne m’a plus appartenu. J’étais docile et faisais tout ce qu’on me demandait de faire. J’allai dans les camps d’entraînement. J’appris à manier les armes et les explosifs. Je fis ensuite partie du groupe qui s’entraînait pour les attentats. Tous les membres du groupe, sauf les responsables qui restèrent introuvables, furent arrêtés. Il n’y eut que moi à être condamné à perpétuité, les autres furent condamnés à mort. J’avais bénéficié des circonstances atténuantes en raison de ma jeunesse et aussi de ma situation de subalterne dans le groupe. Je repense aux séances de torture. Jamais avant mon arrestation, je n’avais pensé que je pouvais être arrêté et torturé. Je me croyais invulnérable parce que j’aimais Ama et qu’Ama m’aimait. Les tortures que j’ai subies continuent à me faire souffrir, même si les cicatrices sont devenues presque invisibles. J’ai été torturé pour la vie.

Le roman, débute au débarquement de l’homme dans une petite crique discrète du territoire français. A ce moment de sa vie, Diego est un être cassé. De cet exil, il n’espère rien d’autre qu’une rupture avec son passé et la reconquête de lui-même pour une vie libre et sans histoires.
Grâce à l’ami de sa tante Lily, il a en poche un contact sûr, Amid, lui-même originaire de Tamza et propriétaire d’un garage en banlieue. La solidarité de cet homme et sa connaissance des réseaux seront pour Diego une aide précieuse. Rapidement, Aigle d’or, ancien du Mouvement reconverti, sous la protection discrète du maire local, en chef d’une communauté d’immigrés installée dans une gare désaffectée lui proposera une place dans un ancien wagon pour dormir et un travail de surveillant de nuit dans un dépôt. Il trouvera là plus encore avec l’amitié de Mateo, autre sans-papier, avec lequel il partage gîte et travail.

Mais à Loisy, on ne reste jamais longtemps et, après le départ de son compagnon, Diego qui pressent la fragilité de la tribu réfugiée à la marge de la société et l’influence de son gourou en chute libre, prendra la route pour Paris. Amid, jamais à court de ressource, y a déjà imaginé pour lui un autre plan. Madame Zabée, reine mère d’une pension de famille pour le moins particulière, recherche justement un gardien de nuit pour assurer la tranquillité de ses « filles » et de leurs clients. L’occasion d’un tableau sensible et riche d’une maison close étrange fort bien tolérée par les autorités et d’un quartier de la capitale aux habitants, pour la plupart venus d’ailleurs, souvent en délicatesse avec la loi.

Pendant ses moments de liberté, il arpente la ville comme pour se l’approprier, oubliant, parfois, la peur d’être appréhendé qui le tient au ventre. « Je suis libre tant que la police ne me demande pas mes papiers ».

Cette vie, cette famille, convient à Diego. Il est prêt maintenant à téléphoner à Nelly, ex-epouse du chef indien, ancienne productrice de cinéma, pour tenter de donner forme à son rêve : écrire pour le grand écran. Les salles de quartiers et les émotions partagées devant la toile appartiennent à ses souvenirs de jeunesse les plus lumineux.
Ama et Lily ne rataient aucune séance du ciné-club, chaque vendredi soir, et je les accompagnais toujours. C’est de là qu’est venue ma passion du cinéma. Frère Tian m’encourageait. Tout ce que je sais du cinéma, il me l’a enseigné en dehors des heures de cours. C’était mon professeur de latin au collège et il m’avait pris en amitié, peut-être parce que je ne ressemblais pas aux autres élèves (…) Quand je me suis engagé dans le mouvement, j’ai pensé qu’après la révolution, je pourrais devenir cinéaste car chacun, alors, pourrait réaliser son désir.
Les paroles et le soutien de cette vieille femme lui donneront le courage nécessaire pour passer à l’acte.
A ma sortie de prison, je n’ai pas été voir Frère Tian. Son ciné-club est fermé. Lily m’a appris qu’il était retourné vivre au Monastère, sur les hauteurs de Tamza.

Encouragé par Nelly, il osera enfin se lancer dans l’écriture et coucher sur le papier ce qui l’habite. Mais, « un clandestin n’est de nulle part » et rien n’est jamais acquis pour lui. Quand la belle Marylin sera assassinée sauvagement lors de son sommeil à l’intérieur de la pension, le passé du gardien, son pays d'origine, plaque tournante du terrorisme international, ne plaideront guère en sa faveur. Il se retrouvera immanquablement dans la cible de mire d’un inspecteur que ce bouc émissaire tout trouvé arrange sacrément.
J’ai pensé à m’enfuir et de redevenir un vrai clandestin, sans papiers et sans domicile. Mais alors je me désignerais comme coupable et je serais recherché par la police française. Amid ne pourrait plus m’aider. Et que penserait Nelly de moi, juste après notre première rencontre ? Je ne veux pas m’enfuir, ce serait pire que de rester. Il va falloir que j’affronte l’inspecteur avec sang-froid, en me répétant que je ne suis pas coupable. Il faut que je trouve qui est le coupable.
Pour se défendre, Diego n’est pas seul, le réseau de solidarité ne lui fera pas défaut.

La force de ce livre est que, très vite, au-delà du clandestin nous rencontrons un homme, avec son bagage de souffrance, ses peurs, ses rêves. Il s’agit aussi d’un très beau roman sur la solidarité, la complexité des relations humaines et le désir de création. Avec une écriture très simple, dépouillée, l’auteur montre une réelle compassion mais ne se compromet jamais dans la fiction humaniste pesante sur le sort des clandestins et évite adroitement les clichés. Elle sait faire rebondir son récit, de page en page, avec un réalisme social mâtiné de poésie candide et on accompagne Diego avec intérêt et plaisir.

Loin des débats fracassants sur la rentée littéraire, ce roman apparu sur les tables des librairies en septembre, mérite absolument lecture.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions de Minuit
192 pages
14,50 €









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